Et voilà, ça y est, la confrontation entre Joey et Erwan va avoir lieu. Cette rencontre sera fidèle au résumé et à l'esprit de l'histoire… Et n'oubliez pas que « Pris au piège » est une narration sous forme subjective, c'est-à-dire contée à travers les yeux de Joey. Parfois, il interprète mal, il se trompe, il comprend de travers ou trop lentement… C'est tout l'intérêt du « je » narratif !
Allez, assez de précautions et d'explications j'y reviendrais à la fin… une fin qui sera à l'image de l'histoire en son entier, du titre lui-même (« pris au piège ») et au résumé (je ne trahis pas le sujet très dark, ni les idées sombres et perverses qui ont été clairement annoncées dès le début).
Zou, à présent, amateurs d'ambiguïtés et de cercle vicieux, bonne lecture !
Chapitre 23.
Lorsque je vis Erwan, sur la coursive, en haut de l'escalier, me fixer de son regard pénétrant, je me liquéfiais littéralement. Je sentis les mains invasives de Steve qui me prenaient par la taille, et qui me poussaient à monter les marches.
Je ne résistais pas. Je me laissais faire et commençais à gravir l'escalier, obéissant.
J'avais à peine fait quelques pas qu'Erwan, aussitôt, disparut dans un couloir qui n'était pas visible depuis le bas des marches. Il allait probablement dans un endroit tranquille, sa chambre… et c'est probablement là que Steve allait me conduire.
Effectivement, en haut de l'escalier, on prit un couloir sur la gauche, un couloir large et luxueux, qui menait à de gigantesques suites de plusieurs pièces. Bref, des chambres d'hôtel de 150 ou 200 mètres carrés… à 10.000 euros la nuit.
Steve sortit de sa poche une carte magnétique et il ouvrit la porte. Il me poussa ensuite vers l'intérieur et murmura à mon oreille : « Tout au fond, troisième pièce, sur la droite ».
Je ne lui prêtais plus attention. Je marchais comme un automate dans la direction indiquée, avide de revoir Erwan, de lui parler.
Il m'avait semblé étrange, en haut de cet escalier : le regard cerné, presque vitreux… Il avait l'air fatigué, et surtout, sous l'emprise de la drogue.
La suite luxueuse était sombre, et volontairement mal éclairée. J'ouvris des portes, que je ne refermais pas. Au fur et à mesure que j'avançais, c'était comme si le passé s'effaçait. Je ne voyais que devant moi.
Enfin, je pénétrais la dernière pièce, plongée dans la pénombre. Appuyé près de la fenêtre aux rideaux tirés, je reconnus immédiatement sa silhouette, et son regard qui me dévisageait.
Je demeurais un instant planté au milieu de la pièce, incapable de bouger, incapable de parler.
C'est Erwan qui, avant même de prononcer un mot, m'attira à lui par un simple geste. Il tendit sa main vers moi, m'invitant à m'approcher de lui. Je lui obéis, comme un robot qui obéit à la télécommande.
Putain. Dix mois. Ça faisait dix mois… dix mois depuis cette nuit où il m'avait baisé, lui et ce connard de photographe. Depuis tout ce temps, j'avais digéré ce qui m'était arrivé j'avais réfléchi, aussi, compris mes propres erreurs et pris mes responsabilités.
Mais c'était une chose que de penser à Erwan, ç'en était une autre de le revoir.
A deux pas de lui, je m'arrêtais, attendant qu'à son tour il ait un geste. Alors, très naturellement, très doucement, il m'enlaça. Ses mouvements étaient prudents, il se faisait très tendre. Il redoutait sans doute que je le repousse.
Il me laissait le temps de réagir, si je ne voulais pas qu'il me touche. Mais au contraire, je le voulais ! Je voulais ce contact. J'y avais tellement pensé, je l'avais tellement fantasmé, pendant des mois !
Il enfouit son nez dans mon cou et susurra : « C'est bon de te revoir, Joey… » Sa voix était traînante, fatiguée, mais elle me semblait toujours aussi envoutante, aussi magique. Il paraissait fragile, comme perdu au milieu d'un monde qu'il ne maîtrisait plus.
Ses bras autour de moi, il me respira longtemps, tandis qu'à mon tour, je l'enlaçais, la tête vide, me laissant porter par l'instant.
