Romance, contemporain, M/M, Nouvelle
Nombre de page: 25 - Nombre de mots: 14 310
Publication: 21/01/2017
Résumé: Cela fait six ans que Nils et Célestin forment un couple solide et heureux. Une histoire d'amour sans nuages ou presque... Car il y a ce secret qui voile parfois le bonheur de Nils. Nils ne considère pas ce non-dit comme un secret, il espère seulement que Célestin ne connaitra jamais ce qui lui pèse sur la conscience.
Cependant quand Nils est arrêté, la vérité refait surface...
Auteur: Yomika & Béta orthographe : En attente & Béta sens: Enais66
Sous silence
Quand il poussa la porte de son appartement, Nils entendit presque les gons grincer en signe de protestation. Ça faisait un peu plus d'un mois qu'il n'était pas rentré et à peine à l'intérieur, il eut envie de repartir. C'était déprimant de revenir ici. Le studio était à l'image de son quartier, miteux et un peu craignos. C'était à l'opposé du F4 de Célestin placé dans un quartier populaire et touristique.
Si à un moment de sa vie son appartement avait été tout ce qu'il possédait et son refuge, aujourd'hui, ce n'était plus qu'un stigmate de son passé. Un post-it dérangeant de ce qu'il avait fait pendant plus de cinq ans avant de rencontrer Célestin.
Il ne savait même pas pourquoi il s'obstinait à refuser d'emménager avec son homme. Depuis plus de six ans qu'ils sortaient ensemble, la question revenait régulièrement tous les cinq-six mois. Et tous les cinq-six mois, ils se fâchaient quelques jours quand Nils lui répondait non. Ça ne durait jamais longtemps. Au bout de vingt-quatre heures, ils se manquaient déjà. Après, c'était à celui qui céderait et ferait le premier pas vers la réconciliation.
Célestin ne comprenait pas son obstination et lui non plus d'ailleurs. Ils vivaient déjà pratiquement ensemble. Il avait plus d'affaire chez son mec que chez lui et son frigo contenait, en tout et pour tout, une dizaine de petits sachets de moutarde récupérés dans un fast-food. Il avait même déplacé toutes ses plantes chéries chez Célestin. Il n'y avait plus rien ici auquel il tenait.
Son studio était vide la plupart de l'année et ne servait qu'à recevoir ses amis ou ceux de Célestin. Mais il n'arrivait pas à s'en séparer. Une petite voix vicieuse, qu'il n'arrivait pas à faire taire, le mettait en garde chaque fois que la question revenait. Et s'il apprenait ce que tu faisais avant de le rencontrer ? Tu crois qu'il resterait avec toi ? Et après, quoi ? Tu seras à la rue ? Tu connais bien la rue, hein, Nils ? Il n'aimait pas cette voix car elle le faisait flipper. Plus que de se retrouver sans rien, c'était de se retrouver sans Célestin qui lui foutait les jetons.
En six ans, Célestin avait pris un place qu'il n'avait absolument pas prévu de lui donner. Quand Nils s'était mis avec lui, ça avait été comme ça. Parce que c'était sympa et qu'il le trouvait mignon avec son bégaiement et son peu de confiance en lui. Et puis tout était devenu dangereusement sérieux. Il ne s'était pas attendu à ce que Célestin lui fasse ressentir autant de choses, tous ces trucs sur l'amour auquel il ne croyait pas. Il s'était mis à aimer cet homme. Genre vraiment l'aimer, d'un amour sincère et tout le pataquès qui va avec.
Quand il avait compris qu'un sourire de Célestin pouvait éclairer sa journée, il s'était su fichu. Et quand il avait commencé à s'imaginer vieillir avec lui, il avait arrêté de lutter contre ses sentiments. C'était comme ça, il l'aimait, point barre. Il avait dû apprendre à vivre avec la peur constante qu'en apprenant son passé, Célestin le quitte.
Alors, il gardait son appartement pour le au cas où et profitait des absences de Célestin pour venir nettoyer.
Son studio mesurait à peine une quinzaine de mètres carrés. La kitchenette faisait face à un lit deux places qui occupait pratiquement tout l'espace. Il y avait à peine la place pour sa minuscule table et son unique chaise. Tous ses meubles étaient de la récup, la seule chose qu'il s'était offert était le confortable matelas. Même Célestin reconnaissait qu'il était merveilleux. Mais quand Nils lui avait proposé d'intervertir leurs matelas, son homme l'avait fusillé du regard. Il était hors de question qu'il dorme plus qu'épisodiquement sur quelque chose où Nils avait baisé d'autres hommes. C'était à peu de chose près ce que Célestin avait lâché avant de détourner le regard. Il ne pouvait même pas lui retourner l'argument puisqu'il avait été le premier homme de son homme.
Quand, pour la première fois, Nils avait poussé Célestin sur ce lit dans l'intention de le baiser jusqu'à lui en faire perdre la tête, il n'avait pas compris l'appréhension dans son regard. Il avait continué mais, après l'avoir déshabillé, lorsqu'il lui avait caressé l'anus Célestin avait commencé à paniquer. Genre tendu à l'extrême et yeux grands ouverts avec pupilles dilatées. En premier Nils avait cru qu'il n'aimait pas être en-dessous. Il lui avait proposé d'échanger, se foutant vraiment de qui prenait qui du moment que l'un prenait l'autre, mais Célestin avait secoué la tête. Nils avait soulevé un sourcil impatient attendant que Célestin se décide à lui expliquer ce qu'il n'allait pas. Ce qu'il avait essayé de faire. Son bégayement d'habitude léger avait pris des proportions effrayantes. Célestin n'était même pas arrivé à aller au-delà de la première lettre. Un foutu V que Nils avait été incapable d'interpréter.
Quand après bien plusieurs minutes, Nils avait réussi à assembler le mot vierge, il n'avait pas pu s'empêcher d'exploser de rire. C'était impossible, à vingt-neuf ans, on ne pouvait pas l'être. Et surtout pas le mec en-dessous de lui. Bien trop mignon pour ne pas s'être déjà fait baiser. Célestin l'avait poussé et récupéré maladroitement ses affaires éparpillées un peu partout dans le studio.
Sur le coup, Nils avait pensé : Merde, il l'est vraiment. Ça l'avait laissé complétement abasourdi ! Il avait repris ses esprits juste à temps pour bloquer la porte d'entrée avant que Célestin ne s'échappe. Toujours incapable de parler, réduit au silence par son bégayement, Célestin était resté silencieux et terriblement mal à l'aise face à lui.
— Je suis désolé, ok, lui avait dit Nils en lui prenant la main.
Un poing tremblant et complétement crispé.
— Je ne voulais pas me moquer. C'est juste… Tu vois.
Le regard que Célestin lui avait lancé disait clairement : Non, je ne vois pas. C'était très humiliant.
— Je ne m'attendais pas à ce que tu sois… Vierge, avait-il lâché enfin en guise d'explication.
Il n'avait vraiment pas eu mieux.
— Reste, s'il te plait. Je n'ai pas envie que tu partes. Je suis désolé d'avoir ri mais franchement on s'en fou un peu, pas vrai ?
En vrai, il avait menti. Le fait que Célestin soit encore puceau l'avait rendu doublement désirable. Même plus que ça, il n'avait jamais autant bandé à l'idée de pénétrer quelqu'un. Il serait le premier de cet homme, ça avait quelque chose de… Nils s'était senti chanceux et honoré. Sa première fois remontait à tellement loin, il y en avait eu tellement après. Le sexe n'avait aucun sens pour lui. C'était juste du sexe, pour se sentir bien ou pour le travail. Mais là, c'était… Important. Ça comptait pour Célestin et ça c'était mis à compter pour lui.
Ce soir-là, ils n'avaient rien fait. La semaine suivante, plusieurs fois, Nils avait essayé de le pousser mais ça ne marchait pas. Célestin était bien trop tendu pour qu'il ne lui enfile ne serait-ce qu'un doigt. Même la fellation qu'il lui avait faite n'avait débouché que sur un orgasme mitigé. Un soir après un nouvel échec, alors que Célestin le pensait endormi, il s'était mis à parler d'une traite sans s'arrêter et sans bégayer. Un chuchotement douloureux.
Il lui avait dit combien il se sentait mal avec ça. A quel point ça l'humiliait d'être encore vierge à son âge. Qu'il n'arrivait pas à en parler parce que ça le faisait se sentir comme une merde. Comme un mec qui n'était pas assez bien pour qu'on s'intéresse à lui. Il lui avait dit combien être avec un autre homme le faisait paniquer. Que même avec lui, et surtout avec lui, il avait toujours l'impression d'être un abrutis dès qu'il ouvrait la bouche. L'aborder lui avait demandé tout son courage, et ce n'était même pas vraiment venu de lui. Célestin venait depuis des mois dans le café où ils s'étaient rencontrés. Il y venait parce qu'il avait remarqué que Nils y passait tous les jours. Et si Nils ne lui avait pas renversé son café dessus par maladresse, jamais il n'aurait eu le courage de lui dire un mot. Il était la banalité même. Il se trouvait moche, pas musclé, pas séduisant, même pas mignon. Il détestait son bégayement, il détestait beaucoup de chose chez lui et il ne voyait pas pourquoi Nils était là, dans ce lit, avec lui. Il lui avoua que chaque fois qu'il lui envoyait un texto ou le voyait, il avait l'impression que c'était la dernière fois. Nils était trop beau, trop jeune et trop intéressant. Après tout ça, Célestin lui avait demandé s'il dormait et dès que Nils lui avait répondu non, il s'était remis à bégayer.
Quand Célestin s'était mis à pleurer, Nils l'avait tiré à lui et serré fort. Comment un homme comme Célestin ne pouvait ne serait-ce que penser un quart de ce qu'il venait de lui avouer ? Ça, il ne l'avait jamais compris.
Son homme était intelligent, dix fois plus que lui. Célestin avait fait son cursus de droit d'une seule traitre. Il avait passé le concours du barreau avec une facilité déconcertante et finit deuxième de sa promotion sans véritablement fournir d'effort. Tout ce qu'il voyait, il l'enregistrait. Un jour, Célestin lui avait même répété son programme scolaire de sixième ! Sérieusement, qui pouvait se souvenir de ça ?
Pour les études et le travail, Célestin débordait de confiance. Il savait qu'il avait raison parce qu'il l'avait appris par cœur. Les livres, les documents justifiaient ses mots. C'était simple, il suffisait d'appliquer. À la barre et avec ses clients, Célestin ne bégayait jamais. Vous le retiriez de son travail et de nouveau, son défaut d'élocution était là. Parce que pour tout le reste, Célestin ne croyait pas en lui. Il n'y avait aucun livres, aucun document prouvant sa valeur, légitimant son droit d'exciter.
Mais Célestin se trompait. Il avait plus que le droit d'être là. Il avait le droit d'être qui il était ! Rapidement, Nils s'était mis à le reprendre chaque fois qu'inconsciemment Célestin se dénigrait. Plus personne ne lui dirait qu'il n'avait pas de valeur ou qu'il n'était pas beau. Ni la société, ni les magazines, ni lui-même. S'il était vrai que Célestin n'était pas un canon de beauté, Nils le trouvait mignon. Il adorait le regarder et adorait la multitude d'expressions qui défilaient sur son visage en moins de quelques secondes. Il adorait pleins de choses chez lui. Célestin n'avait pas besoin d'être beau, juste d'être lui.
