Un petit OS sortit tout droit de mes archives que j'ai beaucoup hésité à publier... Déjà parce qu'il a largement été influencé par la fiction Trois Ans de RE-150-MN.
Sur ce, bonne lecture
Aimons-nous à la haine à la mort
Je te connais depuis toujours, ressentant cette même envie de te détruire, de te piétiner, ce besoin de te faire du mal qui me dévorait le ventre. J'avais envie de violer ce regard méprisant, de te faire ravaler ce sourire arrogant. Je voulais voir la haine rugissant dans tes yeux. Juste ça : voir que tu me détestais de toutes tes forces.
J'éprouvais un plaisir sadique à casser les jouets qui t'étaient les plus précieux. Jouissant de ton regard blessé puis haineux. Je m'énervais lorsque tu coupais les oreilles de mes peluches et te détestais plus encore. Mais, enfant, cette haine n'était encore que latente.
Il aura fallu attendre nos quinze ans pour que ce qui n'était encore que des mots et actes détourné ne devienne une violence sourde et réciproque. Lorsque je te voyais, je ne pouvais m'empêcher de vouloir te soumettre, serrant les poings pour ne pas qu'ils te frappent. Mais cette nécessité d'effacer ce sourire supérieur sur ton visage avait fini par me rendre fou d'envie de te faire mal, de faire couler ton sang sur le bitume encore chaud de l'été, de sentir la sueur sur ton corps alors que je te frappais encore et encore. Et tu n'étais pas en reste, si bien qu'un jour de juin nous nous sommes fait mal, cherchant à briser l'autre, à satisfaire notre soif de sang, défoulant toute cette attraction malsaine qui naissait de notre haine. Je voulais que tu pleures de toutes tes forces. Je voulais gagner ce jeu, ce combat de violence.
Mais s'écorcher tout entier ne nous satisfit qu'un temps avant que ce ne soit plus assez, jusqu'à ce que l'on en veuille plus, que l'on veuille salir l'autre au plus profond de lui, encore et encore. Jusqu'à déverser toute notre haine en l'autre. Jusqu'à ce que l'un de nous ne soit plus capable de se relever.
Et cette envie avait fini par nous emporter, nous faisant défoncer l'autre, le baiser jusqu'à ce que le plaisir de le voir si soumis, si gémissant de haine et de douleur ne nous amène à l'orgasme. Jusqu'à ce qu'on l'ait souillé de toutes nos forces, sans fioriture.
Nous faisions ça dans des hôtels miteux, nos corps abîmés luttant pour être au-dessus, rugissant sans avoir honte. Mais c'était trop peu. Salir le corps de l'autre n'était pas assez : il fallait le souillé dans son passé, son présent, son futur, dans ce qui faisait qu'il était lui, ce qui faisait que l'on s'appartenait. Il fallait que la haine ravage tout. Vraiment tout.
Alors, nous avons baisés dans ces lieux qui nous connaissaient, nous apposions notre haine comme un sceau indélébile. Nous ruinions tout sur notre passage. Et nous y prenions plaisir. Pire, c'était bon.
Je t'ai frappé autant que tu m'as frappé, je t'ai baisé autant que tu m'as baisé, j'ai joui en toi autant que tu as joui en moi. J'ai aimé te soumettre autant que toi. Nous nous sommes haïs de toutes nos forces. Jusqu'à cette nuit-là.
Cette nuit, nous nous sommes retrouvés dans ma chambre, celle où toute cette haine s'était écoulée pour la première fois entre nos cuisses. Celle où tout à commencer. Tout semblait normal. Tu étais aussi violent que d'habitude, ta haine brûlait de la même flamme extraordinaire qui ne naissait dans tes yeux que dans ces moments. Cette flamme que je refusais de voir vaciller, que ne devait s'adresser qu'à moi.
Comme chaque fois, nous avons défendu fièrement notre domination, frappant fort, repoussant sous soi, laissant des auréoles de sang et de salive tacher les draps crème, marquant les peaux de bleus, de griffures, de morsures. Chacun voulait connaître la satisfaction d'être celui qui baise et éviter l'humiliation d'être baiser.