Il sentait le tabac, le shit et l'alcool. Il avait apparemment beaucoup bu. Et, le connaissant, il avait dû prendre des trucs, aussi. Il avait un peu maigri… sans doute à cause de ses excès en matière de drogues. Il était coutumier du fait.
« J'ai cru que… que jamais je ne te reverrais… que jamais tu n'accepterais de… de me pardonner… » murmura-t-il, l'haleine saturée d'alcool.
Pardonner… je n'avais pas envie de parler de ça.
Je détournais la conversation, osant enfin parler : « C'est étrange d'être là… ici… avec toi… »
Erwan releva son visage et chercha mon regard, ses yeux bleus me fixant avec tristesse et intensité : « Seulement étrange ? » murmura-t-il d'un air abattu.
Mes yeux, qui s'étaient peu à peu habitués à l'obscurité, l'observaient avec curiosité. Il était toujours aussi beau, toujours aussi extraordinaire, toujours aussi magnétique.
« Non… » confessais-je. « Pas seulement étrange. Ça me fait plaisir de te revoir… »
Comme effusions pour de grandes retrouvailles, c'était raté. Mes mots étaient banals, ceux d'un rendez-vous de famille. Ils ne reflétaient pas ce que je ressentais. Je m'exprimais mal. J'étais maladroit.
Je sentis qu'Erwan était déçu. Son corps s'évada du mien, et il recula en direction du lit. Il s'assit au bord du King-size bed, les mains croisées entre ses cuisses, et sembla se plonger avec concentration dans l'observation de la moquette.
Je me sentis fautif, maladroit. Je m'approchais du lit et vint m'asseoir près de lui.
Je vis, entre ses mèches de cheveux noirs, son regard vif et pénétrant. Il m'avait décoché un de ces regards impénétrables… peut-être une sorte de regard triomphateur.
Oui, je cédais. Je pardonnais. Est-ce que c'était ça, l'amour ? Est-ce que aimer signifiait s'abandonner à ce point, tout pardonner, tout accepter, se laisser dominer… et finalement être sous emprise ? J'identifiais mal mes sentiments. Tout était si embrouillé dans ma tête et mon cœur battait si vite, si vite…
Erwan décoinça une de ses mains prisonnières de ses cuisses serrées et osa l'approcher lentement de la mienne. Je le laissais faire, heureux qu'il ait cette initiative-là. J'avais l'impression de repartir dix mois en arrière, de me retrouver au bord de cette soirée dont j'avais tant rêvé et qui s'était terminée en cauchemar.
Là, il me semblait qu'on se donnait une chance de tout recommencer, de repartir à zéro, de faire ce qu'on aurait dû faire, ce soir-là, s'il n'y avait pas eu Jimmy… s'il n'y avait pas eu ce vice au fond du cœur d'Erwan.
Oui, ce soir-là, sans cette 'fleur du mal' perverse, dévorant les fantasmes d'Erwan, on aurait dû faire l'amour… tout simplement l'amour…
On resta un long moment silencieux et immobiles, comme deux adolescents gauches et empotés.
Puis, finalement, Erwan se décida à parler. Sa voix n'était qu'un faible murmure : « Tu m'as tellement manqué, Joey… manqué à un point… Je crois que tu ne peux pas t'imaginer… »
« Je… je crois, si… »
Il leva un sourcil soupçonneux. « Vraiment ? »
« J'ai écouté tes chansons, lu tes textes, aussi… » Je sentis la pression de sa main se faire plus forte sur la mienne.
Erwan détourna un instant le regard vers les rideaux de la fenêtre : « C'est très édulcoré, tu sais. Dans les paroles de chansons, on procède toujours par métaphores… »
Comme il semblait penser que j'étais loin de connaître sa douleur, je décidais de lui avouer : « Charlotte m'a parlé, aussi… »
Son regard bleu acier se braqua sur moi : « Je lui ai fait beaucoup de mal… Elle ne méritait pas ça… Mais… » Il s'arrêta un instant, baissa les yeux, et commença à faire remonter sa main au-dessus de mon poignet. Ses gestes étaient tendres, doux, intimes aussi. « On ne peut pas lutter indéfiniment contre sa nature. On ne peut pas se forcer à être celui qu'on n'est pas… »
« Je sais… »
« J'ai aimé Charlotte… vraiment… Mais toi, tu as tout bouleversé. Je t'ai aimé à la folie, dès que je t'ai rencontré. » Il me regarda avec intensité. « A la folie, oui… C'est le mot qui convient ». Il hocha la tête, comme s'il s'approuvait lui-même. « Tu m'as rendu fou… complètement fou… »
Je ne savais pas trop quoi dire, ni quoi faire. Les sentiments d'Erwan, est-ce que c'était vraiment de l'amour ? Est-ce qu'il était sincère avec moi ? Tout me semblait tellement rapide, tellement excessif aussi.