À chaque fois que Célestin lui disait qu'il ne comprenait pas pourquoi Nils restait avec lui, il lui rétorquait l'inverse. Qu'est-ce qu'homme aussi cultivé et intelligent que Célestin pouvait trouver à un type qui n'avait même pas passé son bac ? Un type qui, comme taf, n'avait rien trouvé de mieux que de se prostituer pendant des années. Mais ce dernier argument, il ne lui disait jamais. Il ne pouvait pas.
Après ce soir et ses pleurs, les choses s'étaient décoincées. Ils n'avaient abordé qu'une seule autre fois le sujet de sa virginité. Alors qu'il riait devant un feuilleton idiot, Célestin à moitié allongé sur son torse s'était soudainement crispé.
— Ça va ? lui avait-il demandé inquiet.
— Ça v…va, lui avait répondu Célestin sans quitter la télé des yeux.
C'était un mensonge. Quelques minutes plus tard, Nils l'avait senti de nouveau tendu. Mais cette fois, il comprit et soupira. Parce que c'était idiot et qu'il se sentit idiot.
— Désolé, je ne m'en étais pas rendu compte.
— De quoi ? avait demandé Célestin en levant les yeux vers lui.
— De ce truc qu'a dit le mec, avait-il lâché en désignant la télévision.
Célestin avait baissé instantanément les yeux et s'était redressé en haussant les épaules. Cette fois, au moins, il ne lui avait pas dit que ça allait.
— C'est v…v…vrai de t…t..tou…toute façon.
— Non.
— Ça fait rire les gens. Ça t'a fait rire.
— J'y ferais attention la prochaine fois. Je ne m'en étais jamais rendu compte.
Et c'était vrai. Jusqu'à présent, il n'avait jamais fait attention à tous ces mots lâchés inconsciemment. L'acteur avait rigolé parce que son ami était toujours puceau. Puceau avait été dit comme une insulte, un problème à résoudre. Et il avait ri. Lui, l'acteur, le monde inconscient des paroles.
— Ce n'est pas un problème, Célestin. Ça ne devrait pas l'être. J'ai perdu ma virginité à douze, lui avait-il avoué en lui caressant doucement la cheville. Je ne pense pas que ce soit mieux que d'être vierge à vingt-neuf ans. Je ne pense pas non plus que ce soit pire. Je pense qu'il n'y a pas une sexualité mais des sexualités. Personne n'est pareil. Il n'y a pas de règles à suivre, pas de date limite de péremption, ou de case dans laquelle tu dois rentrer. Il y a toi et ton histoire et surtout ce que tu penses être bon pour toi. J'ai rigolé parce que c'était présenté comme quelque chose de drôle mais maintenant, je ne trouve pas ça si drôle. Non, ça ne l'est pas. Trop de sexe, pas de sexe… On ne devrait pas avoir honte de sa façon de faire ou de ne pas faire l'amour. Et on ne devrait pas te faire sentir que tu devrais en avoir honte. Parce que je pense que c'est faux. C'est faux.
Ils n'avaient pas fait l'amour ce soir-là, ni même le soir d'après, ni encore celui qui suivit. Nils l'avait laissé venir, lui avait offert le temps et alors, ils avaient fini par faire l'amour. Des centaines de fois. Ici, chez Célestin, dehors, partout. Nils lui avait appris le plaisir du sexe et Célestin lui avait fait découvrir les sentiments qui vont avec. Tout était meilleur saupoudré d'amour. Même quand c'était que moyen, à peine passable, ça valait le coup parce qu'il y aurait cette prochaine fois incroyable. Et parce qu'il l'aimait. Ça se passait dans la tête. Le sexe n'était qu'une part de leur relation, importante certes, mais à peine quantifiable par rapport à tout ce qu'ils partageaient d'autre. A leur vie de couple.
Voilà à quoi Nils pensait chaque fois qu'il regardait son lit dans son studio minable. Il pensait au passé, et le passé le ramenait inlassablement à ce présent qu'il chérissait. Maintenant, il avait envie de rentrer et de retrouver Célestin. Ça faisait des semaines que son compagnon, pris par une grosse affaire, rentrait très tard et partait très tôt. Des jours qu'il était trop fatigué pour faire autre chose que dormir quand il le rejoignait au lit. L'affaire était un appel et ce deuxième jugement pour très bientôt.
Célestin avait intérêt à se tenir prêt parce que, dès que le verdict serait rendu, il allait lui faire vivre une semaine entière de sexe non-stop. Il fêterait ça comme il se doit. Comme d'habitude, Nils n'avait aucun doute qu'il serait en faveur de son homme. S'il y avait bien une chose que Célestin ne faisait pas, c'était perdre une affaire.
Célestin avait commencé par faire ses armes en défendant de grandes entreprises. Dès qu'il avait récupéré assez d'argent pour créer un fond d'investissement, il avait changé de côté et s'était mis à défendre les opprimés. On lui filait toutes les affaires perdues d'avance et Célestin transformait tout ça en victoire écrasante. Son cabinet marchait très bien, il avait dû embaucher un assistant rien que pour faire le tri dans tous les dossiers qu'il recevait.
Perdu dans ses pensées, quand son téléphone vibra dans la poche arrière déchirée de son jean, il sursauta et faillit louper l'appel.
— Oui ?
— C'est moi, lui répondit la voix fatigué de Célestin.
— Ça va ? demanda-t-il inquiet en regardant sa montre.
A peine onze heures. Célestin l'appelait que très rarement pendant ses heures de travail.
Son homme lui répondit d'un simple hum.
— Bébé ? insista-t-il.
— Parle-moi.
— Quoi ?
— J'ai envie d'entendre ta voix. J'ai l'impression de ne pas l'avoir entendu depuis des semaines. Elle me manque.
— Juste ma voix ?
— Ta voix et tout ce qui va avec. Tu me manques Nils.
— Tu me manques aussi.
— Tu es où ? J'ai essayé d'appeler à la maison.
— Dans mon appartement.
— Tu as décidé de faire le tri dans tes affaires pour savoir ce que tu gardais avant d'emménager définitivement avec moi ?
— Je n'ai pas envie de me disputer avec toi bébé, le coupa-t-il avant que la discussion dérape.
— Moi non plus. Je suis trop fatigué pour ça. Mais au moins, ça me donnerait une bonne raison pour rentrer à la maison et te baiser. Tout le monde sait que je déteste me disputer avec toi.
— Ne me parle pas de sexe, je suis vraiment trop en manque. Tu n'imagines même pas combien j'ai envie de ton petit cul.
— Désolé.
— Pas grave. J'ai juste hâte que ton affaire touche à sa fin. Tu t'en sors ?
— Oui, je règle les différents…
Mais avant que Célestin n'ait pu lui expliquer quoi que ce soit dans son jargon juridique qu'il oubliait être incompréhensible pour Nils, on toqua fort à sa porte.
— C'est qui ? l'interrogea Célestin.
— Je ne peux pas te répondre avant d'avoir ouvert la porte, bébé. Surement Melinda avec mon courrier. Je te laisse, je vais lui ouvrir.
— Ok. Passe le bonjour à ta charmante voisine. Et dis-lui de ne pas casser ta porte avant que tu aies déménagé. Histoire que tu puisses récupérer ta caution.
— Je t'aime aussi, lui répondit Nils en riant avant de raccrocher.
Mais quand il ouvrit la porte, il arrêta tout de suite de rire. Deux policiers en uniforme étaient devant lui. Les hommes, tous les deux un peu plus grands que lui, le toisèrent de haut.
— Etes-vous bien Nilsson Grimsson ?
Personne ne l'avait appelé Nilsson depuis l'école. Même au bar, tout le monde l'appelait Nils. D'ailleurs il n'était même pas sûr qu'en dehors de Célestin et de son boss, quelqu'un sache que ce n'était qu'un diminutif.
— Heu… Oui.
— Vous allez devoir nous suivre.
— Pourquoi ?
Qu'est-ce qu'ils lui voulaient ? Ça faisait des années qu'il avait quitté le circuit. Qu'est-ce que ces types foutaient chez lui. Il avait l'impression d'être revenu dix ans en arrière, à sa première arrestation pour prostitution. La même angoisse et la même sueur gelée dégoulinant le long de son dos.
C'était le remake d'un de ses cauchemars récurrents : les flics venaient et l'embarquaient.
Il détestait la police. Elle et tous les pouvoirs qu'elle détenait sur sa vie le terrifiait.
— Pour vos poser des questions.
— Sur quoi ? Je n'ai rien fait de répréhensible.
Il n'aurait jamais dû dire ça vu la tête que tira le plus baraqué des deux flics. Avant même qu'il comprenne ce qu'il se passait, il se retrouva le visage écrasé contre le crépi tagué du couloir. On tira brutalement ses mains dans son dos et on passa sans douceur des menottes autour de ses poignets. Il grimaça sous le pincement gelé du métal, ils les lui avaient serrées bien trop fort !
— Arrêtez ça ! se défendit-il en gémissant de douleur.
Mais le seul résultat qu'il obtint fut une claque derrière la tête et un ferme ta gueule effrayant.
— Merde, qu'est-ce que tu fais ? s'énerva l'autre flic.
— On ne va pas passer dix ans avec cette pute. On l'embarque et puis c'est tout. Ils se débrouilleront avec au poste.
L'homme avait dit pute.
On le retourna brutalement et terrifié, il laissa méchant flic le palper pour vérifier qu'il ne portait aucune arme.
— Ce n'est pas dans les règles, tenta une nouvelle fois gentil flic mal à l'aise.
— On s'en fou des règles. Qu'est-ce que tu veux qu'il fasse ?
— J'en sais rien mais…
— Moi, je vais te dire ce qu'il peut faire. Rien. On dira qu'il s'est débattu et ça fera l'affaire. Allez, on y va le suceur de queues, l'apostropha méchant flic en le poussant dans le couloir vers l'ascenseur.
— Ma porte! paniqua Nils quand les policiers ne prirent même pas la peine de la fermer en l'embarquant.
— Qu'est-ce qu'elle a ta porte, la pute ? Tu as peur qu'on te vole ton stock de capotes et de lubrifiants ? Au pire, tu te feras enculer à sec, rigola-t-il en le poussant dans l'espace confiné de l'ascenseur.
Après ça, Nils n'osa plus rien dire. Il connaissait bien ce type de policiers. Il était de ceux qui s'étaient engagés pour l'action. Pour tirer et frapper. Mais la vie de flic était la plupart du temps chiante avec de la paperasse et beaucoup d'ennui. Alors ces flics attendaient n'importe quel prétexte pour faire jouer leurs muscles et Nils refusait de devenir un de ces foutus prétextes.
Les portes de l'ascenseur se refermèrent au moment où sa voisine sortait sur son palier. Lorsque leurs yeux se rencontrèrent, juste avant que les portes métalliques coupent le contact, il détourna le regard incapable de supporter son ahurissement. Il n'y avait rien de plus humiliant que de se faire arrêter et menotter. Et c'était encore pire devant des proches.
Durant les quelques secondes qu'il leur fallut pour descendre les trois étages jusqu'au rez-de-chaussée, il eut l'impression d'étouffer dans le minuscule espace clos tapissé de moquette rouge.
