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Fiction commencée lors d'une nuit des lemons sur la Ficothèque Ardente. Le sujet en était "Les tubes de l'été". Tiré au sort : "Still Loving You" de Scorpions. Je n'ai pu me contenter d'un OS et le court récit est devenu une fiction qui fait 20 chapitres d'environ 2000 mots excepté le premier qui est plus court. Elle est terminée. Je publierai tous les week-ends.
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Chapitre 1. Souvenance
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Ibiza... Je n'y étais pas revenu depuis toi. Tout est bouleversé. Je ne reconnais rien. Les restos, les boîtes où nous sortions n'existent plus. Même la plage me semble autre. Il n'y a rien pour me parler de toi. C'est peut-être mieux. Je te guette si souvent dans mes rencontres d'un soir. Ces années passées loin de toi ont à peine flouté ton image. Quelle idée de traîner derrière moi ces vieux souvenirs que ravive cet endroit tout étranger qu'il me soit devenu. Ils me collent aux basques telle de la glu de bonne qualité.
Je n'aurais pas dû venir. Il a fallu qu'Aude et Jonathan insistent jusqu'à ma complète défaite. Je les cherche des yeux. Main dans la main, ils flânent, je suppose qu'ils prennent des repères : la terrasse qui les accueillera demain, le marchand qui leur vendra des glaces italiennes à prix exorbitant, le petit traiteur qui fait des tapas traditionnels qu'ils dégusteront sur la plage ainsi que nous le faisions. Le mal par le mal, ont-ils dit en m'incitant à partir.
J'en assez de ta présence, Loïs. Rends-moi ma vie. Déjà à Paris, je crains de te croiser au détour d'une ruelle du Marais, lors d'une exposition de peinture, dans un de ces restaurants à la mode que tu aimes tant, un de ces club selects où tu t'affiches sûrement avec ton dernier amant. Je le crains et, à la fois, je le souhaite. As-tu vieilli autant que moi ? Te trouverais-je encore séduisant en rond de cuir bedonnant ? J'ai bien peur que oui. Je suis persuadé que tu fréquentes institut de beauté, solarium et salle de sport. Cette satisfaction de te voir diminué, de te voir moche sans moi, je ne l'aurai jamais.
Tu désirais que je change. Que je sois tel que tu me voyais. Je n'étais que moi. Ainsi que toi. A chaque dispute, chaque break nécessaire comme tu disais, break pendant lequel tu ne te privais d'aucune aventure, tu me serinais cette ancienne chanson des Scorpions que tu aimais, Still Loving you. Et tu recommençais pourtant de la même manière.
"Si nous refaisions encore
Tout le chemin depuis le début
J'essaierai de changer
Les choses qui ont tué notre amour
Oui, j'ai froissé ta fierté et je sais
Par quoi tu es passé
Tu devrais me donner une chance
Ça ne peut pas être la fin"
On ne change pas Loïs. On se déguise. M'as-tu aimé ? Ou seulement l'image que tu voulais créer. J'en ai marre de larmoyer. Cela ne me ressemble pas. Depuis cinq ans, j'ai vécu. Même sans toi. Même avec ton exigeant souvenir.
Aude et Jo m'entraînent. Située dans le parc naturel de Ses Salines, Es Cavallet est une plage superbe que viennent lécher des vagues turquoise. Location d'un large lit solaire pour deux sous un immense parasol. Pas de problème, j'aurai de l'espace. Serviette de bain, maillot, crème bronzante. La panoplie du parfait touriste. Je jette un coup d'œil autour de moi. Des vieux beaux qui s'exposent, des jeunes des deux sexes qui s'envisagent. Je me dévêts sans plus de manières et enfile mon boxer de bain. Ce n'est pas un lieu familial. Plage gay friendly, en partie nudiste, elle nous convient. Je sors de mon sac un nouveau roman que j'ai acheté en prévision. Aude me fait des gros yeux. Je souris afin de la tranquilliser. Accorde-moi du temps, mon amie.