Mais en même temps, je me sentais tellement ému et désarmé par ses aveux, et le choc de le revoir ne passait toujours pas. J'avais l'impression de faire un rêve, d'être dans un autre monde. Me tête se mit à tourner un peu.
« Pourquoi… pourquoi tu ne m'as pas dit les choses simplement ? Pourquoi tu m'as embringué dans ces scenarios compliqués ? » lui demandais-je, cherchant toujours désespérément des réponses et des explications.
Erwan laissa sa main remonter vers mon visage, caresser ma joue et glisser lentement dans mon cou : « J'avais tellement peur que tu me repousses, tellement peur de te toucher et que tu me rejettes. Plus que tout, je voulais te voir faire l'amour… te voir jouir… Je pensais qu'avec moi, tu ne voudrais jamais… »
« Comment as-tu pu croire ça ? Merde ! J'avais envie de toi depuis des semaines ! J'en crevais ! »
« Mais tu aimais aussi faire l'amour avec quelqu'un d'autre, pour moi, devant moi, hein ? Ne me dis pas que tout ça était une illusion, que tout ça était factice ! » supplia-t-il.
Je ne pouvais nier avoir pris du plaisir. Il m'avait vu bander. Il m'avait vu jouir et éjaculer. « Je… ok, oui, c'est vrai… » confessais-je en bafouillant nerveusement. « J'ai aimé faire l'amour avec quelqu'un pendant que tu me regardais. Je l'avoue. »
« On peut tout recommencer, Joey… tout… S'il te plait, laisse-moi une autre chance ! »
Alors, prenant mon courage à deux mains, je me jetais à l'eau, avouant mes sentiments : « Je ne serais pas là si je n'avais pas déjà pris cette décision… »
Erwan me décocha alors un sourire à la fois heureux et carnassier. Je pouvais lire dans son regard toute sa satisfaction de me voir revenir vers lui, prêt à me donner à lui.
Je sentis ses mains se poser sur mes hanches et m'attirer à lui : « Dis-moi que tu as envie de moi, Joey, envie de faire l'amour… » murmura-t-il, la voix saturée de désir. « Dis-moi que tu veux que tout recommence, s'il te plait… »
« Je… j'ai envie… de toi… » avouais-je, le rouge aux joues. « J'ai… J'ai envie de faire l'amour… avec toi… » Je foutais mon âme à nu, là. Je m'exposais, impudique, je me livrais à lui pieds et poings liés. Je lui obéissais, comme autrefois.
« Encore… dis-le moi encore… » souffla-t-il à mon oreille, avant de déposer sur la peau frissonnante de mon cou un baiser humide.
« J'ai envie de toi… »
« Demandes-moi de te faire l'amour, Joey… » susurra-t-il. « Dis-le, Joey… Dis-le moi… Je veux te l'entendre dire… »
J'abdiquais, me soumettant à toutes ses exigences : « Fais-moi l'amour, Erwan… »
Alors, tout naturellement, on s'embrassa. Ce baiser explosait de désir en moi, et me ramenait un an en arrière, à l'époque où on se touchait maladroitement et où on s'embrassait par impulsion, honteusement et coupablement, sans savoir ce qu'on faisait.
Là, on savait. On savait ce qu'on déclenchait. Et l'érection qui était en train de me ravager le bas ventre assurait mes certitudes. Erwan, par ses caresses, mettait le feu en moi… ce feu qui couvait depuis près d'un an… moi qui n'avait plus jamais fait l'amour depuis cette nuit-là, avec Erwan et Jimmy.