L'ascenseur, aussi vieux que son immeuble et pas révisé aussi souvent qu'il devrait l'être, gémissait sous le poids de leurs trois corps. Dans la glace sale et cassée, il voyait son reflet inquiet. Pas inquiet, carrément terrifié ! La lumière blanche du plafonnier et ses cheveux noirs perpétuellement en désordre mettaient en évidence son teint pâle et ses yeux clairs écarquillés.
Il n'arrivait pas à croire qu'il se faisait embarquer par les flics ! Là, maintenant ! Six ans après s'être rangé !
Il n'avait aucune idée d'où ils l'emmenaient, ni pour quoi ou combien de temps ils allaient le garder. Et plus terrifiant que ce flou, il craignait que Célestin l'apprenne. Il ne voulait pas qu'il sache pour son passé et pour son foutu casier judiciaire. Ça craignait un max…
La voiture de flic, garée juste en bas de son immeuble, puait le renfermé et la bouffe. Une sale odeur qui lui donna la nausée. D'une main sur la tête, on l'avait brutalement poussé à l'intérieur et il s'était à moitié affalé sur les sièges. Quand gentil flic s'assit à côté de lui alors que l'autre enfoiré prenait le volant, il se sentit un peu soulagé. Du moins, il réussit à ne pas plus paniquer, ce qui était déjà pas mal.
— Vous m'arrêtez pour quoi ? Osa-t-il demander après plusieurs minutes de silence.
Alors que gentils flic allait lui répondre, il fut coupé par méchant flic qui lui ordonna sèchement de la fermer. Ce qu'il fit, trop inquiet de ce qu'il pourrait faire dans le cas contraire.
Quand ils arrivèrent au poste, il eut l'impression d'avoir fait un retour dans le passé. Rien n'avait changé. Même si c'était un commissariat différent, c'était les mêmes bureaux, les mêmes gueules qui, parce que vous étiez menotté, vous classaient direct dans la catégorie délinquant. Nils se sentit tout de suite comme une merde. Il eut honte. De quoi ? Il ne le savait pas, mais l'humiliation était là. Dans les menottes, dans la main cruelle sur son épaule qui n'arrêtait pas de le pousser.
Avec son vieux skinny élimé et son tee-shirt à moitié transparent qui lui tombait sur l'épaule, il avait tout ce qu'il fallait pour être jugé coupable. Pauvre et gay. Quand vous étiez pauvres, vous aviez beaucoup moins de droits. Comme celui à la politesse et au respect. Vous n'étiez pas assez de choses. Et dans l'échelle sociale des pas grands choses, les prostitués étaient tout en bas. Et pire que les putes, c'étaient les salopes homosexuelles. Suceur de queue comme avait dit l'autre. Alors vous n'étiez même plus sur l'échelle mais genre quinze mètres derrière.
On lui aboya de s'assoir sur un banc face à une rangée de bureaux. Il obéit, les bras douloureux d'être toujours menottés dans son dos. Coincé entre une femme à moitié nue et un travesti blasé, il se senti de plus en plus abattu. Les ongles de l'homme, immenses et impeccablement manucurés, pianotaient sur le bois du banc. Personne ne chercha à parler. Ils savaient tous pourquoi ils étaient là. Tapin, prostitution… Atteinte aux bonnes mœurs. Ou quoi que ce soit d'autre qui ait pu choquer la sensibilité de tous ces foutus puritains catholiques ! Les mêmes qui par derrière venaient demander une pipe ou une baise rapide.
Il resta longtemps assis. Beaucoup trop longtemps ! L'attente allait le rendre fou.
Les mains toujours dans le dos, il ne pouvait même pas se ronger les ongles !
— Tu as froid, gamin ? lui demanda le travesti d'une voix de velours en tournant son regard surchargé de maquillage vers lui.
— Quoi ?
— Tu claques des dents, mon poussin.
C'était vrai et il ne s'en était même pas rendu compte. Ses bras étaient couverts de chair de poule.
— C'est le stress, ça va aller, essaya de le rassurer l'homme fardé.
Ça n'allait pas du tout. Ça faisait plus d'une heure qu'il était assis là et il devait absolument être sorti avant que Célestin ne rentre.
— T'es tout jeune, mon cœur. C'est ta première arrestation ?
Ce n'était pas rare que les gens se trompent sur son âge. Avec sa petite taille, sa fine silhouette et sa tête qui n'avait presque pas changé depuis son adolescence, on lui donnait souvent cinq à six ans de moins que ses vingt-huit ans.
Nils secoua la tête, la gorge trop nouée pour dire quoi que ce soit.
— Respire mon sucre, ça va bien se passer. Ils vont juste te faire peur et après, ils te remettront dans la rue.
Il ne lui répondit rien parce qu'un immense silhouette se dressa devant lui. Un géant le surplombait et le regardait avec tout le mépris du monde.
— Toi, tu me suis, lui dit froidement le policier en lui ordonnant de se lever d'un coup sec du menton vers les salles d'interrogatoires.
Il ne voulait pas y aller. Il ne voulait pas suivre l'homme. Finalement, il préférait rester sur son banc.
— Allez mon grand, l'encouragea le travesti, vas-y. Ils crient beaucoup mais ils ne mordent pas.
— Ferme là, Bambi ! aboya le policier comme pour confirmer ses dires.
— C'est Lady Bambi, inspecteur, lui répondit l'homme avec un clin d'œil exagéré.
Les jambes tremblantes, il suivit le policier dans une salle dénudée de tout. De mobilier mais aussi de couleur. Entièrement grise, il n'y avait qu'une table avec trois chaises. Quand la porte se referma sur eux dans un claquement sec, il ne put s'empêcher de sursauter. Insonorisée, il passa du tumulte angoissant du commissariat au silence menaçant. Le policier jeta sur la table un épais dossier avant d'enfin détacher ses menottes.
Se massant les poignets, Nils remonta discrètement aussi haut qu'il put son jean taille basse essayant d'effacer un peu sa féminité. Mais un coup d'œil vers la glace sans tain lui montra que c'était peine perdue. Tout en lui criait gay, de son léger maquillage à sa tenue vestimentaire. Son tee-shirt était trop échancré, son jean trop déchiré et beaucoup trop serré…
— Assied-toi.
Nils ne chercha même pas à protester, ni à faire part de son envie d'aller au toilette. Au mieux il devrait pisser devant le regard antipathique d'un flic homophobe et au pire, on lui dirait d'aller se faire foutre.
Ils restèrent dans le silence un long moment. L'homme tournait et retournait la multitude de pages tout en prenant bien soin de l'ignorer. Incapable de lire à l'envers, Nils fixait chaque feuille en se demandant ce qu'elle pouvait bien contenir. Il n'avait pas fait autant de conneries dans sa jeunesse pour avoir un aussi gros casier.
Anxieux, il ne cessait de jeter des coups d'œil autour de lui. Ici, il n'y avait rien pour lui indiquer l'heure, ni pendule, ni fenêtre. Il essaya de regarder la montre du policier mais, à moitié cachée sous sa manche, il ne pouvait que lire les minutes. Il était quarante-trois d'il ne savait quelle heure.
— Vous êtes bien Nilsson Crimsson ? demanda enfin le policier.
Il eut très envie de répondre non mais face au regard inquisiteur, il se garda de faire le malin.
— Oui.
— On vous appelle aussi Divine B. ?
Rien que l'évocation le fit frissonner. Il était bien là pour ça finalement, pour la prostitution. Mais pourquoi six ans après ? Il n'y avait pas un délai de prescription ou une connerie dans le genre ? Célestin aurait su, mais il voulait tout sauf que Célestin soit là.
— Plus maintenant. C'était avant.
— Avant quoi ?
— Avant que j'arrête.
Il avait choisi Divine B. en l'honneur de Divine Brown qui s'était faite arrêter en compagnie de Hugt Grant en 1995. S'il avait été hyper fier de son nom de prostitué, il ne voulait plus l'entendre aujourd'hui. Ce n'était plus lui.
— Vous avez arrêté le trottoir ?
Il n'avait jamais vraiment fait le trottoir. Lui, son truc, c'était les bars et les fêtes. Sa clientèle était principalement riche et en échange d'un bon pourcentage sur ses passes, Zingaro lui filait les bonnes adresses. Il n'avait jamais vraiment connu le tapin à la dure, dans le froid avec des clients craignos. Il avait toujours choisi qui le baisait et n'était jamais rentré dans un vrai réseau de prostitution.
— Oui.
— Depuis quand ?
— Six ans.
Visiblement, ce n'était pas la réponse attendue car l'homme leva enfin le regard de ses notes. Il le dévisagea, retourna une dizaine de pages plus tôt, fronça les sourcils, le regarda une nouvelle fois et revint à la précédente page où il gribouilla tout un tas de truc.
— Donc vous avez arrêté ?
Il ne savait pas trop si c'était une question ou une affirmation alors dans le doute, il acquiesça une nouvelle fois.
— Quand précisément ?
— Un truc comme juin.
— Vous n'êtes plus sur ?
Si, il était. Il se souvenait parfaitement de son dernier client et comment pour la première fois de sa vie, il s'était senti sal après que l'homme ait joui en lui. Il se souvenait de son poids sur son dos, de ses baisers le long de sa colonne vertébrale et de ses mains qui lui malaxaient durement les fesses. Mais plus que tout ça, il se souvenait de la nausée qui ne l'avait pas quitté pendant des semaines. Il n'avait même pas pu garder le fric que le client lui avait filé. À peine dehors, il l'avait donné au premier clodo croisé.
— Pourquoi ? continua le flic tout en continuant de gribouiller les feuilles de son écriture illisible.
C'était quoi toutes ces questions ? Elles allaient le mener où ? Et surtout, il allait enfin lui balancer pourquoi il était là ? Nils n'en pouvait plus de cette attente ! Ça le rendait complétement cinglé ! Il allait finir par se lever et lui jeter sa chaise à la gueule s'il continuait à ne rien lui dire !
— J'ai commencé à voir quelqu'un, lâcha Nils à contrecœur en se mordillant les lèvres.
— Qui ?
— ça ne vous regarde pas, riposta-t-il paniqué à l'idée de leur filer le nom de Célestin. Pourquoi je suis là d'abord ?
— Vous êtes sur la défensive.
Merci, cap'tain obvious !
Merde ! Bien sûr qu'il l'était ! Il allait foutre sa vie en l'air s'il continuait !
— Connaissez-vous un Zingaro ?
— C'était mon… Proxénète.
Il hésitait toujours sur le mot. Il n'avait jamais vraiment vu l'homme comme ça. En plus d'être son protecteur, il avait aussi été ce qui se rapprochait le plus d'un ami. C'était lui qui avait trouvé le plan pour son studio. Quand il avait décidé d'arrêter, Zingaro ne lui avait mis aucune pression. Il lui avait juste demandé s'il était sûr et haussé les épaules en disant que c'était surement mieux. Après ça, ils s'étaient vu deux, trois fois, pas plus. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas entendu parler de lui.
— Que faisiez-vous le 16 décembre, il y a sept ans ?
— Vous êtes sérieux ?
— Evidement.
— Je ne sais plus, ça remonte à trop loin.
Il n'arrivait pas à se souvenir de ce qu'il avait mangé la veille alors sept ans plus tôt… Il n'y avait aucune chance qu'il s'en rappelle. Il ne savait même pas quel jour de la semaine c'était…
— Etiez-vous avec Zingaro autour des seize heures ?
