Auteur : Nessi N'spi (appelez moi Nessi ^^)

Droits : Ces personnages comme l'histoire sont issus de mon imagination. Ils m'appartiennent. Merci de respecter mes droits d'auteur et de ne pas réutiliser ce qui m'appartient sans mon accord. Je tiens aussi à préciser que je suis contre l'idée que quelqu'un reprenne mon histoire pour changer les noms des personnages. Merci donc de cesser de me le demander.

Genre : Yaoi/Fantastique/Romance/Angst.

Résumé : La paix revenue à Osaka, Kei, en tant qu'Alpha, doit faire face à ses responsabilités de chef, tout en s'adaptant aux conséquences qui découlent des derniers évènements. Heureusement, son Second Hayate, est là pour l'y aider, du moins si d'autres meutes pouvaient arrêter de le convoiter ou d'essayer de le tuer.

Avant-Propos :

Pour ceux qui se seraient égarés par ici sans avoir lu « Fils de la Lune – tome 1 », je tiens à vous prévenir que vous pouvez vous lancer dans la lecture sans connaître le point de départ de cette histoire, mais que bien des détails vont vous manquer pour une parfaite compréhension. Je ne peux donc que vous conseiller de lire le premier tome avant d'entamer celui-ci. Vous le trouverez sur mon profil ! ^^

Pour les autres, bienvenue à vous pour poursuivre cette aventure ! ^^ Ravie de vous revoir et impatiente de savoir si cette nouvelle « saison » de Fils de la Lune sera à la hauteur de votre engouement pour la toute première ! :)

Remarque :

Comme pour le premier tome, cette histoire se fera selon les « points de vue » (POV) d'un personnage. Gardez donc l'habitude de vérifier dans la tête de qui vous vous trouvez avant de vous lancer dans la lecture d'un chapitre ! :)

Pour ceux qui se poseraient la question, le prénom Kei se prononce « Key » (mais ça c'était pas très difficile à deviner) et le prénom Hayate se prononce « Hayaté ». Je me doute qu'il vous sera difficile de les nommer ainsi si vous ne l'avez pas fait depuis le début, mais je tenais à faire cette précision comme je l'avais fait pour Kaname et Shinichi.

Enfin, sachez que je me réjouis de me lancer dans cette nouvelle histoire, toujours dans le même univers mais en me centrant sur d'autres personnages, particulièrement parce que je sais que vous serez au rendez-vous et que j'ai hâte de vous offrir de nouvelles émotions.

Sur ce, bonne lecture ! :)

FILS DE LA LUNE

Chapitre 1

Début des hostilités

[POV Kei]

Tout en nouant ma cravate, je m'approche d'une des grandes fenêtres de la suite pour regarder à l'extérieur. Tokyo, de nuit, déroule ses guirlandes lumineuses, faîtes d'enseignes, de lampadaires et des phares des véhicules qui encombrent ses rues. C'est un spectacle qui ne m'est pas inconnu. J'ai passé plusieurs décennies dans cette ville, et les souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, s'enchaînent dans ma mémoire depuis que nous sommes arrivés.

Je ne peux pas dire que je sois heureux d'être ici. Avoir quitté Tokyo, et malgré tous les déboires que nous avons rencontré à Osaka, a été une très bonne décision. La ville est agréable et on peut parfaitement s'y fondre, mais entre le nombre d'Alpha trop important et les nombreux loups qui vivent sur ce territoire, j'ai souvent eu la sensation d'être bridé, de ne pas pouvoir goûter à une certaine sérénité.

Si je devais être parfaitement honnête avec moi-même, je n'ai pas non plus trouvé cette liberté et cette insouciance à Osaka. Les choses s'arrangent, c'est certain, mais je ne peux toujours pas relâcher ma garde. Après la guerre contre les Kuroi Tenshi, après la trêve tendue entre nos Meutes, les agissements des rebelles, le passage des Ombres et leur justice expéditive, les blessures de Yama, le choix de Shinichi de se lier à Kaname... Je suis encore loin de pouvoir relâcher la pression qui pèse sur mes épaules.

Mais Osaka m'a apporté une certaine douceur de vivre. Lorsque les conflits sont en arrière-plan, lorsque mes loups ne sont pas à l'article de la mort, nous pouvons goûter à une vie plus douce, à une ambiance plus familiale et à la nature sauvage des forêts alentours dès que le désir de courir se fait sentir. Ainsi, même si notre déménagement n'a pas été de tout repos, je ne regrette absolument pas d'avoir quitté Tokyo, sa surpopulation et les tensions constantes avec les autres Meutes.

Mon regard s'arrête sur mon reflet dans la vitre alors que j'ajuste la cravate sous le col de ma chemise, puis referme mon veston par dessus. Je viens frotter ensuite ma mâchoire rasée de près avec un petit soupir. J'aime porter une légère barbe et un peu de moustache. Pour l'occasion, j'ai du me résoudre à avoir une apparence impeccable.

Me détournant de la vue, je ramasse ma veste sur le dos d'un fauteuil et l'enfile, tout en demandant :

- Tu es prêt ?

Je n'obtiens pas de réponse verbale mais Hayate apparaît, entièrement vêtu et coiffé à la perfection. Comme à chaque fois qu'il s'habille en « adulte » j'éprouve une drôle de sensation, entre l'admiration et l'amusement, avec une pointe de crainte. Le costume qu'il porte épouse sa silhouette fine et musclée, lui donnant de l'allure et une classe indéniable. Les cheveux coiffés en arrière dévoilent son visage juvénile mais mettent aussi en évidence son regard perçant et si profond qu'il en devient presque dérangeant. Le tout, de la tenue à son physique, offre un contraste étrange, presque anormal, à la fois beau et menaçant.

Il s'approche, tout en me détaillant de la tête aux pieds et je sais qu'il s'assure que je sois impeccable avant de me présenter en public. Il s'arrête devant moi pour ajuster le mouchoir dans la poche avant de ma veste et j'en profite pour observer son visage que je n'ai pas souvent l'occasion de voir en son entier.

- Voilà, c'est parfait, déclare-t-il en lissant ma veste sur mes épaules.

Je lui envoie un sourire amusé qu'il remarque en relevant les yeux vers moi, mais qu'il décide de ne pas commenter.

- Alors si je suis parfait, allons-y.

Ses lèvres s'étirent légèrement dans un semblant de sourire avant qu'il se déplace pour me laisser passer devant. Je retiens une envie de rire et me dirige vers la porte, le sentant me suivre quelques pas derrière moi, sur ma droite. Il referme derrière nous et j'avance jusqu'à l'ascenseur, espérant ne croiser personne avant d'arriver en bas. Lorsque les portes s'ouvrent, j'essaie de ne pas grogner et cache toute émotion à la vue de l'Alpha et du loup qui se trouvent déjà dans la cabine.