Mon corps était en manque : manque de contact, manque de caresses, manque de jouissance, manque d'amour, tout simplement.
Je laissais ses mains commencer à déboutonner ma chemise, et moi-même, je cherchais à lui ôter la sienne. Et tandis qu'on se déshabillait, je me disais que rien n'était aussi simple, aussi évident, que d'être avec lui, dans ses bras, et d'avoir envie de coucher avec lui.
Je ne comprenais même pas comment j'avais pu avoir des doutes.
En entrant dans cette chambre, quelques minutes plus tôt, je ne savais pas quoi dire, ni ce qui allait se passer. Et pourtant, en acceptant de suivre Steve et de monter dans cette suite luxueuse, je savais bien que j'acceptais aussi ce qui allait se passer. Et je voulais ce qui allait se passer.
En déshabillant Erwan, ce que je faisais pour la première fois, je me rendais compte que je ne l'avais jamais vu nu, jamais touché. Il avait toujours refusé. Le peu du corps d'Erwan que je connaissais, c'est ce contact au petit matin, dans son lit, le lendemain de cette nuit dont je n'avais aucun souvenir. Je m'étais réveillé dans ses bras, sans avoir comment j'étais arrivé là.
A présent, il s'agissait de se découvrir mutuellement, de se caresser réciproquement, alors que jusque-là les inhibitions d'Erwan, ses complexes et sa honte l'avaient toujours bloqué. Là, dans cette chambre, enfin, Erwan semblait prêt à tout accepter, et à se livrer à moi.
« Dis-moi que tu veux que tout recommence entre nous… comme avant… » quémanda-t-il encore, en me déshabillant à mon tour.
Alors, j'obéis et me soumettais à son ordre : « Je veux que tout recommence entre nous… » répétais-je, comme il l'avait exigé, les reins en feu. Mes mains lui arrachaient ses vêtements avec fièvre.
« Moi aussi… »
On fût bientôt nus, au milieu de l'immense lit aux draps que l'on avait éventrés, nos mains curieuses courant entre nos cuisses. Allongés l'un contre l'autre, on se caressait, on s'embrassait, on se redécouvrait.
Je découvrais son torse, son ventre creux, ses cuisses finement musclées… et son sexe. Je réalisais que voir sa queue, droite et dure, m'excitait terriblement. Ma main était déjà sur elle, tandis que je ne pouvais réprimer mes gémissements de plaisir.
Putain, j'adorais ça… pire, je crevais d'envie de mettre sa queue dans ma bouche, et puis de le sentir s'enfoncer en moi. Oui, j'avais envie d'être pénétré par lui, qu'il me domine, qu'il me fasse jouir tandis que je me soumettrais complètement à lui.
Erwan me serrait contre lui, comme s'il cherchait à me capturer complètement. Et j'avais envie de lui obéir, envie d'être son prisonnier, de lui laisser faire de moi ce qu'il voulait.
« Hhhmmm… Tu es terriblement excité, Joey… » murmura Erwan en me masturbant lentement, abrasant mon désir. « Dis-moi que ça t'excite que je te touche… »
« Ça m'excite… » fis-je d'une voix rauque et obéissante.
« Dis-moi que tu as envie de faire l'amour, envie d'être pénétré… dis-le moi… »
« J'ai… j'en ai envie… Baise-moi, Erwan, baise-moi… » suppliais-je, au comble de l'excitation.
Ses baisers avides et gourmands me firent rouler en arrière dans le grand lit.
Et c'est là que je le sentis.
Derrière moi.
Contre mon dos.
Un corps nu se collant au mien.
Et puis deux mains qui me happent par l'arrière.
Je fis un bond comme si j'avais été frappé par la foudre.
Je reculais, la peur au ventre, le cœur battant à 200 à l'heure.
« Putain ! Qu'est-ce que… ? »
Et c'est là que je le reconnus.
Steve.
En entrant dans la suite, puis dans la chambre, je n'avais plus prêté attention à lui, imaginant qu'il m'avait livré à Erwan et qu'il était reparti.
Enfin, en réalité, je n'avais même rien imaginé du tout ! Je l'avais complètement oublié, c'est tout !
Et là, il était nu, dans le lit, tentant de me prendre en sandwich entre Erwan et lui.
