Romance, M/M, Contemporain, Comédié, Nouvelle
Nombre de pages : 49
Nombre de mots : 28 000
Publication : 17/07/2017
Résumé : Pendant tout le lycée, Jess Rowe a été fou amoureux de Drew Chambers. Sauf que le problème de Jess c'est que Drew n'a jamais su qu'il existait. Mais quatorze ans plus tard, lorsque par un pur hasard il retombe sur lui et le traine dans son lit, il décide de feindre leur première rencontre pour ne pas passer pour l'obsessionnel qu'il était et est toujours. Mais voilà quand vous avez une meilleurs amie frappée, des frères intrusifs, un père et une mère pour commère et qu'en plus de tout ce bazar se rajoute l'ex de Drew, pour Jess rien n'est gagné.
Auteur : Yomika
Béta sens : Enais66 & orthographe : Yuiko
Fort fort longtemps
— Jess —
Quand un doigt se pose pile entre mes deux sourcils, je ne peux pas m'empêcher de loucher dessus. C'est un doigt parfaitement manucuré avec des ongles roses impeccables. Tout en Brynn est impeccable. De son maquillage à la douceur de sa peau, en passant par sa tenue vestimentaire et évidemment ce qu'il y a dessous.
Bry a un corps de Barbie. Blonde, grosse poitrine, petite taille, jolies hanches, des jambes d'un kilomètre. Et les yeux bleus, sans ça, le tableau ne serait pas parfait. Or Bry est parfaite. Dans le parfait du monde normé hétérosexuel. Le parfait terrifiant d'une reine de beauté.
— Il se passe quoi là-dedans, Jess ? me demande-t-elle en enfonçant son ongle dans ma peau.
— Il se passe rien, je réponds en soupirant.
Evidemment c'est un mensonge. Il s'y passe tellement de choses que je n'arrive à me concentrer sur rien.
— Genre rien comme un millier de choses ? insiste Brynn en appuyant plus fort.
Ouais, tout à fait ce genre-là.
Pour toute réponse, je lui chope la main, la couche sous moi et l'écrase de tout mon poids. Elle essaye de se débattre mais elle a beau avoir une bonne hauteur, je dépasse largement son mètre soixante-quinze. Bientôt, elle ne peut faire rien d'autre que grogner et essayer de me mordre. Ce qu'évidemment, elle tente de faire.
— Putain, ce que tu peux être lourd, Jess. Dégage de là ! Tu m'écrases, s'énerve-t-elle en tentant de se libérer.
Ses petites dents féroces et pointues réussissent à se planter dans mon bras et je grogne en me reculant! La maintenant plaquée contre le canapé, loin de tout bout de chair auquel elle pourrait s'attaquer, je bloque ses jambes efficacement entre les miennes avant qu'elles ne frappent une partie sensible.
— Jaiden, vient m'aider ! crie-t-elle après mon frère.
Jaiden, assis à la table du salon, lève à peine la tête de son ordi pour nous regarder.
— Ma puce, je t'aime. Vraiment, je t'aime. Tu es la femme de ma vie mais je n'irais pas me battre contre mon petit frère, lutteur professionnel, médaillé en argent olympique et deux fois or aux mondiaux. Même pour tes beaux yeux. Certainement pas, débite-t-il en tapant à toute vitesse, la lumière bleue du PC se reflétant dans les verres de ses lunettes.
Pour le coup, Bry arrête de se débatte et tourne brusquement la tête vers Jaiden. Je l'entends prendre cette petite inspiration signe de sa colère et précurseur d'un tacle verbal.
— Sale petit con ! Ce soir, tu peux toujours rêver pour que je te su…
Avant qu'elle me rende sourd en me disant ce qu'elle fait au lit avec mon frère, je lui coupe la parole en la chatouillant. Je connais tous ses points sensibles, là où il faut appuyer pour la faire couiner. Son rire s'échappe de ses lèvres alors que son corps se tortille sous le mien. Elle me hurle d'arrêter mais je préfère largement ses hurlements et ses menaces que d'imaginer mon frère nu….avec une érection.
Trop tard, les images nauséeuses sont dans ma tête !
Ça me rappelle cette fois, où j'avais surpris Jaiden sous la douche dans un moment très intime et très gênant pour nous deux.
— Tu penses à ton frère nu, me dit Bry entre deux rires, son sourire s'étirant en une grimace diabolique.
Parfois, je me dis que Bry sait mieux ce qui se passe dans ma tête que moi. C'est assez effrayant.
— Pas du tout ! je démens en essayant d'adopter un visage neutre alors que je sens la chaleur envahir mes joues et mon visage s'accorder à ma rousseur.