- Tiens, Kei, déclare le premier avec un sourire qui sonne faux.

- Mochiaki.

Je le salue d'un bref hochement de tête, puis entre dans l'ascenseur. Je me place à ses côtés, alors qu'Hayate passe derrière moi pour se tenir au côté de l'autre loup. J'observe notre reflet dans les portes métalliques dorés et réalise que j'ai déjà la mâchoire contractée. Cela risque d'être une longue soirée...

- Alors, reprend l'Alpha, ton installation s'est bien passée ? Vous êtes où déjà ?

- A Osaka.

- Ah oui, Osaka... La vie de la capitale ne te manque pas ?

- Non.

J'espère secrètement que mes réponses courtes et sans développement suffiront à clore la conversation mais Mochiaki n'a jamais été du genre à baisser les bras sans combattre. Il possède l'une des nombreuses Meutes de Tokyo et comme tous ses homologues, à quelques exceptions près, je ne l'apprécie pas.

- Comment vont tes loups ?, continue-t-il, vicieux. J'ai entendu dire que tu en avais perdu quelques uns en deux ans.

- Ils vont bien.

Je n'ai aucune envie de relater les pertes que j'ai subie – par décès ou départ volontaire – ce serait avouer une faiblesse et c'est bien la dernière chose que ferait un homme dans ma position. Puisque je ne suis pas très bavard, il se rabat sur mon Premier Lieutenant et cela me fait grincer des dents dès l'instant où il se tourne vers lui.

- Ravi de te revoir Hayate. Si tu t'ennuies à la campagne, n'hésite pas à venir me voir. Tu es le bienvenu dans ma Meute.

Tout en sobriété, Hayate se contente d'un hochement de tête qui ne veut finalement rien dire et je retiens difficilement un sourire.

- Osaka n'a rien d'un coin de campagne, dis-je d'un ton léger. C'est immense et les loups qui y vivent ne se marchent pas dessus.

Mochiaki reporte son attention sur moi alors que je lui envoie un sourire factice. Les portes s'ouvrent enfin et je m'avance à l'extérieur, suivi par mon Second avant qu'il ait pu répondre quoi que ce soit. Il ne se démonte pas et me rattrape dans le hall. Ce serait impoli de me mettre à courir et c'est bien dommage car il parvient à revenir à ma hauteur.

- As-tu entendu cette étrange rumeur qui parle de l'intervention des Ombres non loin de ton territoire ?

Je m'arrête brusquement pour me tourner vers lui et je m'amuse de le voir presque trébucher sur ses pieds afin de faire de même. Je n'ai jamais apprécié cet homme et j'ai malheureusement été de trop nombreuses fois confronté à sa présence lorsque je vivais encore à Tokyo. Sentant qu'il cherche à me faire sortir de mes gonds, comme à chacune de nos rencontres, je m'astreins à un calme de façade et demande d'une voix aimable :

- Qu'essais-tu de dire ?

- Oh, rien, je souhaitais juste savoir si tu étais au courant.

- Je suis au courant et le sujet sera abordé demain, lors du Sommet.

- Tu as donc un lien avec des évènements d'assez grande importance pour que les Ombres aient dues intervenir ?

- Cela semble en effet évident.

- Tu en as trop dit et pas assez à la fois. Il me faut des détails.

- Tu les auras demain. Maintenant si tu veux bien m'excuser, j'ai une réception à laquelle je suis attendu.

Je lui offre un sourire hypocrite et le plante là pour m'avancer vers des portes couvertes de miroir d'où s'échappent de la musique classique et devant lesquelles se tient un homme immense en costume noir. Un loup-garou. Je m'arrête à sa hauteur et laisse Hayate lui tendre nos invitations. Il les vérifie avant de nous laisser entrer. Je m'empresse de franchir les portes et de m'éloigner, espérant que Mochiaki, retenu un instant pour passer le contrôle, ne me retrouvera pas dans la foule.

La salle de réception est élégante et déjà bien remplie. Les odeurs de loups-garou se partagent avec la sensation électrique de la puissance des Alphas. De longues tables couvertes de draps immaculés proposent de quoi nourrir les convives et quelques tables rondes à l'écart permettent à ceux qui le souhaitent de s'installer. La plupart préfère rester debout, déambulant d'un groupe à l'autre, afin de se faire voir, de renforcer des liens amicaux ou professionnels, ou de faire sentir leur puissance à d'autres Alphas. Ce genre de réunion m'ennuie à mourir et me laisse un goût amer en bouche.

J'accepte le champagne qu'un jeune loup-garou vient me proposer sur un plateau et prends aussi une flûte pour Hayate. Lorsque je me tourne pour la lui tendre, il secoue brièvement la tête pour refuser mais je hausse les sourcils, pour insister. Son regard si profond se charge d'exaspération mais il tend les doigts et s'empare du verre. Il le porte à sa bouche, en boit une gorgée sans me quitter des yeux puis le pose sur la première surface stable et mon sourire s'agrandit. Au moins, avec lui, ma soirée ne sera pas totalement désagréable.

Sentant l'approche de quelqu'un dans mon dos, je me retourne et découvre Shoda, dans un de ses perpétuels costumes de marque italienne, suivi de près par son nouveau bras droit. Je serre les mâchoires à la vue de Kaname. Si j'ai pu accepter sa présence auprès de l'Alpha voisin, je ne digère pas le fait qu'il se soit lié à un de mes loups. Je décide aussitôt de l'ignorer afin d'éviter tout débordement.

- Kei, me salue Shoda d'un hochement de tête que j'imite aussitôt.

- Shoda.

- Je suis heureux de voir un visage amical, poursuit-il en venant se placer à mes côtés pour regarder la foule.

- Tu ne connais personne ici ?

- Si, quelques uns d'entre eux. Makoto a été mon Alpha pendant quelques décennies.

Je suis des yeux la direction qu'il désigne et aperçois un homme dans la quarantaine, au bras d'une louve élégante et assez jolie.

- C'est la première fois que je viens en tant qu'Alpha à ce Sommet, m'avoue-t-il avant de remercier un serveur qui lui propose un verre.

Il boit une gorgée de champagne alors que je déclare :

- La participation n'est pas obligatoire, mais il vaut mieux que tu donnes ta propre version de l'histoire avant que les rumeurs n'enflent.

Il hoche la tête, convaincu par la discussion que nous avons eu il y a quelques jours à ce sujet. Malgré le nombre assez conséquent de loups et de Meutes au Japon, c'est un univers assez fermé où les rumeurs vont vite et sont rapidement déformées par le bouche à oreilles. Avec un tel déploiement de force sur nos territoires, de si nombreuses morts et l'actualité qui a clairement mis les noms de nos Meutes en évidence, il me semblait impératif de venir donner notre version au Sommet des Alphas.

