Ce texte est le prélude du récit Alpha – Contamination. Le contexte est un peu plus largement décrit dans le premier récit.
Pour faire court : dans un futur très lointain, l'univers, auparavant administré par la race humaine, est tombé entre les mains d'un peuple extra-terrestre supérieur : les Akaïas. Il s'agit d'humanoïdes presque parfaits : ils ont seulement la peau bleue et les cheveux très noirs. Ils viennent de la planète Numéro 99213 et ont des mœurs guerrières et très conservatrices. Ils ont asservi la race humaine sans aucune pitié, puisqu'ils se pensent très supérieurs.
Bonne lecture!
Alpha - Inoculation
1
- Numéro Alpha-Lima-340 ? C'est là ?
Un jeune humain aux cheveux d'un rouge ardent et à la peau mate releva la tête. Ses yeux noirs brillèrent de colère. Il affronta du regard l'inspecteur de santé akaïa, venu vérifier si les cobayes utilisés par le laboratoire Axalis étaient traités selon les règles imposées.
- Tu comprends ma langue, humain AL-340 ?
- J'ai un nom ! cracha Alpha en se jetant violemment sur la cage en propa-métal.
Les cellules de reconnaissance des barreaux de la grille détectèrent aussitôt le potentiel galvanique de l'humain comme « Danger à contenir » et la cage s'électrifia aussitôt, tétanisant douloureusement le prisonnier. L'inspecteur de santé ricana en entendant le gémissement de douleur d'Alpha, dont les longs cheveux rouges couvraient à demi le visage, et s'éloigna en cochant quelques cases.
- Il faudra me calmer tout ça, docteur Jazkaïa.
- Oui, inspecteur.
- J'ai tendance à sanctionner quand les sujets d'étude sont maltraités, mais laisser un esprit si rebelle en pleine possession de ses moyens, c'est risqué. Ou alors, emmenez-le loin de la planète. Dans un de vos labos en orbite.
- Il ne tiendra pas longtemps, avec ce qu'on a prévu de lui faire...
Les deux Akaïas ricanèrent, et les muscles tendus d'Alpha-Lima-340 frissonnèrent. Il était le seul prisonnier humain de « sa » section. La section « recherche et développement en biotechnologies ». Et le docteur Jazkaïa était un véritable sadique qui aimait tenter des expérimentation inouïes sur son sujet préféré. Cela faisait presque un an, et Alpha tenait toujours. Il avait déjà réussi à tuer deux Akaïas qui travaillaient au laboratoire. Un visiteur naïf et imprudent, et un laborantin. Les deux meurtres avaient été suivis de représailles terribles, mais l'humain ne regrettait rien.
AAA
- Mrakal, vous avez vu mon stylo ?
- Non, professeur.
- Mais j'ai perdu ce stylo, il doit bien être quelque part !
Celui que l'on ne connaîtrait bientôt plus que sous le nom de « Professeur », était un jeune Akaïa surdoué, qui dirigeait une petite équipe dans la section « R&D Nouvelles Technologies – Génie Mécanique et Armement ». Il avait à peine vingt-et-un ans. L'un des éléments les plus prometteurs de sa génération.
Le Professeur redressa ses lunettes et eut un sourire nerveux :
- J'ai dû l'oublier en salle de repos.
- Prof', il est dix heures, tout le monde va se coucher, là.
- Si je n'y vais pas maintenant, il n'y sera plus demain, grommela l'Akaïa en tournant les talons. Et je veux rester pour travailler un peu, encore.
- Ah. Comme vous voudrez, Professeur, soupira Mrakal en levant les yeux au ciel. Bonne nuit, alors ?
- C'est ça, c'est ça... bonne nuit.
Mrakal ricana en voyant la fine silhouette du petit génie disparaître dans les couloirs obscurs des laboratoires Axaliz. Ce type était brillant, ça oui, mais il n'avait aucune expérience. Qui restait encore à travailler après dix heures, quand la guerre contre ces idiots d'humains avait été gagnée ?!