— Tu mens. Je sais toujours quand tu mens, Jess ! s'exclame-t-elle en enfonçant son doigt dans mon torse.
— Ferme là, Bry.
— C'est toi qui la ferme, réplique-t-elle automatiquement.
Nous nous fusillons du regard quelques secondes jusqu'à ce qu'elle hausse les épaules, un sourire au coin des lèvres.
— Ça va, Jess. Ce n'est pas comme si tu t'imaginais, pour la première fois, ton frère en érection. Je connais tous tes fantasmes d'adolescent, tu sais ?
— Pas tous.
— Peut-être, mais au moins les plus honteux ! Et ton frère en fait partie.
Je la regarde, les yeux écarquillés. Elle a osé le dire devant Jaiden ! Je lui avais avoué ça un soir où on avait bu. Beaucoup, beaucoup, beaucoup trop bu ! Et je l'avais regretté tout de suite après. C'était le genre de confidence qu'on ne répète à personne. Et surtout qu'on ne balance pas en plein milieu d'un salon où se trouve ledit frère ! Et ça m'était arrivé une fois ! Dans un foutu rêve en plus ! Je n'avais jamais fantasmé volontairement sur mon frère !
Mon aveu inavouable avait fait rire Bry pendant des mois. En bonne étudiante en psychologie, elle avait pris un malin plaisir à m'analyser. J'étais très, très, attaché à mon frère, et ça traduisait le lien très, très fort qui nous unissait. Elle m'avait rassuré en me disant que le contenu de nos rêves érotiques n'avait souvent rien à voir avec nos penchants et notre sexualité habituelle. Même si moi, en effet, j'aime sucer des queues. Après, elle avait quand même rajouté que c'était bizarre parce qu'on se ressemblait vraiment beaucoup avec Jaiden. Et que c'était un peu comme coucher avec moi-même. Il est grand, je suis grand. Il est massif, je suis massif. Et nous avons la même tignasse rousse vive spécifique à la famille Rowe. Elle avait ensuite comparé nos sexes. Chose qui avait failli me rendre sourd.
Parfois, je déteste autant cette fille que je l'adore.
— Sérieux ? demande mon frère en mimant un haut-le-cœur, détournant enfin son regard de l'écran.
— Je déteste que vous soyez ensemble, je râle en relâchant enfin Bry qui me tapote gentiment la joue.
Et c'est vrai. Ça avait été la pire nouvelle de ma vie.
Je connais Brynn depuis le bac à sable. Depuis qu'on avait traumatisé un plus petit que nous en déchirant le dessin qu'il avait fait pour la fête des mères. Un joli papillon plein de paillettes et de cœurs qu'on avait réduit en lambeau. Ça avait été génial ! Ça avait été l'acte diabolique, et complètement gratuit, qui avait scellé notre amitié. On ne s'était plus quitté après ça.
On a grandi et tout fait ensemble. Sauf l'amour évidemment. Ça, elle l'a réservé à l'ainée de la fratrie Rowe. Et quand à vingt-deux ans, elle m'avait annoncé, mains dans la main avec Jaiden, qu'ils sortaient ensemble, je l'avais très mal pris. J'avais eu l'impression qu'elle me trompait ! Bry était à moi !
J'étais bien plus jaloux avec elle qu'avec tous les copains que j'avais pu avoir. Eux ne comptaient pas mais elle… Bry c'était Bry ! C'était mon amie ! Ma seule fichue amie et mon frère avait réussi à me la piquer ! J'adore mon frère mais ça ne lui donne certainement pas le droit de s'approprier Brynn. J'avais prié pour qu'ils rompent rapidement. Genre le lendemain ou dans la semaine. Mais je n'avais pas du prier assez fort parce que onze ans plus tard, ils sont toujours ensemble et mariés en prime.
En onze ans, j'ai appris à faire avec et Jaiden aussi. Brynn n'a renoncé à aucun de nous. Je squatte aussi souvent leur canapé que Bry le mien. Jaiden et moi apprenons trop souvent des choses sur l'autre que deux frères devraient ignorer ! Comme un de mes fantasmes coupables d'adolescent.
— Bon alors, tu me dis ce qui ne va pas ? reprend-t-elle son interrogatoire en me donnant un coup d'épaule comme si la bombe qu'elle venait de lâcher n'était rien.
— Il n'y a rien, je réaffirme en détournant le regard, histoire de lui cacher un minimum mon mensonge.
— Il y a quelque chose. Tu es bizarre depuis trois mois ! Je l'ai remarqué. Jaiden l'a remarqué. Ton autre frère l'a remarqué. Tes parents l'ont remarqué.