Cet événement se tient tous les quatre ans, à Tokyo, et convie tous les Alphas du pays afin de partager des nouvelles, de débattre de certains sujets et de permettre de créer des alliances en tout genre. J'aurai aimé faire l'impasse pour une fois et éviter toutes ces mondanités qui m'agacent prodigieusement mais pour le bien de ma Meute, je préfère éviter toute rumeur négative qui pourrait amener je-ne-sais-quel-présomptueux à croire que j'ai perdu de ma hargne et qu'il peut venir me défier pour obtenir mon territoire ou mes loups.

Du coin de l'œil, je vois Kaname qui desserre sa cravate en remuant le cou, comme s'il étouffait dans cette tenue. Je remarque seulement son costume, qui a visiblement été choisi par Shoda. A l'instar de son Alpha, il a l'air d'un mafieux, même si pour sa part ce serait plutôt en tant qu'homme de mains, d'autant plus avec ses cheveux longs attachés à l'arrière de son crâne. Au moins font-ils la paire.

- Mal à l'aise ?, lui dis-je avec un sourire railleur.

Il croise mon regard un bref instant avant de le focaliser sur une zone de mon visage qui ne sous-entend pas un défi de dominance.

- C'est le premier costume que je porte, avoue-t-il sans agressivité.

- Aucun doute que ça te change de ton look de voyou.

Je vois ses mâchoires se contracter, sans doute parce qu'il se retient de m'envoyer une bonne répartie.

- S'il te plait, arrête de chercher mon loup, Kei, demande Shoda d'un ton tranquille.

- Pourquoi pas ? Lui ne se prive pas pour tester ma patience en franchissant sans cesse le périmètre de ma tanière.

Shoda adresse un regard interrogatif à son Premier Lieutenant qui me répond, de la tension dans la voix :

- Je ne le ferais pas si tu autorisais Shinichi à vivre avec moi.

- C'est trop tôt. Il est trop jeune, votre relation est trop récente.

Ce sont les arguments auxquels je m'accroche et qui me permettent de garder un certain contrôle de la situation. Même si à la vérité, je suis totalement dépassé.

- Ils sont en quelque sorte mariés, intervient Shoda à mon intention. Que ce soit récent ou non, qu'ils vivent ensemble est la suite logique de leur lien.

- Et ils habiteront sur quel territoire, le tien ou le mien ? Ils vivraient déjà ensemble s'ils étaient dans la même Meute, dis-je sèchement pour mettre fin à cette discussion.

Shoda esquisse un petit sourire mais ne commente pas, me trouvant sans doute amusant dans mon incapacité à accepter la situation. Il sait aussi que ce n'est ni le lieu, ni le moment d'en discuter sérieusement.

Ce n'est pas qu'ils soient homosexuels qui me dérange, ni que Shinichi se soit lié à quelqu'un. C'est juste que je me sens... spolié de mes droits d'Alpha. Le lien de compagnon surpasse celui de mon autorité. Shinichi m'échappe à cause de lui. Il m'obéit toujours mais je ne peux pas le séparer de cet insolent sans lui causer une souffrance psychologique. Je sais que je me comporte comme un gamin à qui on a volé son jouet, mais c'est le propre des Alphas. On a besoin de conserver le contrôle. Et sur cette relation, je n'en ai aucun.

Et c'est sans parler du fait que je n'apprécie pas Kaname. Il a provoqué beaucoup de problèmes, il a fait du mal à Shinichi. C'est comme de voir son fils sortir avec un salopard, ça ne passe pas. D'autant plus que Kaname franchit les limites du QG presque tous les jours pour rejoindre Shinichi dans sa chambre où ils s'adonnent à des activités qui ne peuvent pas passer inaperçues pour l'ouïe et l'odorat d'un loup-garou. Il provoque à chaque fois les détecteurs, au point qu'Hayate a fait en sorte que l'alarme se déclenche d'abord sur ses appareils avant d'informer toute la Meute. Les fausses alertes que l'intrus provoque en franchissant le périmètre deviennent trop récurrentes et nous voulons éviter l'agacement des loups. Même si je dois avouer qu'une part de moi aimerait bien que l'un d'entre eux foute ce petit insolent à la porte quand il débarque.

Évidemment, si je l'autorisais à venir officiellement, il passerait par le portail au lieu de sauter par dessus le mur d'enceinte et ne déclencherait pas les alarmes. Mais je ne suis pas prêt à faire cette invitation. Surtout pas quand je sais qu'il baise un de MES loups, dans MA maison, où il est entré SANS mon autorisation !

Quoiqu'il en soit je n'ai aucun moyen de les séparer sans les blesser tous deux. On a longuement discuté, Shoda et moi, de cette situation. Ne pas pouvoir avoir le couple sous notre responsabilité est une première, ça a de quoi nous troubler. Lui se satisfait plutôt bien de leur rapprochement et je le comprends : Shinichi ne peut qu'être bénéfique à Kaname. L'inverse n'est pas forcément vrai, ce qui me fait grincer des dents. Pourtant, je sais que je vais devoir m'y faire. Leur lien est désormais indestructible.

Quand Hayate sort son téléphone de sa poche et le lève en direction de Kaname, je lui envoie un regard d'avertissement qu'il ignore sciemment.

- Souris, Kaname, demande-t-il.

Le loup esquisse un petit sourire mal à l'aise et Hayate prend le cliché avant de déclarer :

- Je l'envoie à Shinichi. Il va adorer ta tenue.

- Il m'a déjà demandé de la porter la prochaine fois qu'on se verra, avoue le jeune loup avec une expression de tendresse exaspérée qui me fait froncer les sourcils.

Tout son corps, de l'expression de son visage, à la tension de ses épaules, et à la lueur dans ses yeux, évoque la douceur et une note claire de bonheur. Ça me déroute assez de découvrir à quel point Shinichi l'a changé et à quel point il lui est attaché.

Lorsque le téléphone bipe, Kaname se rapproche aussitôt pour voir la réponse de Shinichi et esquisse un sourire si immense qu'il me met mal à l'aise et que je me force à me détourner, comme si j'avais aperçu quelque chose d'intime. Je croise alors le regard de Shoda qui semble à la fois amusé et compréhensif.

Je pousse un petit soupir méprisant qui le fait ricaner, mais nous retrouvons notre sérieux rapidement alors qu'un Alpha s'approche de nous. Il s'agit d'Ogai, l'organisateur du Sommet depuis près d'un siècle, qui nous accueille avec un sourire amical et paternaliste, comme à son habitude. Shoda lui présente son nouveau Premier Lieutenant qu'il n'a jamais rencontré avant ce jour, puis Ogai s'assure que nous sommes bien installés.