— C'est lui qui vous a dit ça ?
L'inspecteur ne dit rien, le laissant interpréter son silence de la façon qu'il voulait.
— S'il vous l'a dit c'est que ça doit être vrai. Je… Je bossais le soir et je passais en effet dans l'aprèm lui filer sa part. Je… C'est possible, je ne m'en souviens pas.
De nouveau un silence.
Il en avait marre de ces longues pauses, elles lui foutaient les nerfs en pelotes. Et les pelotes étaient déjà assez grosses.
— Zingaro a des problèmes ? demanda-t-il finalement incertain du fait que l'inspecteur attendait oui ou non qu'il continue.
Le bruit du stylo tapant contre le fer de la table fut sa seule réponse.
— Que faites-vous actuellement ?
Le changement de sujet le désarçonna et il répondit spontanément.
— Je suis barman.
— Ou ?
— Au Seven… Une boite gay, ajoute-t-il comme si c'était nécessaire.
— Et vous ne vous prostituez plus ?
— Merde ! Je vous ai dit que non !
Il allait la lui faire bouffer sa question ! Il était clean depuis six ans ! Putain !
Le pire qu'on pouvait lui reprocher était de draguer quelques clients quand il voulait de plus gros pourboires. Rien de bien méchant, juste des insinuations et des regards aguicheurs.
— Même pas un petit extra pour arrondir vos fins de mois ?
— Ce n'est pas parce que c'est une boite gay que je tends mon cul au premier qui me le demande. Je…
Mais il n'eut pas le temps de plus s'énerver. Un coup frappé à la porte coupa court sa diatribe.
— Ouai ? demanda l'inspecteur laissant passer de l'irritation à travers son masque de flic assuré.
Visiblement, qu'on les interrompe n'était pas prévu. Une jeune femme hésitante passa la tête dans l'entrebâillement de la porte. Elle jeta un regard un peu trop appuyé à Nils avant de reporter son intention sur l'inspecteur.
— Désolé de vous déranger, mais son avocat est là.
— Son avocat ?
Tout en Nils se gela.
— Je n'ai pas demandé d'avocat, murmura-t-il les mots aussi tremblants que lui.
Ça ne pouvait qu'être Célestin. Nils en était persuadé. Il ne savait pas comment il avait appris pour son arrestation mais l'il avait appris…
Il ne voulait pas qu'il entre et le voit comme ça.
— Il demande à entrer, ajouta la femme. Il a l'air…
— Il a l'air quoi ?
— Effrayant. En colère, finit-elle dans un mouvement d'épaule.
Mais avant que quiconque ait pu réagir, on tira la femme en arrière et Célestin entra dans la pièce sans attendre qu'on l'y invite. Leurs regards se croisèrent et Nils sentit son cœur tomber dans son estomac. Il voulait fuir, loin. Revenir vingt-quatre heures en arrière et n'être jamais passé à son appartement.
Il voulait se réveiller de ce cauchemar ! Il ne pouvait pas être dans ce commissariat, interrogé sur son ancien travail de prostitué avec Célestin dans la même pièce.
— Qui êtes-vous ? se fâcha le flic en se levant de sa chaise, les deux mains sur la table et la bouche pincée dans une mimique de colère.
Le regard dur et la mâchoire serrée, Célestin s'avança vers eux, tout aussi mécontent. Y'avait pas à dire, il était magnifique dans son costume gris taillé sur mesure. Celui qu'il portait était son préféré, le premier que Célestin avait pu se payer avec son salaire.
Un peu près de la même taille que lui et à peine plus remplumé, Célestin dégageait néanmoins quelque chose de… Fort. Une aura de puissance comme Nils l'appelait souvent.
Métisse, si quand Nils l'avait rencontré, Célestin se rasait les cheveux, depuis il les avait laissés pousser. Ils formaient une auréole afro autour de sa tête. Coupée court juste sur les côtés, la ligne de ses cheveux rejoignait la ligne de sa barbe finement travaillée. En plus de mettre en avant son visage, ça avait quelque chose de très élégant.
— Maître Célestin Mills, se présenta-t-il en tirant la chaise à côté de l'inspecteur pour la placer à côté de Nils
— Vous êtes l'avocat de Crimson ?
— Pour vous ça sera Monsieur Crimson. À moins que vous me permettiez de vous appeler Cabe.
La grimace de l'inspecteur fut suffisante comme réponse.
— Bien, je crois que nous nous sommes compris agent Cabe. Pourquoi mon client est-il ici ?
— Pour des renseignements.
— Vous l'avez embarqué de façon musclée et vous lui avez passé les menottes, tout ça pour une simple histoire de renseignements ? N'aurait-il pas été plus facile, et plus légale, de lui poser les questions chez lui ou de l'inviter à vous rejoindre au commissariat ?
Nils devait reconnaitre une chose, Célestin avait la classe. Il affrontait le flic comme s'il n'était rien. Et même s'il était terrifié par sa présence, l'avoir à ses côtés le rassurait également. Il avait envie de lui prendre la main et de le serrer dans ses bras.
L'inspecteur pris au dépourvu trouva refuge dans ses notes et soupira face à un post-il collé sur la première page.
— Il s'est débattu.
— C'est faux, se défendit Nils en se tournant vers Célestin. Je te jure bé… Je te jure que j'ai rien fait, se reprit-il de justesse avant de l'appeler bébé devant l'inspecteur.
Le regard de son homme resta impassible. Froid avec le policier mais aussi avec lui. Alors quand Célestin lui caressa fugacement la cuisse en signe de soutien, Nils faillit pleurer de soulagement.
— On m'a affirmé le contraire, contrecarra Célestin.
— Qui ?
— Sa voisine. Dois-je l'appeler pour la faire venir témoigner ?
— Non, marmonna l'inspecteur de plus en plus mal à l'aise.
Le policier jeta un rapide coup d'œil vers la vitre dans son dos avant de revenir vers eux.
Nils était sûr qu'il aurait apprécié l'arrivée opportune d'un de ses collègues. Il n'y avait aucun doute sur le fait que Célestin l'impressionnait, ou tout du moins le troublait dans son rôle de flic coriace.
— Très bien, repris célestin imperturbable en sortant de sa mallette de quoi prendre des notes. Veuillez reprendre depuis le début.
C'était un truc que lui avait expliqué célestin devant une série sur des avocats. Pour gagner, il fallait prendre le contrôle, ne pas se laisser déstabiliser et surtout connaitre la loi sur le bout des ongles. Il lui avait aussi parlé de la jurisprudence mais ça, il n'avait pas tout compris.
— Heu, balbutia maladroitement l'inspecteur avant de reprendre son air de gros dur impassible. Nous aurions besoin de savoir où était Crim… Monsieur Crimssion, il y a sept ans, le 16 juin.
— Pour quel raison ?
— Nous venons de rouvrir une enquête pour le meurtre non résolu d'un de nos collègues. Nous avons eu l'information comme quoi Zingaro, l'ancien proxénète de votre client, en serait l'auteur.
Il l'avait dit.
Un froid glaciale s'installa dans la salle. Son cœur battait terriblement fort aux oreilles de Nils et de petit point noir apparurent devant ses yeux.
Rien qu'une fichue phrase et sa vie était bousillée. Célestin allait le quitter. C'était sûr.
Personne ne resterait avec une ancienne pute.
Il allait vomir.
Incapable de regarder Célestin, Nils fixait l'inspecteur. Il se mit à le haïr avec une haine qu'il ne savait pas avoir en lui. S'il avait pu, il l'aurait tué ! Là ! Sur l'instant !
— Quand nous avons arrêté Zingaro, il nous a dit avoir monsieur Crimson en alibi.
— Bien, inspecteur. Alors posez votre question à mon client qu'on puisse en finir ?
Nils ne reconnut presque pas la voix de Célestin tellement elle était dure et froide. À l'opposé de celle douce et tranquille qu'il lui connaissait.
— Je lui ai déjà dit que je ne m'en souvenais pas, lâcha-t-il dans un murmure la voix dangereusement éraillée.
— Avez-vous d'autres questions inspecteur ? enchaina Célestin.
Pitié pas d'autres questions. Mais comme toutes ses prières de la journée, elles ne furent pas entendues.
— Il nous faudrait vérifier quelques informations.
— Si mon client ne voit pas d'inconvénient à y répondre, alors vous pouvez y aller.
Nils tourna la tête pour savoir ce qu'il attendait de lui mais Célestin ne le regardait pas. Il ne l'avait jamais vu aussi crispé.
— Nils, est-ce que tu veux répondre à l'inspecteur ? lui demanda enfin son homme en le regardant enfin.
Il ne sut pas comment interpréter son regard. Il y avait trop de choses dedans et il n'aimait pas la plupart.
— Si ça peut me permettre de me sortir de là…
— Je peux te faire sortir de là maintenant, lui assura Célestin dans un soupire, sans que tu aies à répondre à quoi que ce soit. Mais si tu lui coopères, ça facilitera les choses.
Nils acquiesça de la tête. Prêt à tout pour mettre fin à cette torture. Il voulait sortir d'ici pour pouvoir s'expliquer avec Célestin et sauver, ce qui pouvait sauver.
Il fallait qu'il y ait quelque chose à sauver ! Ça ne pouvait pas se finir comme ça ! Il ne laisserait pas faire, il l'aimait trop pour ça.
— Bien, alors, est-ce que vous voyez encore Zingaro ? l'interrogea l'inspecteur.
— Non.
— Depuis quand ?
— Depuis que j'ai arrêté.
— Donc vous confirmez ne plus vous prostituer.
Il hocha la tête. S'il disait un mot de plus, il allait se mettre à pleurer.
— Six ans, c'est ça ?
Nouveau hochement.
— Donc ça fait six ans que vous ne l'avez pas vu.
— Oui.
— Ni croisé ?
— Oui.
— Vous m'avez dit être avec quelqu'un, nous aimerions avoir son nom.
— Vous allez en faire quoi de ce nom ? demanda-t-il incertain.
— C'est important pour notre affaire d'avoir tous les éléments en main. Nous serons peut-être amenés à l'interroger. Alors ce nom ?
Nils tourna la tête vers Célestin qui l'encouragea d'un signe de tête.
— Célestin Mills.
— Pardon ? demanda l'inspecteur en relevant brutalement la tête de ses notes et en les dévisageant tous les deux.
— Je suis son compagnon inspecteur, confirma Célestin. Dois-je aussi faire appel à mon avocat ?
Le ton tranchant et le haussement de sourcil de son homme aurait dû suffire comme mise en garde, mais l'inspecteur passa au-dessus.
— Vous êtes ensemble ? insista-t-il absolument pas convaincu.
— Oui, inspecteur. Nous sommes en couple depuis six ans comme vous l'a affirmé mon client.
— Est-ce que c'est très déontologique d'être l'avocat de son…
Visiblement c'était trop dur de compléter la phrase pour l'inspecteur.
— Compagnon, petit ami, compléta pour lui Célestin son ton se durcissant dangereusement. Surement aussi déontologique que d'arrêter un homme pour un simple interrogatoire de routine sous prétexte qu'il a été un prostitué. Et si vous ne le faites pas sortir d'ici les prochaines minutes, je fais de cette lamentable histoire une affaire médiatique. La discrimination est un sujet qui passionne les journalistes en ce moment.
Cette fois, Célestin ne s'était pas adressé à l'inspecteur mais directement à ceux qui se trouvaient derrière la vitre sans tain.