Les mains en avant, paumes ouvertes, prêt à repousser toute agression, tétanisé par la peur de revivre encore la même scène de sexe non consensuel, je me mis à gueuler : « C'est quoi ce bordel ? »
Cette fois-ci, je n'étais pas drogué. J'étais capable de me défendre, de fuir, de cogner s'il fallait.
« Hey ! Tout doux, Joey ! » fit Steve en se relevant à moitié. Il s'assit dans le lit, à un mètre à peine de moi. Je vis l'énorme et effrayante érection qu'il avait entre les cuisses.
« Je te parle pas, à toi, connard ! » Je tournais mon regard vers Erwan, roulé en boule sur le lit, masquant son corps avec les draps. « Putain ! Erwan ! C'est quoi, ce piège de merde ? Une fois t'a pas suffi ?! »
Mais Erwan, le visage renversé sur les draps, demeurait silencieux. Il fuyait même mon regard.
C'est Steve qui me répondit, très zen : « Du calme, Joey ! Pourquoi tu t'énerves comme ça ? Je t'ai parlé, tout à l'heure ! Je t'ai dit qu'Erwan était resté bloqué sur cette nuit-là… que ça l'obsédait, qu'il ne pensait qu'à ça ! T'as donc rien compris ? »
Putain ! Fallait-il être naïf ! Fallait-il être con ! Tout à l'heure, dans l'escalier, Steve ne me parlait pas d'une quelconque culpabilité d'Erwan, il me confessait son désir de recommencer, de me baiser, et de me voir me faire baiser par un autre. Encore.
Je descendis du lit prudemment, sans les quitter des yeux, en reculant : « T'es qu'un putain de pervers, Erwan ! Un vrai malade ! Tu es complètement détraqué ! »
Erwan ne réagissait toujours pas. Il ne parlait pas, ne me regardait pas. On aurait dit qu'il attendait que ça passe. Il me donnait l'impression que, finalement, tout ça lui était indifférent.
C'est Steve qui se leva à son tour du lit, tentant de m'amadouer, de me convaincre, et surtout de me ramener à lui : « Erwan aime te voir faire l'amour, il te l'a dit et répété ! Il vient même de te le redire à l'instant ! Qu'y a t'il de mal à ça ? »
« T'approche pas de moi ! » hurlais-je en direction de Steve, levant une main ouverte en avant, comme pour me protéger.
Steve haussa les épaules, apparemment consterné : « Mais t'as quand même pas peur de moi, si ? T'es con, vraiment ! Moi, je ne te veux que du bien. J'ai pas l'intention de te forcer, tu sais… » ajouta-t-il avec cette même voix calme et chaude.
Pendant qu'il parlait, je cherchais des yeux mes vêtements.
Steve, très tranquille, appuya une épaule contre le mur, près du lit et croisa les bras sans arrêter de me fixer : « Je ne comprends pas pourquoi tu ne veux pas faire l'amour à trois, ce soir… D'après ce que j'ai compris, avant, tu faisais ça tout le temps, n'est-ce pas ? Tu baisais des filles devant Erwan, tu le laissais jouer les voyeurs ! » commença-t-il.
Je ramassais à la hâte mes affaires dispersées sur le sol. Bordel de merde ! On s'était désapé sans faire gaffe, j'avais jeté mes fringues un peu partout. J'enfilais mon slip avec angoisse, sans quitter Steve du regard. A présent, mon érection s'était presque résorbée, le sang se retirant progressivement de ma queue.
Le bassiste blond continuait ses explications, sans se démonter : « T'as même accepté de te faire baiser par un mec, pour lui, pendant qu'il te mâtait… Même si tu t'en souviens plus bien, pour le principe, jouer les exhibitionnistes, ça t'a jamais dérangé avant, non ? »
« Putain ! Mais qu'est-ce que ce connard t'a raconté ? » m'écriais-je, en désignant d'un geste rageur Erwan étendu sur le lit, et qui à présent, à demi-allongé au milieu des draps froissés, me regardait d'un air étrange.
« Ce qu'il m'a dit ? » répéta Steve, d'un air amusé. « Mais que tu aimes baiser pendant qu'il te regarde, Joey ! Et que tu aimes aussi te faire prendre… En clair, que tu ne dis pas non à une bonne sodomie. Je fais ça très bien, tu sais… » ajouta-t-il avec une vois pleine de miel.