Après quelques échanges courtois, il nous donne des recommandations au sujet des invités. Tout d'abord, de faire attention de ne pas évoquer le fils d'untel qui est mort lors d'une tentative pour être transformé en loup-garou, puis de ne pas être surpris de découvrir que la Meute nommée Raion a changé d'Alpha depuis quelques mois, avant de terminer par l'évocation de certains sujets qui seront abordés demain, lors du Sommet proprement dit. De mon côté, je demande des nouvelles de quelques Alphas que j'apprécie ou considère comme des amis afin de savoir s'ils se sont présentés. Sans surprise, je comprends que peu d'entre eux se sont déplacés, ce qui est logique vu que je les aime bien et qu'ils sont assez intelligents pour ne pas avoir envie de venir mesurer qui a la plus longue.

- Kei, je compte sur vous pour présenter Shoda à tout le monde, vu que c'est sa première présence officielle en tant qu'Alpha à ce rassemblement, déclare alors Ogai.

Je serre les dents à l'idée de devoir participer à toutes ses mondanités mais hoche toutefois la tête, ne pouvant pas refuser. Ogai organise ce Sommet depuis aussi longtemps qu'il existe et c'est grâce à lui que de nombreux problèmes de territoire sont évités. Il nous traite tous sur un pied d'égalité et fait en sorte que tout se passe pour le mieux, poussant les Alphas au dialogue et à des compromis. Shoda est un Alpha assez isolé, n'ayant que peu de contacts et l'aider à assurer sa position ne peut que faire perdurer la paix à Osaka.

Ogai tourne la tête vers la salle et avise un homme qui approche, accompagné de son Premier Lieutenant et d'une jeune femme. Je les reconnais aussitôt, vu que le premier est l'Alpha d'une Meute de Tokyo que j'ai côtoyée durant des années. La jeune femme est sa fille et je m'étonne de la voir ici. Il n'est pas interdit de venir avec sa famille humaine – les compagnes tout du moins – mais personne ne le fait. Les humains sont regardés de travers, même s'ils sont au secret, et ne sont pas franchement les bienvenus. C'est en partie pourquoi Shoda n'a pas emmené Jun. Elle a beau être sa femme, le fait qu'elle soit enceinte et qu'elle se retrouve au milieu de loups-garou aurait pu poser des problèmes insoupçonnés.

- Oh, Shoda, je vous présente Jinzô, l'Alpha de Ginza, déclare Ogai lorsqu'ils arrivent à notre hauteur. Sa Meute a pris le nom du quartier où ils vivent, même si leur territoire est un peu plus étendu que cela. Jinzô, je vous présente, Shoda, Alpha des Kuroi Tenshi d'Osaka et vous connaissez déjà Kei, Alpha des Ryuudan.

- En effet, répond l'homme avec un sourire hypocrite que j'ai toujours détesté.

Shoda et lui échangent quelques mots sur leurs territoires respectifs et en apprenant le nombre d'hectares de terre que possèdent les Kuroi Tenshi, je vois son sourire devenir plus figé, moins vaillant. Cela m'amuse beaucoup. Tant d'Alphas s'échinent à vouloir rester à Tokyo, prétendument car il n'y a pas meilleur endroit que la capitale pour se fondre dans la masse. Je les trouve stupides. Il y a de nombreuses grandes villes au Japon où cette commodité est aussi possible, tout en gagnant de l'espace et de la qualité de vie.

Je sens un déchargement de puissance sur ma gauche et tourne la tête pour découvrir deux hommes qui se font face, un peu plus loin, le visage durci par la colère. Ogai s'excuse aussitôt avant de les rejoindre afin de faire baisser la tension et d'éviter une bagarre. Même des hommes responsables, vieux de plusieurs décennies, peuvent en venir au mains. Nous restons des loups-garou, versatiles et si sensibles aux jeux de dominance que cela en est presque comique parfois.

Je reporte les yeux sur ceux qui nous ont rejoint et réalise soudain que la fille de Jinzô – dont j'ai oublié le prénom – n'est plus humaine. Elle est devenue une louve. Sa maîtrise laisse entendre que cela fait bien deux années qu'elle a changé d'état. Sa robe de luxe très décolletée, ses nombreux bijoux clinquants et son maquillage appuyé la rendent presque vulgaire. Au moins ne porte-t-elle pas de parfum trop entêtant.

Alors que Jinzô échange toujours avec Shoda, je remarque qu'elle ne quitte pas Hayate des yeux. Ce dernier l'ignore poliment en regardant ailleurs mais je note la tension dans ses épaules. D'un pas de côté, je me place dans son champ de vision et interpèle Jinzô.

- Mon cher, je vois que ta fille a passé l'épreuve de la transformation avec succès.

Moi aussi je peux jouer au faux-cul. Avoir l'air aimable et intéressé a été un des moyens que j'ai utilisé pour conserver de bonnes relations avec mes voisins. D'ailleurs Jinzô se laisse prendre car il sourit de fierté et d'orgueil avant de présenter sa fille à Shoda et moi-même. Je l'avais déjà croisée mais une présentation officielle m'autorise à lui adresser la parole en présence d'un membre de sa Meute – le protocole entourant les louves m'ennuie au moins autant que les réunions petits-fours avec des Alphas qui aiment mesurer leurs puissances et vanter leurs mérites.

Je félicite la jeune femme pour son changement, parce que c'est ce qu'on attend de moi et la fait parler d'elle aimablement, tentant d'avoir l'air sincèrement intéressé. Malheureusement, mon stratagème ne fonctionne pas car, malgré ses réponses, elle ne cesse de lancer des coups d'œil à mon Premier Lieutenant. Elle finit même par oser demander qu'on la présente et je m'y plie de mauvaise grâce.

- Karin, voici Hayate, mon Premier Lieutenant.

- Enchantée, Hayate, dit-elle en s'approchant avec un joli sourire. J'ai tellement entendu parler de vous et de vos exploits. Vous êtes, à ce qu'il paraît, le loup le plus puissant de tout l'archipel du Japon !

Son père, entendant son commentaire, se renfrogne et intervient :

- Certains Alphas sont plus puissants, ma chérie.

- Seulement parce qu'ils combinent leur puissance à celles de leurs loups, réplique-t-elle doucement. Si Hayate devenait Alpha, aucun doute qu'il serait indétrônable.

Le silence suivant cette remarque pousse mon Lieutenant à répondre, sans émotions :

- Je n'éprouve pas le désir d'être Alpha.

- Pourquoi cela ?, s'étonne la jeune fille avec une expression candide.