Ils n'eurent pas à attendre longtemps avant qu'on toque à la porte et qu'une femme en tailleur, tiré à quatre épingles et perchée sur hauts talons les rejoignent.
— Vous pouvez y aller messieurs, leur dit-elle oubliant de les saluer.
— Mais madame la commissaire… commença à riposter l'inspecteur.
— J'ai dit qu'ils pouvaient y aller, le coupa-t-elle en fusillant des yeux son subalterne.
— Parfait, enchaina Célestin en se levant.
Nils l'imita manquant de faire tomber sa chaise dans la précipitation.
— Si par hasard, vous deviez réinterroger mon client, vous devrez passer par son avocat. Appelez ma confrère Rosalie Bales, je lui transférerais le dossier dans la journée.
Célestin ne rigolait vraiment pas. C'était clairement une menace à peine voilée.
Rosalie était connue. Pas juste de la justice mais du monde. Toutes les affaires qu'elle traitait finissaient par passer à la télé. Elle faisait de chaque cas un fait de société très dérangeant pour la partie adversaire. Si vous étiez contre elle, vous passiez forcément pour un raciste, un xénophobe, un homophobe ou tout autre terme se terminant par -phobe et auquel personne n'aimait être associé.
Après ça, on les laissa sortir avec des formules de politesse un peu trop appuyées et un tas de sourire à vomir. Une main dans son dos, s'occupant de répondre aux dernières formalités à sa place, Célestin le poussa jusqu'aux portes de l'ascenseur.
Ils attendirent dans un silence épais et pesant. Ils n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre mais Nils ne s'était jamais senti aussi éloigné de lui. Il n'osait même pas lui prendre la main de peur de se faire jeter. Il n'avait jamais eu cette hésitation avant… Avant, maintenant, il y avait un avant et un après.
Sa gorge était dangereusement sèche et les mots désespérément manquants.
— Célestin, commença Nils incapable de garder plus longtemps le silence, je suis désolé. Je ne voulais pas que tu l'apprennes comme ça.
— Est-ce qu'au moins, tu voulais que je l'ap…la… L'appr… L'apprenne, finit-il par réussir à dire.
Ils se figèrent tous les deux face aux retours du bégayement. Ca faisait des années qu'en dehors du sexe, Célestin ne bégayait plus en sa présence.
Ce bégayement voulait tout dire. Il montrait à quel point Célestin sous son air froid était bouleversé.
— Bébé…
Mais Célestin ne lui laissa pas en placer une de plus. Se détournant, une main sur la bouche, il se précipita vers les escaliers, l'abandonnant là. Le temps que Nils se reprenne et lui court après, quand il rejoignit la sortie, il eut juste le temps de voir Célestin s'engouffrer dans un taxi avant que celui-ci ne démarre.
— Merde ! Putain de merde, cria-t-il pour lui-même s'attirant des regards antipathiques de passants.
Ils les emmerdaient tous ces pauvres cons !
Fouillant ses poches, il trouva juste de quoi se payer le métro. Il n'avait rien sur lui, pas de portefeuille, pas de téléphone. Avec toute sa chance, il allait se faire arrêter avant d'avoir pu rentrer à la maison !
Rejoindre leur appartement lui prit plus d'une heure. Une heure, où ses entrailles ne tenaient pas en place. Une heure d'angoisse. Quand enfin, il fut sur le palier, il tambourina à leur porte. La martelant aussi fort que son cœur dans sa poitrine. Le verrou était tiré et il n'avait pas les clefs.
— Célestin, ouvre-moi ! S'il te plait. Bébé… Il faut qu'on parle.
Mais il n'eut aucune réponse. Il resta là, quelque part entre la souffrance et le chagrin, jusqu'à ce que leur voisin vienne voir ce qui se passait.
— Nils mais qu'est-ce qu'il se passe ? C'est quoi ce boucan ?
Enzo était étudiant en médecine. Presque du même âge, ils s'étaient tout de suite entendus. Enzo l'avait plusieurs fois invité à ses fêtes étudiantes et Célestin l'avait plusieurs fois récupéré au poste après des manifestations qui avaient dégénéré.
Merde ! Il n'avait même pas pensé au fait qu'ils avaient filé le double de leur clef à leur voisin au cas où.
— J'ai perdu mes clefs, tu pourrais me donner les tiennes ?
— Oui, pas de soucis. Il y a un problème avec Célestin ?
— Non. Non, tout va bien, lui répondit-il précipitamment avec la furieuse envie de le secouer pour qu'il aille chercher ces putains de clefs.
Il regarda Enzo rentrer chez lui, fouiller interminablement dans son saladier à clefs posé sur le radiateur de l'entrée, hésiter entre deux avant de lui en tendre une. Nils eut plus l'impression de la lui arracher que de la prendre normalement. Il s'excuserait plus tard, quand il se serait expliqué avec Célestin. Quand ça irait mieux…
Il devait rattraper cette journée épouvantable.
A peine fut-il à l'intérieur qu'il nota l'appartement vide. Pas un bruit et pas une lumière. Par acquis de conscience, il vérifia quand même toutes les pièces avant de se jeter sur le fixe et composer précipitamment le numéro du portable de Célestin.
— Décroche. Décroche, s'il te plait.
Il dut tomber plus de dix fois sur son répondeur avant d'avoir l'idée d'appeler à son cabinet.
À peine une sonnerie que Jacob, le secrétaire, décrocha.
— Cabinet Bales & Mills, puis-je vous renseigner ?
— Jacob, c'est Nils. Est-ce que Célestin est au bureau ?
— Bon dieu, Nils ! Je suis content de t'avoir, je t'ai appelé au moins une centaine de fois ! Pour quoi tu n'as pas décroché ton téléphone ?
— Je l'ai oublié. Est-ce que Célestin est là ?
— Oui, il est là ! Et en train de réduire son bureau en charpie. Tu sais ce qu'il lui arrive ?
— Je vous rejoins ! Surtout, tu ne le laisses pas partir ! lui ordonna-t-il en avant de raccrocher.
Il se précipita dans la cuisine et fouilla le placard au-dessus du four. Célestin y rangeait toujours un peu de liquide pour le au cas où. Après avoir jeté par terre les torchons et les guides explicatifs de leur appareil électro-ménager, il trouva enfin ce qu'il cherchait. Deux billets de cinquante qu'il fourra hâtivement dans la poche arrière de son pantalon. Une fois en bas de l'immeuble, il héla un taxi se jetant pratiquement sous ses roues pour l'obliger à s'arrêter.
Le cabinet se trouvait normalement à moins de quinze minutes en voiture. Mais évidemment, aujourd'hui, un embouteillage avait choisi de se former pile sur sa route. Quand, vraiment le taxi n'avança plus, Nils jeta sur le siège passager les deux billets et sortit.
Il se mit à courir. Il lui restait quoi ? Un, deux kilomètres max ? Il pouvait y arriver.
Et il y arriva. L'immeuble était d'une banalité déconcertante, dans une rue du même acabit. Célestin disait que c'était pour ne pas effrayer le client. Nils pensait que c'était plutôt pour que Célestin s'y sente à l'aise. La pancarte or, indiquant la présence du cabinet au cinquième étage, brillait sur la façade terne et griffée par le temps.
Essoufflé, transpirant, les doigts tremblants, Nils dut s'y reprendre à deux fois pour taper le bon digicode. La porte claqua contre le mur quand, pressé et bouleversé, il la poussa trop brusquement. Il y avait un premier hall qui donnait sur une minuscule cour arborisée, une deuxième porte, puis un deuxième hall. L'ascenseur fut bien trop long à descendre et il décida de prendre l'escalier, montant les marches quatre par quatre. Une fois sur le palier, il garda le doigt appuyé sur la sonnette jusqu'à ce que la porte s'ouvre dans un clic automatisé.
Juste en face de l'entrée, derrière son comptoir Jacob le dévisagea la bouche ouverte. Vu la tête qu'il faisait, Nils devait vraiment avoir une sale gueule.
— Bon dieu Nils, mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Qu'est-ce qui vous est arrivé ? Je reçois un appel de ta voisine, enchaina-t-il précipitamment, je le passe à Célestin et dix secondes plus tard, il sort comme un beau diable pour revenir cinq heures après et tout casser. Heureusement que Rosalie n'est pas là !
Il ne prit pas la peine de lui répondre et se dirigea vers la porte de droite, le bureau de Célestin. S'arrêtant quelques secondes, la main sur la poignée, il inspira profondément avant d'entrer.
Quel que soit la saison, le bureau de Célestin était perpétuellement plongé dans la pénombre. Sa fenêtre avait vu sur un immense mur qui lui coupait toute lumière. Si Nils y voyait un inconvénient, Célestin y voyait l'avantage de n'avoir aucun vis-à-vis. Son homme lui avait un jour rétorqué après une de ses nombreuses plaintes que s'il voulait se balader nu dans son bureau, au moins, il pouvait. En dehors de ses livres, ça ne gênerait personne. Nils lui avait alors demandé si ça lui arrivait souvent et Célestin avait répondu peut-être avec un sourire en coin. Il se l'était tout de suite imaginé et évidement ça avait dérapé. La seule chose qui les avait empêché de s'envoyer en l'air sur son bureau avait été l'arrivé de Jacob avec une cliente. Si Célestin avait caché son érection en s'asseyant derrière son bureau, Nils avait dû tirer sur son tee-shirt s'attirant un sourire moqueur de Jacob absolument pas dupe.
L'ordre habituel avait fait place à un désastre. Une bonne partie des livres de son immense bibliothèque était par terre avec une multitude de papiers. Le bureau toujours parfaitement bien rangé était un fouillis sans nom. Un mélange de stylos, de dossiers, de trombones et de toute une multitude d'autres choses. La tasse que Nils lui avait offerte pour l'ouverture de son cabinet était brisée. Célestin l'adorait pourtant cette tasse. Elle était vielle et ébréchée mais il ne l'avait jamais remplacé. Maintenant il serait obligé.
Derrière son bureau dos à lui et face à la fenêtre, Célestin ne le regardait pas. Il faisait comme s'il n'était pas là. Les mains en appuies sur le rebord, le front contre la vitre, Célestin était une ombre accablée.
— Oh bébé… commença Nils en se rapprochant.
Il le rejoignit sans céder à la tentation de le toucher et de le prendre dans ses bras. Il ne savait pas s'il en avait encore le droit. Il resta là dans son dos à ne pas savoir quoi faire. Par où commencer.
— P… pour… pourquoi tu ne… ne… ne m'as rien d.. d… dit ? bégaya Célestin avant de cracher un insulte et de frapper la vitre de son poing.
Heureusement pas assez fort pour la casser.
— J'avais peur que tu me quittes.
— Que… Que…comment pe… pe… peux-t…t….tu avoir peur de...de…de ça, Nils ? Ça, c'est ma peur.
Chaque balbutiement lui fendait le cœur.
Il savait que son défaut d'élocution était une torture pour son homme.
— Célestin…
Il voulait répéter en boucle son prénom, encore et encore jusqu'à l'user. Il ne savait pas combien de temps il aurait droit de l'utiliser. Demain, il n'y aurait peut-être plus de Célestin.
— Co… Co… Comment as-tu…tu…tu pu cr…cr…croire que je t..te..te qu… qui…quitterais ?