— Ouais, c'est bon j'ai compris, le monde entier l'a remarqué !
— Ça va le nombrilisme ? Comme si le monde entier t'observait ! Va falloir redescendre de ton piédestal, se moque-t-elle gentiment en me donnant un coup de coude douloureux.
C'est que malgré son apparence fragile et ultra-féminine, Bry a quand même une sacrée force.
Mes frères, et surtout Jaiden, avaient appris à leur dépend qu'on n'emmerdait pas Bry impunément. Quand jeunes, ils avaient testé ses limites, ils s'étaient vite rendu compte qu'elles étaient restreintes.
Brynn, il ne faut pas trop la chercher. Frapper ne lui a jamais fait peur. Malgré que sa carrure fasse à peine la moitié de la mienne, elle était la première à s'interposer entre moi et eux lorsque mes frères poussaient trop loin leurs conneries. C'est ma superwoman et je suis son homme en détresse comme elle aime me le rappeler assez souvent.
— C'est vrai, acquiesce Jaiden en pianotant sur son PC toujours sans me regarder. Si tu ne réponds pas à Bry, c'est les parents qui vont craquer et finir par te demander. A mon avis, il te reste un ou deux repas familiaux avant qu'ils ne passent à l'interrogatoire façon Guantanamo.
Super. Absolument génial.
Il ne manque plus que ça, rajouter mes parents à l'équation. J'adore ma famille. Ils sont géniaux, mais quand ils s'y mettent, ils sont tout sauf la subtilité… Depuis que je leur ai appris mon homosexualité, ils mettent un point d'honneur à se mêler de ma vie amoureuse pour me montrer tout leur soutien. Beaucoup, mais beaucoup trop, de soutien !
Quand j'avais fait mon coming-out, qui était visiblement tout sauf un coming-out puisqu'ils étaient apparemment déjà tous au courant, ça avait été les vingt-quatre heures les plus difficiles de mon existence. Honteusement parlant, évidemment. Jaiden avait donné à mon copain de l'époque une poignée de préservatifs avec un clin d'œil appuyé et quelques railleries homophobes en supplément. Eon m'avait sorti toute une liste d'auteurs gays et de livres traitant de l'homosexualité. Et malgré mes dix-neuf ans, j'avais dû m'assoir avec mes parents à la table de la cuisine pendant trois heures et quarante-six minutes. Deux cents vingt-six interminables minutes ! Ils m'avaient fait un exposé allant de la digue dentaire à la localisation de la prostate en passant par l'importance de bien détendre l'anus pour éviter toutes déchirures. Ils avaient longuement insisté sur le fait que si malgré tous leurs conseils, j'avais mal aux fesses, je pouvais venir les voir pour en parler. Ils m'accompagneraient à l'hôpital sans poser plus de questions. La pire journée de ma vie.
Il y en a eu d'autres, mais celle-là, elle est marquée au fer rouge de la honte.
Alors si ma famille commence à s'en mêler, je suis foutu. Déjà que c'est mal barré…
— Les paris sont ouverts, continue Jaiden en cliquant plusieurs fois sur sa souris avant de tourner les pages couvertes de chiffres de l'énorme classeur qui l'accompagne partout. J'ai misé avec Eon sur ton entrainement avec ton nouveau coach, les parents sur tes angoisses homosexuelles et Bry sur l'existence d'un nouveau copain.
Et comme d'habitude, c'est Bry qui a raison.
Et comme je suis incapable de garder un visage impassible, Bry pousse un cri en s'exclamant : J'ai gagné !
— Je le savais ! Je te l'avais dit qu'il se faisait baiser, s'adresse-t-elle à mon frère avant de m'embrasser sur les deux joues comme si j'avais réussi un exploit. Tu me dois un resto, Jaiden ! Un cher pour t'apprendre à douter de moi !
— Tu fais chier, Jess ! grommèle mon frère en oubliant que s'il ne faisait pas de paris sur ma vie, il ne perdrait pas.
— J'y suis pour rien, je proteste en lui faisant un doigt d'honneur et en fusillant Bry qui jubile très peu discrètement à côté de moi.
Bry est tout sourire. Pas celui Colgate qu'elle adresse à tout le monde. Non, elle m'offre son vrai sourire. Celui qu'elle accorde rarement en dehors de moi et de ma foutue famille. Il n'y a rien de plus chaud et doux que ce sourire ! Certainement parce qu'il est si rare…
— Allez, dis-moi qui tu t'enfiles ? me demande-t-elle de sa façon typique de poser des questions.