- C'est un rôle difficile et astreignant qui demande de la clairvoyance et beaucoup de sacrifices. Avoir la responsabilité de la vie de ses loups est une chose qui ne m'attire pas.

- Doutez-vous de vos capacités à pouvoir contrôler des loups ?, questionne-t-elle encore.

J'essaie de savoir s'il s'agit d'une pique, ou d'une douce naïveté. Difficile de me décider.

- Cela n'est pas soumis à question vu que je ne compte pas diriger une Meute.

- Et il contrôle très bien tous les loups de ma Meute sous mes ordres, dis-je pour clore le débat. Certaines personnes n'ont aucune envie de devenir les leaders d'un groupe. Cela n'a rien de surprenant. Vous rencontrerez bien des loups-garou, au cours de votre longue vie, qui préfèrent se placer sous l'autorité d'un autre que de prendre la tête d'une Meute.

- Cela reste surprenant pour le loup le plus dominant du Japon, réplique Karin avec une moue innocente.

J'ai envie de lever les yeux au plafond mais me retiens pour éviter de contrarier son père. Ce dernier change d'ailleurs de sujet pour me donner quelques nouvelles d'autres connaissances que nous avons en commun. Je tente de m'intéresser à son discours, mais mon attention reste focalisée sur Karin qui continue de contempler Hayate avec un air presque enamourée et va même jusqu'à se rapprocher de lui pour lui glisser quelques mots. Je tends l'oreille pour capter son commentaire :

- Je vous ai déjà croisé lorsque vous veniez traiter avec mon père. Je dois vous avouer que vous avez été le premier homme à faire battre mon cœur lorsque j'étais une toute jeune adolescente. Je suis ravie de pouvoir vous rencontrer à nouveau et faire plus ample connaissance.

Si je n'étais pas si furieux face à ce rentre-dedans à peine voilé, je m'amuserai sans doute de l'embarras de mon Premier Lieutenant. Sauf qu'avec un coup d'œil, je constate qu'il n'affiche aucune expression et ne semble pas plus gêné que cela. Il répond d'ailleurs d'un ton neutre :

- Je vous remercie pour votre sollicitude mais je ne souhaite pas faire de rencontre.

Avant qu'elle ait pu ajouter quoique ce soit, il s'approche de moi, se hausse sur ses pieds pour atteindre mon oreille et je me penche pour écouter son murmure :

- Puis-je m'éloigner quelques instants ?

Je hoche la tête pour acquiescer et il s'éloigne d'un pas tranquille, loin de la jeune femme et de ses intentions. Le connaissant, il va sans doute attendre qu'elle s'en aille avant de revenir vers moi, non dans l'intention de la blesser mais afin d'éviter de devoir la rejeter plus ouvertement et de créer des tensions inutiles.

Ce n'est pas la première fois qu'Hayate est convoité. Sa dominance, qu'il calfeutre pourtant avec brio, en attire plus d'un. La plupart souhaite l'avoir comme membre de leur Meute, au poste de Premier Lieutenant en général, mais quelques louves, plus ambitieuses que d'autres, voient en lui le moyen de devenir toute puissante. Puisque les louves acquièrent leur statut grâce à la dominance de leur compagnon, Hayate devient le parti le plus enviable de tout le pays. Cela fait de lui presque un Prince. Sans pouvoir réel, mais avec les capacités d'en obtenir s'il le souhaite, par sa simple volonté et par son aura, capable de dominer même des Alphas déjà puissants.

Je ne cesse de craindre le jour où l'un de ces derniers, voyant en lui un risque pour sa survie ou sa pérennité en tant que Chef de Meute, décidera de le faire assassiner afin d'éliminer toute concurrence. Le fait qu'Hayate déclare ouvertement son absence de désir de prendre la tête d'une Meute est sans doute la seule chose, à l'heure actuelle, qui retient certains d'entre eux de passer à l'acte.

Après quelques instants d'une conversation presque unilatérale, Jinzô nous quitte, emportant sa fille visiblement déçue et mécontente et son Premier Lieutenant avec lui.

- Tu as l'air contrarié, commente Shoda avec un petit sourire dès que nous nous retrouvons seuls.

- Ce genre de soirée m'horripile, dis-je sincèrement.

Je pose les yeux sur lui puis sur la salle et soupire.

- Bien, je vais te présenter quelques personnes. Des Alphas de valeurs. Malheureusement, il n'y en a pas tant que cela, la plupart sont terriblement arrogants.

- Et l'arrogance, ça vous connaît, déclare une voix derrière moi.

Je me retourne aussitôt vers Kaname qui vient de lâcher cette remarque et qui doit sans doute se trouver drôle.

- Tu es ici pour protéger ton Alpha, lui venir en aide si besoin, et montrer surtout à quel point tu es discipliné et prêt à tout pour lui, pas pour faire des commentaires désobligeants envers une personne qui peut t'écraser d'une seule main.

- Quand je disais que vous êtes arrogant, réplique-t-il avec un sourire de mépris. Mais ça n'a rien d'étonnant de la part d'un homme qui empêche un de ses loups de vivre sa vie, tout simplement parce qu'il est incapable de supporter ce qu'il considère comme une défaite.

- Est-ce que tu as vraiment envie que je te remette à ta place en public, Kaname ? Cela ne ferait pas de bien, ni à ton égo, ni à la réputation de ton Alpha.

- Je ne cherche pas la bagarre, mais je ne fermerai pas ma gueule juste parce que la vérité vous déplait.

- La vérité ? Parlons de vérité. Celle des crimes que tu as commis peut-être ? Ce n'est pas parce que j'ai signé un accord pour ne pas chercher de représailles que cela fait de toi quelqu'un de pur et sans tâches. Si tu veux le bonheur de Shinichi, apprends à respecter le fait que ceux qui tiennent à lui n'ont aucune envie de le laisser entre tes mains sans avoir aucun contrôle sur la situation.

Kaname affiche un air choqué, très vite suivi par une expression de colère, qui lui fait froncer les sourcils.

- Je ne lui ferai plus jamais de mal !

- Cela reste encore à prouver. En attendant, ferme ta grande gueule, agis comme un Premier Lieutenant et évite de faire honte à ton Alpha. Ce sera déjà un bon début.

Je lui tourne le dos, mettant fin à cet échange et croise le regard de Shoda, qui tente visiblement de ne pas intervenir.

- Tu es censé le contrôler, lui dis-je en tentant d'avoir l'air moins sec.

- Je le contrôle lorsque c'est nécessaire. Je n'aime pas brider mes loups. Si Kaname se frotte à plus fort que lui, il doit apprendre à ne plus le faire de lui-même, plutôt que je lui en donne l'ordre.