- Mais enfin, où est-ce qu'il est ?
Le jeune Akaïa avait retourné la salle de repos sens dessus dessous, et il avait découvert quantité de stylos, excepté le sien... Il jouait de malchance ! Penaud, il fit demi-tour. En passant devant le couloir dit des « Biotech' », il perçut un bruit étrange. C'était un gémissement, presque un sanglot. Quelqu'un avait un souci !
Le Professeur, sans hésiter, se servit de son pass pour accéder au département d'expérimentations, alors désert et éclairé seulement par les néons bleus d'antiques lampes chauffantes. Son pas résonnait sur la plate-forme métallique, et aucun autre son ne se faisait entendre.
- Il... excusez-moi, il y a quelqu'un ?
- Pitié...
L'Akaïa bondit si haut qu'il en perdit ses lunettes. La voix, chaude et vibrante, était montée d'une cage plongée dans le noir – et donc privée de chaleur – juste à sa droite. Le Professeur ne parvint pas à mettre la main sur les lunettes. À tous les coups, elles étaient tombées dans la cage du cobaye.
- Je... excusez-moi, tu... vous avez appelé ?
L'Akaïa fouilla dans la poche interne de sa blouse en filigrane de plexiglas – le plus résistant sur le marché... – et y dénicha une lampe à infrarouges. Le tuyau métallisé était en réalité pourvu d'une caméra infrarouge, connectée directement au computering lens – une sorte de verre de contact interactif, qui servait principalement au Professeur d'appareil photo. L'humanoïde, hésitant, braqua la torche vers la cage et l'alluma. Le computering lens transmit directement sur son nerf optique l'image – directement convertie en couleurs du spectre visible – capturée par la caméra.
C'était un humain, sans doute du même âge que le Professeur, vêtu uniquement d'un vieux pantalon à treillis noir. Peut-être un rebelle récupéré sur une station isolée ? Il avait de longs cheveux d'un rouge profond, qui lui cascadaient dans le dos. Il se cachait le visage derrière de grandes mains brunes et laissait échapper des pleurs mal contenus. Aussitôt, le Professeur, qui n'avait l'habitude que de microprocesseurs et de formules chimiques à dormir debout, sentit la pitié lui remuer les tripes.
- Par... pardon... gémit l'humain. Je... j'ai fait un mauvais rêve. Par... pardon... ne me... ne le dites pas au... à monsieur le docteur Jazkaïa...
Alpha peinait à retenir un sourire, et c'était bien la raison pour laquelle il se dissimulait derrière ses mains. Il parvenait à peine à donner à sa voix grave des inflexions poignantes et geignardes, mais l'Akaïa qui se tenait face à lui semblait aisément dupé.
- Oh, je... je ne suis pas ici pour vous faire du mal, voyons ! se récria le Professeur, scandalisé. Vous n'avez pas de raison d'avoir peur de moi, je vous en prie. Mais pourquoi êtes-vous si mal traité ? Vous ne devriez pas être sous une lampe chauffante ?
- Ne le dites pas à monsieur le docteur, gémit Alpha en se repliant davantage dans sa cage.
- Attendez, votre cage est trop petite, je vais ouvrir le plafond, vous allez pouvoir vous mettre debout.
- Non !
Le cri d'Alpha pétrifia le jeune professeur
- Si... si le docteur Jazkaïa voit que... que la cage a été ouverte, il va encore f... faire des expériences sur ma tête. Avec les électrodes.
Une nausée envahit le Professeur. Cet humain ressemblait tant à un Akaïa, sauf pour la peau et les cheveux. Sa musculature également était sans doute plus développée que la moyenne du peuple akaïa, songea l'humanoïde en regardant la peau lisse du prisonnier. Comment Jazkaïa pouvait-il se montrer si abject ?
- Dites-moi ce que je peux faire pour vous, demanda alors le Professeur de la voix la plus douce du monde. Je ne suis pas votre ennemi.