C'est-à-dire sans aucune diplomatie.
Je grimace. Avec Drew ce n'est pas vraiment dans ce sens-là. Pas que je n'aimerais pas, mais Drew n'est pas un grand fan de la sodomie. Enfin si, il aime. Il aime même beaucoup mais c'est toujours pour mes fesses. Et comme si Brynn arrivait encore une fois à lire mes pensées, elle s'exclame :
— Oh putain, c'est lui qui te la met !
— Ok, je capitule ! grogne mon frère en se levant et en refermant son PC portable. Je pouvais supporter d'apprendre que mon frère avait fantasmé sur moi mais là, c'est beaucoup trop. Quand vous aurez fini de parler de qui pénètre qui, vous me trouverez dans le bureau.
— Tu ne veux pas savoir qui est l'élu de ton frère ? lui crie-t-elle alors qu'il disparait. Non parce que pour qu'il accepte de s'en prendre une dans les fesses, faut vraiment qu'il soit exceptionnel !
Je crois entendre Jaiden marmonner un truc du genre « pourquoi je l'ai épousée » mais il a déjà claqué la porte du bureau.
— Alors ça ! Mon Jessi d'amour, mon lapinou aux grands muscles, qui se laisse sodomiser. Ils sont combien à avoir eu le droit de visiter ton trou noir ? Moins d'une main, non ? me demande-t-elle en réfléchissant et en levant un doigt pour chaque prénom qui lui revient.
Trois doigts exactement.
— Tu dois vraiment être accroc, enchaine-t-elle en me regardant tout sourire.
C'est exactement ça.
Plus qu'accroc même.
— Son nom ?
— Quoi son nom ?
— Je veux son nom et son prénom, et son âge, et une photo.
— Non.
Quatre fois non !
— Mon Jessi chéri, tu sais que même si tu dis non, tu vas finir par dire oui. Pourquoi ne pas t'éviter tout l'enfer que je vais te faire vivre si tu me dis encore une fois non en me donnant gentiment ce que je te demande ?
Je déteste son expression, celle qui dit : je vais t'arracher tous les renseignements que je veux et quand j'en aurais fini avec toi, tu n'auras plus que tes larmes pour pleurer.
Bry ne me lâchera pas tant qu'elle n'aura pas eu ce qu'elle veut et Bry sait tout à fait se montrer persuasive. Effrayamment persuasive.
Ce que Bry veut, Bry a.
Maintenant assise en tailleur, un coude sur le dossier du canapé, elle attend que je crache le morceau. Ses yeux ne me quittent pas d'un millième de seconde et son entrainement de miss de beauté lui permet de rester les yeux grands ouverts un sacré bout de temps. Ce n'est pas vraiment que je ne veux pas lui dire, c'est plutôt sa réaction qui m'inquiète.
— Jess… Je vais compter jusqu'à trois. Un, commence-t-elle en levant un doigt. Deux…
Là, elle lève un sourcil me mettant au défi de garder le silence.
— Tr…
— Drew Chambers, je lâche dans un souffle résigné.
Putain, je l'ai dit !
Il y a un grand silence entre nous. Bry a les yeux et la mâchoire grands ouverts. Elle me regarde, ébahie.
— Drew Chambers du lycée ? me demande-t-elle pour être sûr d'avoir bien compris. Le Drew Chambers pour qui tu as bandé pendant trois ans sans oser l'aborder ? Sans même lui faire savoir que tu existais ?
— Ouais, lui.
Exactement lui.
Le Drew Chambers de mes fantasmes d'adolescent mais aussi un peu d'adulte.
— Tu t'es fait défoncer la rondelle par Drew Chambers ! s'écrie-t-elle un chouia trop fort. Bah mon suceur, tu as bien joué ton coup, là !
Brynn est comme ça : cash. Ça n'a rien à voir avec mon homosexualité, ou une autre connerie dans le genre. J'aurais été une fille qu'elle m'aurait sortie : tu t'es fait défoncer la chatte et elle aurait terminé par exactement la même chose. Ou un truc grossier équivalent. De l'extérieur elle est toute impeccable, toute mignonne, le stéréotype de la princesse, de tous ses trucs qu'on dit que doit être une fille. À Brynn, il lui suffit d'ouvrir la bouche et elle vous défonce tous ces stéréotypes.
—Drew Chambers, répète-t-elle comme si elle n'y croyait pas.
Remarque, j'ai mis un temps fou à y croire aussi.
Drew Chambers. Dans mon lit. Enfin.
— Je suis fière de toi. Tu as ferré ton amour de jeunesse, me félicite-t-elle, impressionnée.