- Tes méthodes sont franchement dangereuses pour la survie de tes loups.

- Je gère un groupe qui a du mal avec l'autorité sous toutes ses formes, j'ai du m'adapter.

- Attention à ce que cela ne soit pas jugé comme du laxisme par une certaine organisation qui te surveille encore.

- Si laisser mes loups exprimer leurs opinions sans que j'intervienne est du laxisme, alors qu'il en soit ainsi. Je ne suis pas un foutu gardien de prison, mais un guide et un protecteur.

- Alors protège ton Premier Lieutenant de moi en lui ordonnant de cesser de me provoquer.

Je ne prétends pas être quelqu'un de parfait. J'ai des défauts et des gros. La mauvaise foi en fait partie, malheureusement. Si j'étais vraiment honnête, je donnerais raison à Kaname sur certains points. Oui, je suis arrogant. Oui, je considère leur relation comme un échec de ma part et je me sens incapable de laisser Shinichi m'échapper encore plus pour roucouler avec un homme que je n'apprécie pas et qui a déjà prouvé plusieurs fois qu'il est dangereux.

J'ai toutefois conscience que j'exagère et que Kaname n'est plus le même, que je devrais faire un effort. Mais ma colère est encore trop profonde pour que j'y parvienne. S'il était un tant soit peu intelligent, Kaname saurait qu'il vaut mieux me ménager le temps que je puisse rationaliser mes pensées et mes sentiments. Shinichi le fait bien, lui ! Depuis qu'il a osé me demander de vivre ailleurs que chez moi et a obtenu une réponse négative, il a accepté la situation. Je sens bien sa mélancolie parfois, sa douleur aussi quand Kaname lui manque, mais il ne tente plus de me faire sortir de mes gonds, ne vient pas me chercher pour me pousser à bout. Son mec devrait sérieusement agir sur le même modèle avant que je perde patience.

Parce que son Alpha a l'air d'hésiter à savoir qui engueuler entre moi et Kaname, je reprends d'une voix confiante et aussi raisonnable que possible :

- Shoda, il y a une sérieuse différence entre laisser un de tes loups exprimer une opinion, ou le laisser se montrer désobligeant, insultant ou irrespectueux envers un autre Chef de Meute. La seule raison pour laquelle il n'est pas déjà à genoux, la gorge dévoilée, c'est parce que je ne veux pas d'autres tensions entre nos Meutes. Mais je ne suis pas le seul Alpha de l'assemblée. Je te dis cela pour son bien à lui.

Il semble réfléchir à mes paroles et en prendre la mesure. Kaname doit rester à sa place en présence d'Alphas. Très peu accepteront qu'il l'ouvre en leur présence, d'autant moins si c'est pour dire des conneries.

Shoda finit par adresser un regard dur à Kaname et ce dernier soupire avant de hocher la tête. Il se tourne vers moi, sans croiser mon regard.

- Très bien, dit-il d'une voix aussi mesurée que possible. Je n'aurais pas du vous traiter d'arrogant. Cette histoire avec Shinichi me pèse. Nous pourrions en discuter comme des adultes.

Cette preuve de bonne volonté est clairement un changement dans son attitude d'ordinaire si agressive. Il a appris à tenir en laisse son sale caractère quand cela concerne le bonheur de Shinichi – et le sien aussi sans doute.

- J'accepterai d'en discuter posément si tu n'entres plus dans mon QG sans mon autorisation.

Il lève brusquement les yeux et j'y lis une lueur de pure souffrance, alors même qu'un tressaillement fait trembler tout son corps. Je suis touché aussitôt par sa détresse aussi vive qu'immédiate et le rassure malgré moi :

- Je ne vous empêcherai pas de vous voir.

Il semble toujours tendu mais sa souffrance s'allège visiblement et je poursuis d'une voix plus douce :

- Il faut que tu comprennes une chose. Ma tanière est un endroit où mes loups sont censés être en sécurité, pouvoir être eux-même, se détendre et baisser leur garde. Quand tu pénètres chez moi, tu désacralises l'endroit, tu l'entaches et les prives de l'abri qu'ils méritent.

- Je n'y avais pas pensé, avoue-t-il ayant l'air soudain un peu gêné.

- J'aurais donné une bonne leçon à n'importe quel autre loup qui aurait osé me faire une telle insulte, j'ajoute plus sèchement, mais si je te touche, je blesse Shinichi et ça, je ne le souhaite pas.

Je vois dans ses yeux que lui non plus ne souhaite pas que son compagnon soit blessé par ce qui lui arriverait. Il hoche alors la tête dans un accord silencieux et respectueux qui allège un peu mon ressentiment envers lui.

- Prouve que tu mérites Shinichi, dis-je finalement avant de me détourner.

A lui de jouer désormais. S'il agit comme il faut, je n'aurai plus de raison de m'opposer à leur rapprochement, ou à leur emménagement. Du coin de l'œil, j'avise son air lointain, plein de réflexion, qui m'assure qu'il pense sérieusement à ce qui vient d'être dit. Shoda m'adresse un regard partagé entre l'irritation et l'amusement et je lui rappelle que j'ai des Alphas à lui présenter. Il accepte ce changement de sujet et je l'entraîne à travers la salle de réception pour le présenter aux uns et aux autres.

Au gré de ces si pénibles mondanités, j'observe la facilité avec laquelle il entame des conversations, se faisant très vite bien voir par la plupart de ceux à qui je le présente. Son charisme tranquille, sa verve facile et ses sourires aimables font qu'il est tout de suite apprécié sans qu'aucun ne cherche à tester sa dominance ou à le prendre de haut.

Malgré la satisfaction que je ressens à le voir évoluer avec tant de facilité dans cette pièce, un malaise insidieux commence à s'éveiller en moi au gré des minutes. Je ne le réalise pas tout de suite, mais peu à peu et je finis par comprendre de quoi il s'agit : Hayate aurait du revenir vers moi depuis un moment déjà. Il est parfois tellement silencieux et discret que je peux oublier sa présence à mes côtés mais son absence est comme palpable.

Tout en guidant Shoda et en le présentant, je le cherche des yeux et me rassure en l'apercevant dans un coin de la pièce, dans l'ombre, gardant un œil sur moi. Sans doute n'a-t-il pas envie de se mettre en avant et de risquer de recevoir d'autres commentaires comme ceux de Mochiaki dans l'ascenseur ou de Karin un peu plus tôt. Je le comprends dans un sens et tant qu'il reste à portée de regard, je le laisse gérer ça comme il l'entend.