Mon regard se perd vers l'horizon. En cette fin d'après-midi, une agréable brise tempère la chaleur excessive. Je clos les paupières et sa caresse presque sensuelle m'envahit. Nous sommes ici depuis une semaine, le stress parisien s'est éloigné et l'atmosphère légère des vacances laisse sur mon corps, en mon esprit, une impression de bien-être. Oui. Je suis bien.
— Nous allons dîner au restaurant El Chiringuito, ce soir ? questionne Jo.
— Comme tous les autres, répond Aude.
Je soupire. Avec eux, je deviens paresseux. Nous avons vu peu de choses d'Ibiza, avons mangé chaque jour au même endroit, ne sommes pas sortis. Je découvre un côté routinier chez mes amis que je ne soupçonnais pas.
— On pourrait faire de la plongée demain ?
C'est venu tout seul. Ils me fixent étonnés. On ne va pas passer les vacances entières à jouer les crêpes sur la sable. Les deux côtés sont bruns, c'est bon.
— Réellement ?
J'ai le sentiment d'avoir proposé à Aude un tour sur l'échafaud.
— Ce sont des mini-croisières, avec repas à bord et deux descentes en des spots différents. Tu n'es pas obligée de plonger.
— Pourquoi pas.
Je sens qu'elle fait un effort. Jo reste muré en un silence farouche. Mon idée fait un flop. Je m'entête.
— Je peux y aller seul si vous ne le désirez pas.
— Non. Tu as raison. Ça nous fera du bien, répond Aude. Mais je pense que je me contenterai de profiter de la vue.
Chère Aude. Je l'ai rencontrée un peu après notre séparation. Elle n'a connu Loïs qu'à travers mes récits empreints de rancœur. Je crois qu'elle le déteste plus que moi.
— Il y aura peut-être un beau capitaine à la barre, me taquine-t-elle.
— Sur le prospectus que j'ai pris sur le présentoir de l'hôtel, il a largement la soixantaine.
Elle m'adresse une grimace. Je souris et reporte mon regard vers le large. Dans ma ligne de mire, une superbe silhouette sort de l'eau et revient vers nous. Un corps grand, mince et bronzé, des cheveux très blonds, très courts. Pour la teinte du regard, il est un peu loin. A mon avis, il n'a pas la trentaine. Ce n'est pas pour moi. Et puis bon. Voilà quoi. Pourtant, je le suis des yeux. Il a tout pour me plaire. Un autre homme l'attend sur le lit de bronzage voisin. Ils sont séparés par la tablette qui supporte des boissons fraîches, cela ne les empêche pas de s'embrasser longuement. Je les envie tel un forcené.
Nous nous sommes habillés dans le but de nous rendre au restaurant. En résumé, nous avons passé un jean et un tee-shirt au dessus du maillot. Nous mangerons sur la terrasse, devant la mer.
— Notre table est occupée, lance Aude dépitée.
Elle me fait rire. En un clin d'œil, elle acquière des habitudes de petite vieille. Je ne prends même pas la carte. Inutile. Hier, j'hésitais entre deux menus, je vais donc choisir le second. J'admire le coucher de soleil. C'est le genre de choses dont on ne se lasse pas. Les couleurs en sont magnifiques. Un camaïeu du rose au carmin retouché d'orange autour du disque incandescent. Je veux le voir sombrer, rougeoyant, en une mer d'encre.
— Basile ? Tu désires quoi ?
Si tu savais. Il me faut un moment afin de reprendre pied dans la réalité et commander.
— Ce n'est pas les hommes qui étaient sur la plage cet après-midi à côté de nous ? On dirait qu'ils t'observent.
Aussitôt, je jette un coup d'œil. En effet. Tout compte fait, mon inconnu a les yeux bruns. Tandis que son compagnon a des iris très bleus, une peau mate, une chevelure mi-longue encadrant des traits fins. Ils sont soignés, portent des vêtements de prix. Un couple de trentenaires aisés comme Loïs et moi, il y a quelques années. Ils sont jeunes, beaux. Je me lance dans la dégustation de mon entrée avec le sentiment que leurs regards, que je n'ai pourtant pas vus sur moi, me brûlent. Arrête de te faire des illusions, mon pauvre vieux. Tu as quarante deux balais. Ils sont ensemble. Qu'attends-tu ?
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