A présent, la peur m'avait quitté. Steve était peut-être malsain et pervers, mais il n'était pas un violeur.
Non, maintenant, j'étais envahi de honte et de dégoût. De honte envers moi-même, en raison de mon extrême naïveté, et de dégoût envers Erwan. Il me donnait littéralement envie de vomir.
Putain ! Comment n'avais-je pas compris plus tôt ? Merde ! Chaque mot d'Erwan, ce soir, était à double sens ! J'avais tout interprété à la lumière de mon romantisme à la con, tandis que ce pervers me demandait d'accepter une nouvelle fois de me faire baiser par un mec !
Je me tournais vers Erwan, tout en reboutonnant mon pantalon : « T'es vraiment qu'un immonde salopard ! Comment j'ai pu tomber amoureux d'un mec pareil ? Comment j'ai pu m'aveugler au point de te pardonner ? »
Je m'en voulais de m'être raconté autant de bobards, d'avoir réinventé la réalité, d'avoir réécrit l'histoire. Jamais il n'avait été amoureux de moi ! Jamais ! Il m'avait toujours considéré comme un objet sexuel ! Et ce soir-même, tout ce qu'il m'avait dit, le prouvait encore ! Je le comprenais enfin, même si c'était un peu tard…
Il y a dix mois, en août dernier, mon impression première avait été la bonne. J'avais été… violé. Pourquoi l'avais-je excusé ? Pourquoi m'étais-je aveuglé ?
Erwan détourna un instant le regard, fuyant mes yeux plein de haine, cherchant le soutien de Steve.
La grand bassiste blond avait partiellement débandé, mais ne perdait visiblement pas tout à fait espoir de me fourrer sa grosse queue entre les cuisses.
Tandis que je remettais ma chemise, il s'approcha de moi et murmura : « Je t'aurais vraiment bien fait l'amour, Joey. Je t'aurais donné beaucoup de plaisir, et je suis sûr que je t'aurais fait jouir comme t'a jamais joui… C'est dommage, vraiment… » fit-il, tête à demi inclinée, en léchant machinalement ses lèvres. Il avait l'air très obsédé par l'idée de m'enculer.
Il se colla à moi, une nouvelle fois, et me souffla à l'oreille : « Tu veux pas rester un peu ? » Il tentait de me convaincre, croyant pouvoir vaincre mes résistances : « Tu ne veux pas me voir faire l'amour à Erwan ? …voir comment il jouit quand je le baise ? Ça te chaufferait peut-être, ça te mettrait en condition… »
Les mots de Steve résonnèrent comme la déflagration d'une bombe dans ma tête. Il m'avait pourtant dit, une heure plutôt, que c'est lui qui baisait Erwan. Sur le moment, j'avais juste été choqué. L'image de Steven pénétrant Erwan ne s'était pas imprimée dans mon cerveau. Là, cette fois-ci, je percutais. J'imaginais.
Steven glissa sa main entre ses cuisses, ravivant d'un geste lascif et répétitif son érection, sans quitter mon regard. Il se masturbait en me fixant de son regard de serpent. Ses yeux étaient plongés dans les miens, tandis que je reboutonnais ma chemise de plus en plus maladroitement… et de plus en plus lentement.
Il se pencha vers moi. « Viens… » murmura-t-il dans mon cou, d'une voix saturée d'excitation sexuelle : « Viens près du lit… ». Il tenta de me tirer par le bras, mais je résistais. Je détournais le regard, enfilant avec des mains devenues tremblantes mes boots qui trainaient au pied du lit.
Je ne voulais pas voir. Je ne voulais pas regarder, surtout ne pas devenir pervers et voyeur, comme Erwan l'était. Mais je ne pus m'empêcher de relever un instant les yeux vers le lit.
Steve avait grimpé sur le King-size Bed et attirait Erwan à lui. De ses mains puissantes, il le força à rouler sur le ventre, dégageant son dos nu à la peau si blanche.
Mes yeux allaient successivement du corps d'Erwan, docile et obéissant, au sexe massif de Steve, puis à son regard.
Car oui, Steve me regardait, moi.