Toutefois, quand vingt minutes plus tard, il se fait aborder par Etsuji, un Alpha ambitieux avec qui j'ai un passé douloureux, je suis incapable de rester loin de lui plus longtemps. Je m'excuse auprès de Shoda et de son interlocuteur, assez confiant dans le fait qu'il s'en sortira très bien sans moi, et traverse toute la salle d'une démarche assurée et vive pour que personne ne tente de m'arrêter. Mon ouïe sensible parvient à capter leur échange en même temps que j'examine leurs mouvements.

Hayate est appuyé contre le mur, les mains dans les poches, car il n'a pas besoin de prendre une posture menaçante afin de se sentir plus fort ou d'intimider les autres. Le regard qu'il pose sur Etsuji n'exprime rien et est juste terriblement attentif. Ce dernier a posé une main sur le mur, près de sa tête et bouge l'autre main pour souligner ses propos, un sourire charmeur aux lèvres et exprimant la décontraction de tout son corps. Il est bel et bien en train de tenter de le séduire, non pas pour l'avoir dans son lit, mais pour l'avoir dans sa Meute.

- Si tu rejoignais ma Meute, tu ne manquerais jamais de rien, lui dit-il de cette voix suave qui se veut convaincante. J'ai un immense appartement avec une vue splendide, rien que pour toi. Tu auras une voiture de fonction que tu pourras choisir. Je ne regarderai pas à la dépense. Et tu n'auras qu'un mot à dire pour avoir toutes les filles que tu veux dans ton lit. Je soigne mes collaborateurs et les traite comme des princes. Tous tes désirs seront comblés si tu rejoins ma Meute et que tu travailles en tant que Premier Lieutenant à mes côtés.

- Je sais comment tu traites ceux qui travaillent pour toi, réplique-t-il sans émotion.

Je ralentis le pas, n'étant pas certain de vouloir débarquer maintenant que ce sujet est abordé. Le rire d'Etsuji, léger et nonchalant crispe quelque chose au fond de moi, comme un mauvais souvenir qui se cristallise.

- Ils ne font jamais rien qu'ils ne soient pas prêts à faire, dit-il, toujours aussi confiant.

- C'est ce que tu leur fais croire, assène Hayate. Au risque qu'il se perde eux-même dans tous tes trafics et autres magouilles. Je ne travaillerai pas pour toi Etsuji, même si tu m'offrais la lune.

Réconforté par cette déclaration, j'accélère à nouveau le pas et les rejoins avant que l'Alpha ait pu insister. Le regard d'Hayate se pose sur moi seulement lorsque je m'arrête derrière Etsuji, mais je sais qu'il m'a senti approcher depuis l'autre bout de la pièce.

- Je crois que ta mémoire te fait sérieusement défaut, dis-je d'une voix calme mais glaciale. Aurais-tu oublié ce qui s'est passé la dernière fois que tu as tenté de tenir tête à Hayate ?

Etsuji se détache du mur pour se tourner vers moi, un sourire insolent accroché à ses lèvres trop fines. Il me détaille de haut en bas, avec condescendance, me rappelant qu'il y a quelques décennies, il arrivait à me faire me sentir faible et insignifiant juste avec un regard.

- Nous avons réglé ce différent depuis longtemps. N'est-ce pas ?

La question est pour mon second qui se détache du mur et s'approche de moi pour se tenir à mes côtés et afficher ainsi clairement à qui va sa loyauté. Cela m'aide à affirmer un peu plus ma confiance en moi. Entre mes vieux souvenirs désagréables et le fait qu'Etsuji est l'un des quelques Alphas plus dominants que moi, son soutien est réconfortant.

Je suis plutôt dominant parmi les loups du Japon, mais entre Hayate qui est tout en haut de la chaîne alimentaire et moi, il y a plusieurs Alphas et quelques rares solitaires qui foulent l'archipel. Malheureusement, Etsuji en fait partie et j'ai eu la bêtise de le laisser être mon Alpha à une époque troublée.

- Voyons, Hayate, reprend-il d'un ton mélangeant amusement et exaspération. Tout le monde sait que tu ne veux pas prendre la tête d'une Meute mais que tu veux faire partie de l'une d'elle. Mais pourquoi choisir celui-là comme Alpha ? Il est très dominant, je te l'accorde, mais il y a des Alphas bien plus puissants qui seront ravis de t'accueillir et j'en fais partie.

- Les Ryuddan sont ma famille, rétorque Hayate d'un ton neutre.

- Si ce n'est que cela, je peux parfaitement intégrer ta famille à la mienne.

Je grogne aussitôt, parce qu'il s'agit d'une menace. Celle de me renverser et de me voler mes loups. Etsuji rit de ma réaction, ne semblant pas du tout perturbé par ma colère, mais son amusement disparaît alors qu'une sensation électrique vient couvrir notre peau de chair de poule. Je tourne les yeux vers Hayate, oubliant ma colère alors qu'il libère doucement son aura de dominant. Même sans loups sous ses ordres, sans être un Alpha qui peut ainsi puiser dans la puissance des membres de sa Meute, il est plus dominant qu'Etsuji... ou moi.

Je sens ma peau picoter jusqu'à ce que ça devienne presque une démangeaison désagréable. Je me retiens pourtant de bouger, ne voulant pas m'éloigner et me désolidariser d'Hayate. Mon loup, conscient que ce déploiement de dominance n'est pas contre lui, reste sage mais sur ses gardes alors qu'Hayate continue de lever le voile sur sa pleine puissance avec assez de douceur pour qu'on sente la menace lente mais insidieuse de la mort sur nous.

Les conversations s'allègent autour de nous, les regards se tournent dans notre direction, certaines personnes, parmi les plus faibles, commencent à trembler et j'entends quelques verres se briser sur le sol à cause de doigts devenus mal-habilles. Un loup qui est soumis à un autre Alpha est en général protégé de l'aura d'un autre, même assez puissant... mais celle d'Hayate n'a pas de commune mesure. S'il peut faire trembler un Alpha, alors il peut mettre à genoux n'importe quel loup.

Etsuji ne fanfaronne plus alors qu'il reçoit le plus gros de son aura, en étant si proche et en étant visé. Je me demande jusqu'où va aller Hayate et si c'est bien intelligent de faire savoir à tous les Alphas du pays à quel point il peut être dangereux. Mon inquiétude me pousse à vouloir le calmer, mais je suis incapable de bouger, soufflé d'admiration et hypnotisé par ce qu'il dégage. Ce loup si puissant est à moi et une part purement animale de mon être et qui ne veut pas le dominer, en est profondément fière.

Soudain, Ogai nous rejoint, tremblant et bafouillant à moitié.

- Messieurs, s'il v-vous plait... C'est... Soyons ci-civilisés.