Tu t'es bien battu, repoussant chacune de mes attaques, menant les tiennes avec fougue. Il n'y avait que dans ces instants que tu en devenais beau, beau de haine et de désir, beau de puissance. Et tu ne faisais qu'attiser mon besoin de t'avilir, de te détruire, de te marquer. Et c'est à cause de ce besoin que je t'ai dominé, que je suis parvenu à te posséder, à défoncer ton corps. Et c'est à cause de ça que tu as aimé, que tu en as jouit alors que je te soumettais, que je faisais de toi une poupée de chiffon. Jusqu'à ce que ta haine explose et qu'il n'en reste rien. Jusqu'à ce que tu sois brisé au plus profond de toi. Jusqu'à ce que je gagne la guerre. Que tu ne sois plus qu'une coquille vide qui sanglote sous moi et dans laquelle je me déversais avec toute la satisfaction du monde. J'avais réussis. J'avais atteint le but de ma vie : ma haine venait de te dévorer tout entier.
Et pourtant, je ne sais pas. Je venais de réussir, j'avais accompli mon plus grand rêve mais quelque chose en moi regrettait cette victoire, trop facile, trop frustrante. J'avais l'impression d'avoir été dupé. Je ne m'attendais pas à ça. Ma réussite aurait dû être une apothéose. Il n'en était rien.
Je t'ai regardé pleurer dans ces draps qui n'étaient pas assez souillés, j'ai regardé ton corps qui n'étais pas assez abîmé, j'ai regardé tes yeux qui ne brûleront plus de leur haine, j'ai regardé tes doigts qui n'exprimeront plus ta violence et, soudainement, tout m'a manqué. Ta haine, ta vengeance, ta violence, ton corps, ton sperme… Nos rencontres étaient finies. J'avais gagné et en même temps j'avais tout perdu. C'est toi finalement qui m'avais vaincu. Ta faiblesse avait tout brisé et tu ne le laissais que des miettes.
Et c'était le plus cruel.
Je m'étais mis à rire, un rire sans joie alors que toute l'ironie de la situation me frappait. J'ai rit si fort que tu t'étais recroquevillé loin de moi, les larmes dans le regard. J'avais joué, j'avais perdu.
La colère est née en moi, calmant ce rire qui me secouait. J'étais en colère contre toi qui ne m'avais pas prévenu. J'étais en colère contre ta faiblesse. J'étais en colère contre ma stupidité j'étais en colère contre l'ironie du monde.
_ Dégage ! T'ai-je hurlé violement.
Tu t'es mis à trembler, yeux écarquillés.
_ Je t'ai dit de te casser, fils de pute !
Tu t'es levé, a récupéré tes affaires et tu es partis, sans un mot, sans un regard. Comme si je n'existais plus à tes yeux. Comme si, sans haine, tu ne pouvais plus me voir.
Cette indifférence était la pire. Elle attisa en moi la colère qui naissait. Je la déversais dans la pièce en brisant tout, détruisant cette pièce pour en effacer, en souiller tous les souvenirs qui y étaient rattachés. Mais je n'y arrivais pas. Je ne parvenais pas à revenir en arrière et à faire comme si rien ne s'était passé. Il était trop tard pour ça. Tout était finit.
Cette dernière prise de conscience brisa quelque chose en moi. Ma haine mourut dans les larmes.
Il ne me resta que la fascination que j'éprouvais pour toi.
…
Je te revis sans te revoir, capturant ton image au détour d'un couloir, d'une rue. Parfois, ton regard. Tu n'étais plus le même. Tu sembles apaisé. Et tu en devenais beau : la haine ne te défigurait plus.
Tu ne cherchais pas à me revoir, je ne trouvais pas le courage de briser ta tranquillité. Sans haine, je n'avais plus de place dans ta vie. C'était l'unique lien qui nous avait rattachés. Et sans elle, je n'avais aucune légitimité à te désirer. Pas même celle de me souvenir. J'aurais déjà dû t'oublier. Je n'avais pas pu.
Avant, chaque moment de haine avait fait battre mon cœur, te posséder m'avait fait te désirer, chaque jouissances en avaient réclamé d'autre. Juste ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille. J'aurais du comprendre que je devenais accros à toi. J'aurais dû remarquer qu'il y avait plus que la haine.
Et j'aurais dû savoir que je ne voulais que graviter dans ton monde. Et aujourd'hui, je priais pour revenir près de toi… Ne serait-ce qu'un peu.
…
Ma prière fut exaucée. Tu étais à ma porte, un matin, le regard clair et le visage impassible. Je n'ai rien pu dire, je n'ai pu que t'embrasser lentement, furieusement, tendrement, violement. Lorsque je t'ai libéré, un sourire entre amour et haine flottait sur tes lèvres.
_ Je te hai-me.
Tout était dit. Il était temps de prendre un nouveau départ.
_ A la haine, à la mort.