Il tendit sa main vers moi, en geste d'invitation : « Joey, viens… » me répéta-t-il d'une voix chaude, presque suppliante.
C'est lorsque je sentis l'excitation me gagner, que je sentis qu'une érection commençait à me reprendre, que j'eus enfin le courage de partir. Je devenais aussi pervers et dégoûtant qu'eux. Et je ne voulais pas. Non, surtout ne pas être comme eux. Jamais.
Je quittais la chambre sans me retourner, imaginant dans mon dos ce couple étrange en train de faire l'amour… ou de baiser ?
Non, de faire l'amour, je crois… car Erwan et Steve s'étaient bien trouvés, aussi malades, aussi détraqués, aussi malsains et pervers l'un que l'autre… Mais l'un, Steve, était plus dominateur que l'autre.
Erwan avait trouvé son Maître.
Et moi, j'avais retrouvé ma liberté. Mon esprit et mon cœur, désormais, étaient libérés de l'emprise d'Erwan. A présent, j'allais pouvoir me reconstruire. Vraiment. Recommencer à vivre… à me tourner vers l'avenir… m'en retourner vers Charlotte, qui en bas, m'attendait… et que je n'aurais jamais dû laisser.
– FIN –
Fin, oui, car l'histoire ne pouvait se terminer autrement ! C'était impossible ! L'histoire s'achève en respectant sa logique noire et malsaine, comme l'avait toujours annoncé le résumé dès le premier chapitre : « Pris au piège », c'est « quelque chose de tordu, de pervers, de vicieux… et le sale petit jeu va déraper… ».
Voilà, c'est fini…
Fin, oui, car l'histoire ne pouvait se terminer autrement ! C'était impossible ! L'histoire se termine en respectant sa logique noire et malsaine, comme l'avait toujours annoncé le résumé dès le premier chapitre : « Pris au piège », c'est « quelque chose de tordu, de pervers, de vicieux… et le sale petit jeu va déraper… ».
« Pris au piège » (le titre a un sens !), c'est l'histoire c'est l'histoire de rapports non consensuels, autrement dit d'un viol. Tous les viols ne sont pas commis la nuit, dans des ruelles sombres, par des inconnus, loin de là ! Bien au contraire, la plupart des viols sont commis par des proches qui profitent de la faiblesse de leur ami, petit(e) ami(e), de leur confiance, de leur gentillesse, de leur fragilité surtout… et c'est ce registre noir que je voulais explorer.
Joey a été victime d'un pervers sexuel, égoïste et tordu. Il a vécu ce que beaucoup de victimes de viol ont vécu lorsque l'agression est le fait d'un proche que l'on aime : la culpabilité, la réécriture de l'histoire, l'invention d'excuses au bénéfice du violeur… Il s'est senti perdu désorienté, sa vie a été bouleversé, sa sexualité aussi, ce qui prouve bien que les choses se sont mal passées, et surtout sans son consentement ! La drogue à bon dos !
Erwan parle d'amour… mais il ne sait pas ce que c'est : il ne connait que la possession, la manipulation, il ne sait pas aimer, il ne sait que jouir de l'autre, lorsque celui-ci est sans défense, à sa merci, incapable de lui résister. Et ce n'est pas parce qu'Erwan répète « je t'aime » à tout bout de champ que c'est la vérité ! Tous ses actes prouvent exactement le contraire ! Quand on aime quelqu'un, on ne lui fait pas subir ce qu'Erwan fait subir à Joey ! Parler d'amour n'est qu'un moyen d'assujettir l'autre. C'est le principe même de la manipulation : on entretient la confusion, on berce l'autre d'illusions, on se joue de lui. Ah ! Ne jamais croire aveuglément autrui, telle est la leçon. Et surtout, faire confiance à son instinct. Joey aurait dû écouter ce que lui dictait son instinct dès le début du chapitre 8 : « La petite voix résonna encore dans ma tête : souvent les choses sont exactement ce qu'elles paraissent être… » Et c'est toute la leçon de « Pris au piège ».
C'était une histoire en forme de cercle vicieux. Désormais, la boucle est bouclée. C'est terminé. Si vous voulez du romantisme entre Joey et Erwan, de l'espoir, il faut lire « Pris au jeu », l'histoire originale. « Pris au piège » en était le versant noir et pervers.