— Ce n'est pas un truc glorieux. Ce n'est pas un truc qu'on dit au premier rendez-vous.
— On… On… On… On…
Célestin prit une profonde inspiration avant de reprendre sa phrase.
— On…. On… a eu d… des… des c…c….cen…cen…centaines de…de…de…de rendez-vous…
— Je sais, pardon.
Célestin ne lui répondit pas.
— Je t'aime. Je n'ai pas d'autre explication à te donner.
Nils avait espéré que Célestin lui réponde moi aussi mais à la place il n'eut qu'un profond soupire.
— Qu… Que… Quand on…on…on s'est m…mhh…mhhh…mis en..en…enss…ensemble, est-ce que… que…que…que…
— Oui, bébé. Je me prostituais toujours.
Cette fois, Célestin se retourna vers lui le visage déchiré par la peine.
Il y avait tant de souffrance que Nils faillit partir en courant.
— Tu…Tu…Tu as…as…as c..c…cou…cou…cou…couché…
— Oui.
C'était une vérité horrible. Elle ne l'avait pas toujours été. Avec le temps elle était passée d'indifférente à cruelle. Elle lui fit mal, il se demanda quel était la douleur de Célestin. Est-ce qu'il avait plus mal que lui ? Est-ce que c'était possible ?
Nils n'avait pas arrêté tout de suite. Il n'était pas tombé amoureux de son homme instantanément. Au début, c'était juste sympa. Ça ne lui avait même pas effleuré l'esprit d'arrêter son travail. Ses relations ne duraient jamais longtemps de toute façon… C'était agréable un moment et puis, il finissait toujours pas se lasser. Mais ça ne s'était pas passé comme ça avec Célestin. D'un petit intérêt, il était devenu amoureux.
Il avait arrêté après. Après, quand il avait pris conscience de leurs sentiments, quand il s'était enfin rendu compte que ce n'était pas juste un coup comme ça, à la va-vite.
— Et… Et… Et… Et m…mhh… mhhhhh… mainte…. Te…te… maintenant ?
— Quoi ? Célestin, j'ai arrêté dès que c'est devenu sérieux entre nous !
— C…C…C'était sé…sé…sérieux p…p…pour m…mhhh…mhhh…moi dès le p…p…premier j..j…jour. D…d…dés la p…pre….pre…pre...première fois que…que…que…que j…je…je t'ai vu… A…a…avant mhhh…mhhh…même qu…qu…qu'on se mette en…en…ensemb…b…ble. Et p…p…pour t..t…toi c'était qu…qu…quand ?
— Un mois.
— Un m…mhh…mhhh…mois qu…qu…quoi ?
— Un mois après notre premier rendez-vous. Après que tu m'aies dit je t'aime pour la première fois.
Cette fois, les larmes se mirent à couler sur les joues de Célestin. Des larmes silencieuses et terriblement douloureuses. Il y en avait tellement. Quand Nils tendit la main vers lui, Célestin recula d'un pas comme s'il l'avait brulé. Son homme regardait sa main comme si elle était sale et dégoutante.
Ça lui fit mal. Terriblement mal. Il était sûr que perdre un bras ou même mourir n'était pas aussi douloureux. Nils croisa ses bras autour de sa poitrine pour essayer de garder à l'intérieur de lui toute cette douleur. Il la méritait. Il la méritait une centaine, un millier de fois.
— R…R…racon…raconte m…mhh…mhhh…moi.
— Que je te raconte quoi ?
— Tout ce que tu n'as jamais voulu me dire.
Célestin avait dit la phrase sans aucun bégaiement.
Célestin le regardait, attendant qu'il se décide à parler. Il lui laissa une chance, à lui de la saisir. Si Nils décidait de partir, il était sûr que Célestin le laisserait faire sans chercher à la rattraper. Alors ça serait finit.
Ça ne pouvait pas se finir. Pas alors qu'il savait que ça le briserait.
Il commença à tout lui raconter.
Nils débuta par ce que Célestin savait déjà. À dix-sept ans, ses parents l'avaient surpris à embrasser un homme. Ça avait dégénéré. Il y avait eu les coups et les insultes. Les menaces. Nils avait fait son sac et s'était cassé de chez lui. Il n'y était jamais retourné et n'avait jamais pris de nouvelles. Ils étaient peut-être morts et peut être que ses parents pensaient la même chose de lui. Mais quand on dit à son gamin qu'il n'est rien, qu'une honte de la nature, un truc qui ne devrait jamais exciter, c'est comme si c'était eux qui l'avaient un peu tué, non ? Parfois, il se demandait s'ils avaient des remords, s'il leurs manquait. Parfois, Nils oubliait même qu'ils avaient existé.
Pendant six mois, il avait squatté chez des amis mais… À un moment, il n'y avait plus de place pour lui. Alors il était parti. Il avait été dans la rue. Il trainait avec d'autres clodos à chercher des squats, à faire la manche. Il avait appris à s'entourer des bonnes personnes pour survivre, à utiliser l'autre comme lui aussi on l'utilisait. Ce n'était pas des bons souvenirs mais ce n'était pas non plus de mauvais souvenirs. Et puis un jour, on lui avait proposé de l'argent contre une pipe. Ça c'était fait naturellement. Franchement ça avait valu le coup. Il avait pu se payer une nuit d'hôtel. La chambre miséreuse avec sa douche à peine chaude lui avait paru un véritable palace après toutes ses nuits à crever de froid dehors.
À cette partie de son histoire, il fur incapable de regarder Célestin. Chaque mot lui faisait étrangement honte alors qu'il n'avait fait que survivre.
Ça ne l'avait pas plus dérangé que ça. Au début peut-être un peu mais après… Il avait toujours aimé le sexe. Il couchait souvent. Avec tous types de gars, tous types de corps, tous types d'âges. Il y avait eu juste l'argent en plus.
Appuyé contre le mur, le regard fixé sur la porte du bureau, il sursauta quand des doigts touchèrent les siens.
— C…C'est p…pour ç…ça que…que tu m…mhh…mhhhh…mets le chau…chauffage à f…ffff….ffff…fond ?
— Hein ?
— T…Tu pa…pa…paniques quand il…il…il… f…fff…ffffait m…mhh…moin de vingt et…et… un à la maison.
Nils aimait comment Célestin ne trébucha pas sur le à la maison. Il hocha la tête. C'était vrai qu'il avait peur du froid. Ça lui rappelait ces soirs où frigorifié, il ne pouvait pas s'empêcher de se demander si demain, il serait toujours là. Il était généreux sur le chauffage, ça le rassurait d'avoir chaud. S'il mettait un pull, c'est qu'il ne faisait pas assez chaud. Le pull s'était la première étape vers le froid.
Quand Célestin vint s'appuyer à côté de lui contre le mur, il reprit.
Il lui raconta comment il avait rencontré Zingaro pendant une fête alors qu'il cherchait maladroitement des clients. L'homme l'avait pris sous son aile et lui avait montré les ficelles du métier en échange d'un pourcentage. C'était même lui qui avait trouvé le plan pour son appartement. Un budget bas qu'il pouvait se permettre. Il avait couché avec beaucoup d'hommes. Il ne savait pas combien. Ça pouvait être un par soir, ou trois ou quatre. C'était des fellations, des sodomies ou des parodies d'amour avec de faux baisers. On lui demandait parfois des mots doux et de la tendresse ou au contraire on l'insultait pour le baiser durement. Ça avait été bien, ça avait été douloureux, ça avait été son quotidien.
Nils s'étonna de la facilité avec laquelle tout ça sortait. Un flot continue d'une vérité qu'il avait retenue pendant des années. Ça faisait du bien. Ça faisait foutrement du bien !
Les doigts de Célestin ne l'avaient pas lâché. Au contraire, ils massaient doucement sa paume en signe d'encouragement.
— Tu…Tu.. tu n'es pas obligé de continuer si…si…tu ne ve…veux pas.
— Si, on arrive à la partie que je préfère, murmura-t-il doucement en lui jetant un regard en coin. Un jour…
Un jour, il prenait un café dans ce café où il allait chaque matin après ses nuits de travail. Ce jour-là, il était particulièrement crevé et il avait vraiment le cul défoncé. Ça avait été hard, un threesome pour réaliser les fantasmes de deux homos un peu trop balèzes niveau virilité. Ce n'était pas avoir mal au cul qui le dérangeait. Ce qui le dérangeait, c'était de ne peut-être pas pouvoir bosser le soir à cause de la douleur. Alors quand en se retournant, il s'était cogné dans un mec, sa première réaction avait été d'avoir envie de lui hurler dessus.
Il ne l'avait pas fait. Au lieu de ça, il s'était retrouvé avec un nouveau café en main, et une viennoiserie en plus, attablé avec l'homme qu'il avait bousculé.
L'homme en face de lui n'arrêtait pas de sourire. Des sourires timides, des sourires gênés, des sourires satisfaits. Même s'il butait sur chaque mot prononcé, il n'avait jamais vu quelqu'un aussi heureux de lui parler. Les mots éclataient sur ses lèvres comme une infinie de victoires.
Au début, il avait cru que le mec connaissait son métier. Mais non pas un geste ou une proposition dans ce sens. Ils n'avaient fait que discuter. A cet instant, Nils s'était rendu compte que ça lui arrivait rarement voir jamais. Toutes ses conversations n'avaient qu'un seul but : baiser et ramener de l'argent. Mais pas là. Il ne l'avait même pas invité à se revoir. L'homme avait regardé sa montre et son sourire avait disparu parce qu'il devait y aller.
Nils l'avait recroisé le lendemain et le surlendemain et à chaque fois qu'il venait prendre un café. À un moment donné, il s'était enfin rendu compte que l'homme l'attendait chaque matin. Quand il lui en avait fait la remarque, malgré son teint mat, Nils n'avait jamais vu quelqu'un devenir aussi rouge. Son bégaiement qui s'était un peu calmé avait empiré au point qu'il n'arrivait même plus à prononcer un mot. Au final, le type avait sorti une carte de visite et montré son numéro de portable. Il s'appelait Célestin Mills et était avocat.
Nils se souvenait encore de leur conversation.
— Tu veux que je t'appelle ?
Célestin avait haussé les épaules avec un sourire timide avant de lui dire :
— Si tu en as envie.
Après ça, Nils ne l'avait plus jamais croisé dans le café et il s'était rendu compte que ça le contrarié. Il l'avait appelé et ils s'étaient revu, une fois, deux, trois, quatre… Pratiquement tous les jours pendant un mois. Il lui avait pris sa virginité et Célestin lui avait volé ses sentiments.
— Le jour où tu m'as dit que tu m'aimais…
Nils hésita à continuer. Il se demanda si Célestin voulait vraiment entendre la suite mais il se dit qu'il avait gardé assez de secrets comme ça. Mieux valait vider le pus d'un coup que de devoir raviver la douleur plus tard. S'il y avait un plus tard…
— Ce jour-là, le soir, j'avais rendez-vous avec un régulier. Jusqu'à présent c'était un client que j'aimais bien mais… Mais quand on en a eu fini, je me suis mis à le détester et à me détester. J'ai su que je ne pouvais pas continuer. Je suis allé voir Zingaro, je lui ai dit que je voulais arrêter et quand il m'a demandé pourquoi….
— Tu… Tu lui as répondu qu…quoi ? l'encouragea Célestin lorsqu'il ne continua pas.