Je garde les yeux rivés sur Hayate alors qu'il plonge son regard dans celui d'Etsuji et le domine totalement. Lorsqu'il parle, mon corps frissonne sous la menace que ses quelques mots dégagent, même s'il se contente de les murmurer :

- Ne menace plus jamais un Ryuudan.

Puis, comme s'il avait soudain claqué une porte, son aura disparaît en une seconde et il redevient mon Premier Lieutenant discret et silencieux. Il recule d'ailleurs pour se tenir près de moi, presque dans mon dos et sous la pression soudain disparue, j'inspire profondément et pose les yeux sur Etsuji encore tremblant. Il serre les mâchoires en réalisant son humiliation publique puis s'éloigne d'un pas vif. Ogai bredouille à nouveau, troublé et je me tourne vers lui.

- Toutes nos excuses pour le dérangement, dis-je d'une voix douce et maîtrisée. Nous allons nous retirer et vous laisser profiter de la soirée.

J'incline légèrement la tête en signe de respect et d'au revoir avant de m'avancer dans la salle toujours aussi étrangement silencieuse. Je remarque avec soulagement que personne n'est à genoux, la gorge dévoilée. Avoir soumis des loups, qu'ils soient Alphas ou non, aurait sérieusement posé problème. Mais Hayate a fait en sorte de diriger son aura sur Etsuji et de ne pas la sortir à pleine puissance, d'un seul coup. Ça a aidé. Ainsi que le fait qu'il n'y avait pas grand monde autour de nous.

Les gens s'écartent de notre passage sans un mot, le regard parfois méfiant, parfois courroucé. J'espère sincèrement que ce déploiement de force ne nous a pas valu de nouveaux ennemis. Je suis lassé des guerres et de la souffrance.

Je respire un peu mieux lorsque nous atteignons les ascenseurs. Hayate ne dit pas un mot et refuse de croiser mon regard durant toute la montée vers notre étage. Je le précède jusqu'à la chambre et lui tiens la porte ouverte. Ce n'est qu'une fois que je l'ai fermée derrière nous, que je prends enfin la parole.

- Tu n'aurais pas du faire ça, lui dis-je doucement.

- Il a menacé de te tuer, rétorque Hayate en retirant sa veste.

- Il n'est pas le premier à l'avoir fait.

- Mais il est le seul à croire qu'il est en droit de le faire !, s'exclame-t-il en se retournant vers moi.

Hayate n'est pas du genre à montrer ses émotions, aussi ce genre d'éclat est assez rare. Mais lorsque je vois que ses yeux brillent toujours de stries couleur émeraude, je comprends que son loup est encore proche de la surface. Plus un loup est dominant, plus il est protecteur. Alors chez Hayate, c'est assez phénoménal. Heureusement que son caractère mesuré, son incroyable intelligence et son contrôle parfait l'aide à se comporter de manière très raisonnable et même à effacer parfois cet instinct.

J'évite de regarder droit dans ses yeux, afin que mon loup ne se sente pas mis au défi et m'avance dans le salon de notre suite pour retirer à mon tour ma veste et aller me servir un verre d'alcool au mini-bar.

- Je crains que cette démonstration de force pousse certains Alphas à vouloir te faire assassiner, dis-je d'une voix calme tout en versant l'alcool.

- Je ne pouvais pas le laisser croire que tu étais faible et sans défense, Kei !

Sa voix garde une note déterminée, même si elle est plus posée et je suis un peu soulagé quand je l'entends s'asseoir dans un canapé. Un loup agité ne se serait pas assis. Hayate est en train de reprendre son calme habituel. Dans quelques minutes, il n'y paraîtra plus.

- Il te voulait à ses côtés pour ta puissance, dis-je en soulevant mon verre pour en boire une gorgée.

L'alcool me brûle la gorge mais m'offre un certain soulagement à la fois, dû à la familiarité du goût sur ma langue. Je me retourne et le trouve en effet assis sur le canapé, ses yeux presque totalement revenus à la normale.

- En la dévoilant, tu vas attiser le désir d'autres, ou leur faire assez peur pour qu'ils veuillent t'éliminer. Ce n'était pas une bonne stratégie.

- Je sais, dit-il posément. Mais cet homme avait besoin d'une leçon. Tu aurais du me laisser le tuer à l'époque.

J'observe son beau visage angélique, à mi-chemin de l'enfance et de l'âge adulte, qui parle d'une condamnation à mort sans aucune hésitation.

- Il a presque réussi à te détruire, me rappelle-t-il avec une pointe de dureté dans la voix et dans le regard.

- Je n'ai pas oublié, mais tu ne peux pas tuer tous ceux qui sont plus forts que moi.

- Pourquoi pas, si cela te garde en sécurité ?

J'esquisse un sourire attendri parce que je sais – du moins j'espère – qu'il n'est pas vraiment sérieux et qu'il a juste à cœur de me protéger.

- J'ai fait de mauvais choix, dis-je finalement en retrouvant mon sérieux. Ces mauvais choix ont eu de lourdes conséquences. Tu n'as pas à en payer le prix à ma place.

Voyant qu'il s'apprête à protester, je lève la main pour le retenir et ajoute :

- Je te fais confiance pour protéger mes arrières, pour être à mes côtés en cas de conflit, mais pas pour abattre tous les obstacles qui pourraient se dresser sur mon chemin. Je ne suis plus l'homme qu'Etsuji a manipulé, tu m'as aidé à dépasser ça. Ne me donne pas l'impression d'avoir de nouveau besoin d'une béquille ou tu vas sérieusement froisser mon égo.

Il reste silencieux un instant avant de hocher la tête et de se lever.

- Demain, je me ferai discret pour faire redescendre les craintes des Alphas.

- Merci.

Il hoche la tête et récupère sa veste abandonnée sur le dossier d'un siège avant de quitter la pièce pour rejoindre sa chambre. Je m'approche de la fenêtre, mon verre à la main et le sirote tout en observant les lumières de la ville. Non, aucun doute, Tokyo, ses Alphas prétentieux et ses souvenirs difficiles, ne me manquent vraiment pas.

Remarque de fin : Pour ceux qui seraient intéressés à l'idée de me rencontrer, je serai à la Y/con, à Paris, le 12 et 13 novembre 2016. Le samedi, je serai présente toute la journée dans les allées et vous pourrez me trouver sur le stand de MxM Bookmark de 16h à 18h où je serai en dédicaces pour la sortie du tome 2 de « Tout est une question de choix ». Le dimanche, je serai à nouveau en dédicaces au même endroit de 10h30 à 11h30. Je propose aussi une rencontre avec mes lecteurs le dimanche midi. Je donnerai plus d'informations par Facebook très bientôt mais pour ceux qui ne peuvent pas me contacter par ce biais, n'hésitez pas à me laisser un MP ! ^^ A très bientôt !