Alpha écarta alors les mains qui lui masquaient les traits et le jeune Akaïa fut surpris de découvrir un regard et un visage à la fois si durs et si beaux. La conscience du Professeur tenta de le ramener à la raison, arguant qu'il était étrange qu'un être à l'air si déterminé et puissant agisse comme s'il n'était qu'un nourrisson qui appelle sa mère. Mais l'Akaïa décida que le simple fait de faire dormir un humain dans une cage trop petite pour lui permettre de tenir debout était un manquement aux règles éthiques, même si l'empereur Shéadh avait ratifié le texte de loi présentant l'Homme comme une sous-race.
Tentant d'adopter l'attitude la plus déterminée qu'il pouvait, le Professeur déclara :
- Ne vous tourmentez pas, je ne vous attirerai pas d'ennuis. Mais je vais essayer de vous aider.
Il allait partir, éteignant la lampe, lorsque la voix chaude du numéro AL-340 s'éleva à nouveau :
- Professeur...
L'Akaïa fronça les sourcils : le prisonnier avait un ton si différent ! Lorsqu'il se retourna, il vit, dans la pénombre, un objet briller entre les barreaux de la cage.
- Je crois que vous avez perdu ceci...
Le jeune humanoïde bredouilla un rapide merci en récupérant ses lunettes, troublé. Il ne vit pas le sourire narquois que lui adressait l'humain et disparut aussi sec.
Le lendemain soir, alors qu'Alpha décidait de s'octroyer quelques minutes de sommeil – le dernier laborantin avait quitté la section « Biotech' » –, il fut surpris d'entendre crisser la porte menant à « son » couloir. Rapidement, le visage nerveux du Professeur, cet étrange akaïa aux traits fins et au cœur trop tendre, apparut devant les barreaux de la cage. Alpha dut retenir un sourire et s'efforça de paraître effrayé, ce qui était difficile, face à cette créature qui paraissait aussi innocente qu'un agneau nouveau-né.
Le prisonnier entendit un crissement bref, qui signait l'arrêt de la mise sous tension de sa cage. Le Professeur, tremblant, s'approcha plus près et voulut ouvrir le verrou magnétique à l'aide d'un carré noir. Mais il tremblait tant, à l'idée de commettre un acte si répréhensible, qu'il laissa tomber le carré noir dans la cage. Non, vraiment, pensa Alpha. Cette fois, ce serait trop facile. C'en serait même ridicule. Tuer cette pauvre chose qui risquait sa peau en le tirant de sa cage ? Il n'y aurait aucune fierté. Aucun amusement. Le prisonnier AL-340 n'avait à vrai dire pas de plan prédéfini pour s'enfuir, il savait qu'il ne le pourrait pas sans aide extérieure. Non, il voulait seulement massacrer le plus d'Akaïas possible. Et ce petit Professeur au visage si joli ne ferait pas une victime très glorieuse...
- Excusez-moi, balbutia le Professeur. Pouvez-vous me rendre le carré noir que j'ai laissé tomber ?
Il s'excusait. Il le vouvoyait... Non, vraiment, non. Alpha ne voyait plus vraiment l'intérêt d'étrangler le malheureux Professeur. Peut-être après, une fois qu'il en aurait eu assez de s'amuser.
Alpha obéit sans mot dire et, lorsque le plafond grillagé de la cage fut ôté, il se redressa d'un bond silencieux. Il surplombait l'Akaïa de deux têtes, et ce dernier réalisa que l'humain n'aurait à présent plus aucun problème pour le maîtriser et s'enfuir. Il pourrait peut-être même essayer de l'enfermer dans cette horrible cage ?! Le Professeur ne put retenir un mouvement de recul lorsque le prisonnier passa ses longues jambes hors de la cage et s'étira. Pour briser la glace, l'Akaïa dit la première chose qui lui vint à l'esprit :
- Vous... vous êtes musclé.
Amusé, Alpha leva un sourcil :
- Et ?