— Que je t'aimais. Que ce n'était plus possible. Je t'aime Célestin. Ça n'a pas changé depuis.
Côte à côté, ils se regardèrent un long moment. Le temps lui parut arrêté, il n'y avait pas de futur, pas de présent et pas de passé. Il n'y avait qu'eux et son cœur qui battait la chamade dans sa poitrine. Un bam bam bam assourdissant. Quand Célestin se pencha et posa ses lèvres sur les siennes, le temps et lui explosèrent.
Les larmes se mirent à rouler sur ses joues. Sur ses joues et dans son cœur. Un rideau de pleur qui l'aveugla. Il ne voyait plus rien ni dans sa tête ni à l'extérieur de sa tête. Il n'y avait que ses lèvres contre les siennes. Une toute petite chaleur dans le froid des larmes.
— Je… Je t'aime aussi Nilsson Crimsson. Et je suis triste que tu ne m'aies pas parlé de ça avant. Je suis triste que tu aies pu croire que j'allais te quitter si tu m'en parlais. C'est…
Célestin prit une grande inspiration et se gratta la gorge pour s'éclaircir la voix.
— C'est douloureux de savoir que tu as couché avec d'autre au tout début. Ça me fait mal, je ne peux pas le nier mais…
Nils s'accrocha désespérément à ce mais.
— Je t'aime. Je t'aime tellement que je suis prêt à l'accepter. Ce mois n'est r…rien comparé aux six ans qui ont suivi, n'est-ce pas ? Trente et un jour contre deux mille deux cent quarante-deux.
Cette fois, c'est Célestin qui avait l'air craintif dans sa question.
Nils acquiesça de la tête et pleura. Pleura et pleura.
Il pleura contre son épaule et dans le cou de Célestin. Il pleura entre ses bras qui s'étaient refermés autour de lui. Il pleura tout ce qu'il avait en lui. Toute cette merde accumulée. Ce magma noir et puant qu'il n'avait même pas eu conscience porter. C'était incrusté dans sa peau, dans sa mémoire, dans sa tête.
Il se vida entièrement de ce liquide brulant. Les larmes emportaient des lambeaux de son être. Elles les lui arrachèrent jusqu'à ce qu'il soit à vif, dépouillé du mensonge et de la vérité qu'il s'était inventé. Les visages de tous ceux qu'il avait sucés, qui l'avaient baisé ou qu'il avait baisés, s'enfuirent de sa tête libérés par les larmes.
Il y eut les visages furieux de ses parents. Ceux dégoutés de ses frères.
Et quand il n'y eut plus rien à sortir, il sentit se vide en lui. Immense, bien trop grand et effrayant. Un vide qu'il avait besoin de combler tout de suite avant de tomber dedans et de se faire avaler. Ce vide le terrifiait. Les larmes allaient lui aussi l'emporter.
Nils s'accrocha désespérément à Célestin mais il glissait inlassablement attiré par le trou noir. Il ne voulait pas s'y perdre. Il ne voulait plus se perdre.
— Nils ? l'appela Célestin. Est-ce que ça va ?
— J'ai besoin…
— De quoi as-tu besoin mon amour ?
Les mots de Célestin prirent place dans son ventre. Ils comblèrent une infime partie du vide. La cavité noire ne fut plus si noire. Au fond, les mots de Célestin brillaient.
Ils étaient doux et chauds dans le trou glacé.
— Dis-moi mon cœur…
Plus de chaleur.
De ça. De ses mots. Il avait besoin de lui pour remplir cette place déserte qui le terrifiait.
Du eux.
Quand Nils commença à lui embrasser le cou, Célestin se figea.
— Nils, est-ce que tu es sûr…
Il n'avait jamais était aussi sûr de quelque chose. Chaque baiser rejoignait les mots et remplissait le vide. Alors oui, il était sûr.
Il était sûr d'eux. De ce qui les reliait. Du fil qu'ils avaient fabriqué en six ans et qu'il avait failli casser aujourd'hui.
Mais il ne s'était pas cassé.
Le fil tenait.
Le fil était solide.
Il pouvait tirer dessus, s'y accrocher quand il se perdait.
— Je t'aime… lui répéta maladroitement Nils incapable de lui expliquer ce qui se passait en lui.
De ce que Célestin faisait pour lui.
— Je t'aime aussi.
— Laisse-moi te faire l'amour… S'il…
Mais Célestin mit un doigt devant sa bouche l'empêchant de le supplier. Sans le quitter du regard, il commença par desserrer sa cravate avant de déboutonner lentement sa chemise.
Célestin n'était pas beau pour le commun mais il était au-delà du magnifique pour lui. Nils n'imaginait pas corps plus désirable en cet instant. Quand Célestin défit le dernier bouton de sa chemise, Nils l'écarta sur ses épaules. Un long moment ses mains errèrent sur son torse, elles dessinèrent sa poitrine, son ventre. Nils apprécia le grain de sa peau mate, caressa chaque ombre, toucha chaque grain de beauté. Contre son pouce, il fit rouler ses tétons et le souffle de Célestin se fit un peu plus poussé.
Ne pas être repoussé le rassura.
Presque timidement, Nils posa sa main sur la braguette de Célestin sentant sous ses doigts son érection. Il lui plaisait encore assez pour le faire bander. Son homme ne dit rien quand il laissa sa paume immobile sur son sexe ou quand il calla sa tête contre son torse. Célestin ne le pressa pas posant simplement de légers baisers apaisants sur le haut de son crâne. Comme toutes ces fois au café, il l'attendait.
Nils aimait son odeur. De toutes les sueurs qu'il avait respiré, c'était la seule qui ne lui piquait pas les narines. C'était un bon parfum. Un arôme qui l'excitait.
Quand Nils le tira par la ceinture et l'allongea un peu brusquement sur son bureau, Célestin se plia tranquillement à ses envies. Les bras le long de son corps, il se contenta de le regarder. Un regard noir, chargé de chaleur et d'amour. Pas de dégout. Pas d'hésitation. Plus de colère. Lui écartant les deux cuisses, Nils se plaça entre ses jambes et tira sur ses hanches pour que leurs bassins se touchent, leurs pantalons déformés par leurs érections.
Nils embrassa son torse, glissa sa langue dans son nombril, ses doigts occupés à défaire la ceinture de son homme. Il avait besoin de se sentir accepté. D'être sûr que Célestin n'allait pas le quitter. Il devait se débarrasser de cette peur maintenant ! Ça lui paraissait encore plus vital que de respirer.
Pressé d'avoir son goût en bouche, Nils se contenta de tirer sur l'élastique du boxer pour en sortir une verge gonflée qui rebondit contre sa joue. Célestin gémit doucement, un son terriblement érotique qui lui donna chaud et confiance. Quand Nils l'enfourna entre ses lèvres, d'une main, il épingla sa gorge contre la table pour le maintenir en place. Il aimait le pouls précipité qui tapait contre sa paume.
De ses doigt libres, il tira sauvagement sur le pantalon tailleur pour libérer plus de peau. Une peau qu'il griffa et malaxa durement. Une peau qu'il réclamait.
— N…N…N…
Au bout de quatre N, Célestin arrêta d'essayer de l'appeler trop occupé à gémir. Nils le suçait fort. Quand il ne l'avait pas en bouche, il embrassait son érection, appuyait dessus avec sa joue alors qu'il suçotait son aine, mordait sa hanche. Il lâcha sa gorge pour pétrir sa poitrine et tortiller entre ses doigts ses tétons rigides. Plus il tirait, plus Célestin haletait.
Il était à sa merci ! Ses bras toujours le long de son corps, Nils voyait ses poings contractés s'ouvrir et se fermer à chaque vague de plaisir. Dans sa bouche, il sentit le gout acide du liquide pré-séminal. Il l'avala plus profondément jusqu'à enfouir son nez dans le fin duvet noir de son homme puis, il le relâcha brusquement. Il lécha le pénis rouge de désir, humide de sa salive. Du bout de la langue, il titilla la petite fente. Il n'arrêta sa torture que quand lui-même en voulut plus. Il voulait que la verge de Célestin lui remplisse la bouche et il se remit à sucer.
Mais ça n'était toujours pas assez.
Il ne voulait pas plus, il avait besoin de prendre plus.
Il regarda l'homme haletant allongé sur la table. Les bras relevés, Célestin agrippait le bord du bureau, tous ses muscles tendus sous le plaisir. Les pieds remontés aux niveaux de ses fesses, les jambes écartées, il s'offrait à lui.
— Retourne-toi, bébé.
Nils reconnu à peine sa voix tellement elle était rauque, déformée par l'émotion.
Il regarda Célestin s'assoir, descendre du bureau et venir à lui. Son homme l'embrassa doucement caressant sa joue, massant sa nuque.
— N…Nils, tu sais que je n…nhh…ne vais pas partir ?
Il ne répondit rien.
— T..tu sais que si nous ne faisons pas l'amour, je serais quand même là demain et après-demain et encore le jour suivant et ainsi de suite.
Nils hocha la tête. La boule dans sa gorge obstruait les mots.
— B..bien, lui répondit simplement Célestin en retirant son pantalon avant de se pencher sur la table et d'écarter les pieds. Je voulais juste en être sûr.
S'accroupissant derrière lui, Nils posa sa tête sur une de ses fesses.
— Est-ce tu as envie que je te fasse l'amour ?
— Oui.
Il n'y eut aucune hésitation dans sa réponse.
— Même après ce que je t'ai raconté ?
C'était plus facile de lui demander comme ça, sans le regarder, cacher derrière ses jambes.
Sans que Célestin bouge de position, la main tendue en arrière, ses doigts caressèrent ses cheveux.
— Tu crois que je me force ?
— Je ne sais pas Célestin. Si j'étais à ta place, je n'aurais pas trop envie de me toucher.
— Alors, il est heureux que tu ne sois pas à ma place.
— Tu as envie que je te touche ? lui demanda-t-il en embrassant ses fesses.
— L'inverse me poserait problème. Nils, si ta question est : est-ce que ton passé me rebute ? La réponse est : non. Définitivement non. Il n'y a rien en toi qui m'écœure.
— J'ai connu beaucoup d'hommes. Ça ne te fait rien ?
— Je n'ai connu qu'un seule homme. Est-ce que ça te pose problème ?
— Non.
— Alors ma réponse est la même. La sexualité n'est pas… mal. Tu me l'as appris. Ce qui me pose problème Nils, c'est que tu aies couché avec eux pour survivre et non par désir.
— Je n'ai pas été contraint.
— La contrainte n'est pas toujours physique…
Inspirant longuement, Nils passa son doigt plusieurs fois entre sa raie. Il sentit contre son majeur, l'anus de Célestin se contracter à chacun de ses passages.
— Tu m'as sauvé, énonça-t-il.
Il n'arrêtait pas de se dire la chance qu'il avait d'avoir Célestin. Il se demanda pour la première fois ce qu'il serait devenu s'il ne l'avait pas rencontré. Autre chose. Mais il n'était pas sûr d'aimer cet autre chose. Ni même que cette chose soit encore vivante. Il ne savait pas ce qu'étaient devenues toutes ses connaissances de l'époque mais il savait qu'il y avait eu des morts. Le sida, le froid, la drogue... La rue et la prostitution tuaient.
Et lui était encore vivant.
— Nils…
— Tu m'as sauvé et je ne veux plus en parler.
— Alors empêche-moi de parler.