- Et... et... c'est étonnant puisque vous passez du temps recroquevillé dans une...
- Les docteurs me maintiennent en forme, que croyez-vous ?
Ce ton... Le Professeur se rendait compte qu'il était tombé dans un piège. Et que le prisonnier affirmait son autorité face à lui.
- Même si je ne dis pas que j'aime beaucoup dormir roulé en boule. Où allons-nous ?
- Dans... dans mon bureau. Suivez-moi, je vous prie.
Mais une fois devant, l'Akaïa regretta de ne pas avoir demandé à Alpha de le précéder. À tout moment, il s'attendait à sentir les grandes mains nerveuses de l'humain s'abattre sur son cou et serrer. Le Professeur avait peur.
Derrière lui, le prisonnier pouvait aisément sentir cette peur. Et un sourire carnassier grandissait sur ses traits. Décidément, cet Akaïa n'était pas pour lui déplaire.
- Entrez. Je suis désolé, c'est un peu dérangé.
Le bureau était un véritable capharnaüm. Le Professeur était un fanatique de l'archéologie interplanétaire et il entreposait des pièces rares dans son bureau, ainsi que de nombreux livres – des objets qui n'existaient plus que pour le decorum, selon la plupart des amateurs de livres, mais qui pour l'Akaïa, gardaient une âme et une mémoire plus importante que la plupart des memoryneedles.
- Voilà, bien, je... je voulais vous permettre de dormir ici pour la nuit, afin que vos membres soient moins engourdis. Je ne pourrai pas faire grand chose d'autre, vu mon statut. Je n'ai pas un réseau très... enfin... Voilà un matelas, des couvertures. J'ai quelques vêtements, et de quoi vous sustenter. Je ne sais pas si...
Mais le Professeur ne put en ajouter davantage. Son cœur venait de s'accélérer trop brutalement : Alpha avait fondu sur lui le plaquant contre une bibliothèque en bois, qui craqua sous le choc. L'humain pressa contre la chemise blanche de l'Akaïa son torse nu. Le contact fit foncir le jeune scientifique jusqu'à la pointe des oreilles. Terrifié, à la fois par la situation et par l'air bien trop diverti du numéro AL-340, le Professeur tenta vainement de repousser son adversaire aux cheveux de feu. Les muscles bandés, ce dernier n'avait même pas à se servir de ses bras pour immobiliser le malheureux Akaïa. Ce dernier, pensant qu'il allait mourir, releva la tête et lança avec un air de défi :
- Puis-je vous avouer que je me doutais que je tombais dans un piège ?
- Puis-je vous avouer à mon tour que je commence sérieusement à douter de vos capacités cognitives, Professeur, rétorqua Alpha avec ironie.
- Je... oh... !
C'était sans doute la sensation la plus inattendue que le Professeur avait crut ressentir jusqu'ici : au lieu de se refermer sur sa gorge, la main de l'humain venait de se poser sur son entrejambe. Le numéro AL-340 plissa les yeux et sourit. Il se pencha, de façon à ce que sa bouche parvienne tout contre l'oreille de sa victime et chuchota :
- Mais je commence sincèrement à me demander, Professeur, si ce n'était pas, au fond, ce que vous cherchiez depuis longtemps...
Le jeune scientifique, sentit les longs doigts de l'humain raffermir soudain leur prise, et il fut incapable de retenir un gémissement sous l'affluence des sensations nouvelles. Il avait l'impression que son dos se couvrait brutalement de sueur, tandis que des décharges d'adrénaline glissaient sous sa peau, le parcourant des pieds à la tête... L'Akaïa, impuissant face à la force de son ennemi, sentit les dents de l'humain se refermer juste sous son oreille, sur la peau de son cou.
- Alors, Professeur ? On ne se débat plus ?
Et le Professeur, tout en cherchant une issue à cette situation désespérée, se demanda lui aussi sincèrement, si ce n'était pas, au fond, ce qu'il cherchait depuis longtemps...