Nils n'eut pas besoin de plus d'encouragements. Ecartant les lobes, il admira l'intimité fripée. Il commença par caresser ses fesses, embrassant et mordillant de plus en plus près de son anus. Lorsqu'il posa enfin sa langue dessus, Célestin inspira brusquement et remonta une de ses jambes sur le bureau lui donnant un plus grand accès.
Nils passa doucement la langue autour de son intimité en des cercles de plus en plus serrés. Quand, au bout de plusieurs longues secondes, il efflora son orifice, il le couvrit de toute la largeur de sa langue. Au début, légers, les baisers se firent plus durs et prononcés. Tout en malaxant l'intérieur de ses cuisses, il souffla sur ses fesses avant de raidir sa langue et de pousser en lui.
Célestin gémit en relevant brusquement la tête avant de poser sans front tout aussi soudainement contre le bureau. Les épaules contractées, les mains serrées l'une contre l'autre, il poussait son corps contre sa langue, accentuant de lui-même la pénétration.
Alternant entre de légers coups de langue et des poussées plus marquées, Nils empoigna fermement ses fesses. Un de ses doigts rejoignit sa langue et la remplaça, poussant doucement sans forcer sur l'orifice encore serré et luisant de salive.
Quand Célestin bougea pour fouiller dans son tiroir et lui tendre un flacon de lubrifiant, il ne put se retenir de rire.
— Bébé… Pourquoi tu as ça dans ton bureau ?
— P…p…pour le au cas où.
— C'est prévoyant.
— Tu n'es p… pas con…content d'avoir de lubrifiant ? lui demanda-t-il en se relevant juste assez pour le fusiller du regard le défiant de se moquer.
— Très content, acquiesça-t-il en déposant une bonne couche de gel dans sa main qu'il chauffa entre ses doigts.
Nils prit son temps pour lui badigeonner les fesses, insistant sur son orifice. Du majeur, il massa son anus jusqu'à ce qu'il soit assez détendu pour s'insérer de quelques centimètres à l'intérieur. Il senti la pression des parois se resserrer naturellement autour de son doigt. Se retirant, remettant du lubrifiant, il réalisa de doux petits mouvements du dedans au dehors. Tirant sur les bords de son anus dans différentes directions, il le détendit avec délicatesse. Nils n'insista pas plus tant qu'il ne sentit pas le muscle puissants se relâcher et alors seulement là, il poussa plus loin. Sa première puis sa deuxième phalange disparurent entre ses fesses.
— Un…un…un n…nhhh…n'autre, haleta Célestin qui, toujours allongé, se frottait contre la table pour soulager son épaisse érection.
— Tu veux un deuxième doigt à l'intérieur ? lui demanda Nils en pliant son majeur à la recherche de sa prostate.
Célestin lâcha un son à moitié entre le cri et l'acquiescement quand enfin Nils tomba sur la petite boule de nerf. Lui embrassant les fesses, suçant sa peau pour détourner son intention, il ajouta son index à la pénétration. Nils flatta les hanches de célestin, passa sur son ventre et caressa son érection jusqu'à ce que la crispation passe.
Reprenant le va-et-vient, il tourna ses doigts dans ses fesses, caressa les parois, titilla sa prostate par intermittence cherchant le plaisir de Célestin. Les yeux fermés, Nils se laissait guider par ses soubresauts, sa respiration et ses gémissements. Célestin accompagnait ses mouvements de plus en plus rapides avec ses hanches et ses cris.
— V…v..vient.
S'attardant encore quelques secondes, histoire d'être sûr qu'il était assez détendu, Nils se redressa enfin. Retirant son pantalon et son tee-shirt, il se plaça nu dans son dos, sa queue posée sur la raie luisante de lubrifiant.
Déjà dur, quand il poussa en Célestin après s'être enduit de gel, il entra sans avoir besoin de forcer. Ce fut à son tour de gémir quand il s'enfonça jusqu'à la garde. C'était foutrement bon d'être en lui ! De sentir cette connexion entre leurs corps. Il regarda avec fascination ses fesses engloutir son sexe. Célestin le buste couché sur la table, les pieds écartés au sol, tourna la tête vers lui. D'une main, son homme vint toucher la jonction de leurs corps et soupira de satisfaction. Ils ressentaient le même soulagement.
Nils commença par de lentes et grandes poussées puis elles devinrent de plus en plus courtes et rapides jusqu'à être sèches et presque brutales. Il le posséda férocement puis amoureusement et de nouveau impitoyablement ! Il s'obligea à alterner les rythmes pour leur permettre de se reprendre et ne pas jouir tout de suite. Le plaisir montait de plus en plus fort et chaque pénétration apportait un peu plus de chaleur dans sa poitrine et dans son sexe.
Il bouillait d'un tumulte d'émotion ! Le désir le brulait de l'intérieur. Il voulait jouir et en même temps, il redoutait la fin de la chaleur. Parce que c'était bon, douloureusement bon.
Le bois de la table grinçait à chacun des coups de reins de Nils. Célestin, accroché au bord de la table, écarta un peu plus les jambes dans l'espoir que Nils s'enfonce un peu plus loin. Quand Nils s'arrêta brutalement alors qu'il sentait célestin au bord du gouffre, celui-ci poussa un gémissement désespéré en poussant vers lui pour atteindre le plaisir qu'il lui refusait.
— Bébé… l'appela Nils sans reprendre le rythme. Est-ce que…
Il dut s'y reprendre à deux fois avant de réussir à retrouver les mots qui avaient tendance à disparaitre dans la jouissance.
— Je… On peut inverser ? lui chuchota-t-il à l'oreille en s'allongeant sur lui.
Nils voulait vraiment le sentir en lui. Il voulait que Célestin éprouve la même chaleur qui le brulait quand il lui faisait l'amour. Ils échangeaient souvent les rôles mais aujourd'hui, ce partage lui semblait encore plus important.
Du plat de la main, Célestin le repoussa. Il se retourna pour s'assoir sur le bureau l'attirer entre ses cuisses et l'embrasser férocement.
— Ce…ce…ce que t..t..tu veux. Ce…ce…ce d...d..dont t..t..tu as b…b…besoin.
Poussant tout ce qu'il y avait encore sur le bureau par terre, Célestin s'y allongea sur le dos et lui fit signe de venir.
— T...t…tu veux qu…que je t..te prépare.
Nils secoua la tête. Ça allait. Il le voulait maintenant. Pas dans cinq ni même dans une minute. Il prit uniquement le temps de les lubrifier.
Escaladant le bureau, Nils vint se placer au-dessus de Célestin, un genou de chaque côté de ses hanches. Avec lenteur, éprouvant la douleur de la pénétration, il se laissa tomber sur lui jusqu'à être plein. Plein de son sexe mais aussi de son existence. Il sentit la présence de Célestin physiquement mais aussi mentalement. Il était en lui dans tous les sens du terme.
Soutenant ses fesses alors que Nils commençait à descendre, son homme écartait ses lobes et massait son anus, caressait son périnée. Il sentit la verge de Célestin gonfler et trembler en lui. Il accéléra la cadence et au bout d'à peine une poignée de minutes, Célestin lui broya le bras lui signifiant qu'il n'allait pas tenir plus longtemps. Nils ne s'arrêta pas, il voulait voir et sentir sa jouissance. Quelques secondes plus tard, Célestin éjacula dans un cri arraché.
Il le garda en lui alors qu'il se branlait vite et fort. Le regard plongé dans la jouissance de Célestin, il accéda enfin à la sienne !
Ecroulé sur lui, ils haletaient. Célestin caressait son dos et embrassait son cou.
— Je… Je suis d…désolé pour tout à l'heure.
— Pour quoi ? lui demanda Nils en léchant les perles de sueurs qui roulaient jusqu'à sa bouche.
— Pour être parti.
— Tu avais de quoi être en colère.
— Non. Je n'aurais pas dû t'abandonner dans ce commissariat. On..On aurait dû tout de suite parler. Je t'ai fais mal en te…te fuyant.
— Je t'ai fait mal en te mentant.
— Ce n'est pas du donnant-donnant, Nils. Que tu m'aies fais mal n'est pas une raison valable pour que je te fasse mal.
— D'accord. Je te pardonne pour t'être enfui. Tu t'en sens mieux.
— Pas vraiment, rigola Célestin en le serrant dans ses bras. T..tu…tu sais, t…tout à l'h..heure, je p…pensais…
— Tu as réussi à penser alors qu'on faisait l'amour ? lui demanda Nils en s'installant plus confortablement sur son torse.
Les bras croisés sur la poitrine de son homme et sa tête sur ses mains, il leva un sourcil interrogateur.
— Me…me coupe pas, le gronda Célestin en levant la tête pour déposer un léger baiser sur le bout de son nez.
— Ok.
— Chut.
— J'ai dis que je ne parlais plus.
— Alors tais-toi, rit Célestin en lui massant la nuque.
Il marqua une pause hésitant avant de reprendre.
— Tu sais pour cette histoire d'appartement…
— Tu veux vraiment qu'on se dispute sur ça maintenant ?
— Tu as dis que tu allais me laisser parler.
Avec un soupire, Nils lui fit signe de continuer.
— Tu n'es pas obligé d'emménager chez moi.
— Tu veux qu'on emménage chez moi ?
— Mais tu vas arrêter de me c…couper !
— Désolé.
Quand Célestin le fusilla du regard, Nils mima qu'il fermait une fermeture à glissière au niveau de sa bouche.
— Non plus. Franchement ton appartement est pourri. Je me suis dit qu'on pourrait en prendre un nouveau. On m..mh..mettrait chacun un tiers de notre salaire dans le loyer et on chercherait un truc qui nous plaise.
— J'ai le droit de parler maintenant ? interrogea Nils après quelques secondes de silence.
Célestin hocha la tête.
— Tu sais que tu vas être perdant ? C'est toi qui a le plus gros salaire de nous deux.
— Avec toi, je ne serais jamais perdant, lui chuchota-t-il en l'attirant dans un baiser.
— D'accord.
— S..sérieusement ?
— Oui. Ça serait comme un nouveau départ.
Il voulait ce nouveau départ.
— On ira dans des agences demain ?
— Tu es pressé ?
— Ça fait cinq ans que j'essaye de te convaincre. Je veux en profiter avant que tu changes d'avis. Une fois que tu auras rendu ton studio, tu n'auras plus le choix.
— Je veux un balcon pour mes plantes.
— Ok.
— Et une baignoire.
— Ok.
— Et une piscine.
— Ok, du moment que c'est dans nos prix. Au pire, je te mettrais un bassin gonflable au milieu du sa…salon.
— Je t'aime.
— Je t'aime aussi.
— Tu m'aimeras toujours quand il faudra ranger tout le bazar ?
— Oui.
— Et quand tu te feras virer parce qu'on aura baisé tout sauf discrètement dans ton bureau ?
— Je ne peux pas me faire virer. C'est moi le patron.
— Alors ça va.
— Alors ça va.
oOo FIN oOo
J'espère que cette nouvelle nouvelle vous aura plu !
Normalement c'était jour de publication de Loup et Louve mais je galère à la réécriture de mon chapitre 01. Donc, j'espère pour le 7 Février !
N'hésitez pas à me rejoindre sur Facebook à Yomika Fiction et à aller voir mon site : www . la-serre-aux-murmures . com
A très vite !
Camile Dit Yomika
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