Et elle a l'air de l'être vraiment, impressionnée. J'avoue que j'en suis un peu fier aussi et je ne peux pas m'empêcher de sourire bêtement.
Drews Chambers avait été la star de mes fantasmes pendant de très longues années. Il venait d'entrer au lycée quand j'entamais mon avant-dernière année. Quand lors de son premier jour de cours, je l'avais vu, errant dans les couloirs à la recherche de sa classe, j'avais tout de suite su que j'étais amoureux. Un regard… Il avait suffi d'un regard.
Nous avions deux classes d'écart mais je m'en fichais complètement. Drew était juste magnifique. Le fantasme de tout homosexuel ! Brun, musclé, un sourire à tomber... Il faisait du sport, avait des tas d'amis et était surdoué. Il était tout ce que je n'étais pas et je le trouvais extraordinaire. Chaque fois que je le voyais, je ne pouvais pas m'empêcher de rougir et de perdre une grande partie de mon élocution. En tout et pour tout, j'avais dû lui adresser quatre fois la parole. Trois saluts et un bredouillement incompréhensible. Quand j'avais redoublé, pouvoir le voir un an de plus avait été la seule bonne chose qui avait compensé ce désastre scolaire et la perte de Bry qui, elle, était passée en classe supérieure.
C'était en partie pour essayer d'être un peu comme lui que je m'étais lancé à fond dans la lutte. Ce sport me plaisait, mais ce qui me plaisait encore plus, c'était de pouvoir un jour impressionner Drew Chambers. Ou du moins, qu'il sache que j'existe. J'y avais mis tout mon cœur. Et si je n'avais jamais réussi à attirer l'attention de l'homme de mes fantasmes, au moins avais-je attiré celle de mon entraineur. J'avais fini en sport étude avec un entrainement intensif qui m'avait mené quelques années plus tard aux plus hauts championnats.
— C'est juste wahou…
— Tu vas réussir à t'en remettre ? je lui demande avec un soupire en triturant nerveusement les franges d'un des coussins du canapé.
— Je ne suis pas sûr… Drew Chambers ! Tu sais combien de fois tu m'as cassé les oreilles avec ton obsession pour ce mec ?
Un millier de fois.
— Un millier de fois, se répond-t-elle.
Quand je dis que Brynn Savayard lit dans mes pensées, je ne blague pas !
— Tu m'as obligé à manger à la cantine pour t'assoir à la table voisine de la sienne, commence-t-elle à énumérer. Alors que c'était particulièrement immangeable et que ta mère nous préparait des petits plats. Tu disparaissais entre les interclasses, prêt à courir la moitié du lycée, juste pour le croiser. Et tu n'as jamais réussi à poster ce mail où tu lui déclarais ta flamme. Bien que tu aies passé au moins trois mois dessus !
Déclaration que j'avais encore en mémoire quelque part dans ma vieille boite mail. Je n'avais jamais réussi à la supprimer. C'était un mail ringard et affreusement niais.
— Heureusement qu'il n'y avait pas encore facebook, parce que tu aurais passé ton temps à l'espionner !
Sans aucun doute. Déjà, à l'époque, j'avais amassé beaucoup d'informations. Son emploi du temps, ses profs, les musiques qu'il aimait, les vêtements qu'il mettait le plus souvent, les sujets qui l'énervaient ou le faisaient sourire…. Ma vie au lycée tournait principalement autour de Drew Chambers. J'ai tout un tas de souvenir qui le concernent. Indubitablement trop concernant un mec qui n'a jamais su que j'excitais.
Un jour, lors d'un match interclasse, je m'étais retrouvé avec lui dans les vestiaires. Enfin pas uniquement moi et lui. Autour, il y avait tout un tas d'autres mecs. Mais je ne voyais que lui et j'avais totalement beugué. Je m'étais enfui quand il avait commencé à retirer son caleçon avant de jouir dans le mien. C'était Drew en train de se déshabiller ! Bien plus torride que George Michael, c'était la chose la plus excitante que je n'avais jamais vu ! J'avais dû m'imaginer des trucs vraiment horribles, comme mes parents nus, pour réussir à faire partir la trique qui déformait mon short de sport. Humiliant et en même temps un de mes meilleurs souvenirs. Voir le début des fesses de Drew avait été un des moments les plus érotiques de ma vie d'adolescent. Drew avait, et a toujours, de magnifiques fesses. Maintenant je sais aussi que ce qu'il y a devant est pas mal. Même plus que pas mal. Voire carrément imposant et qu'il sait parfaitement s'en servir !
— Tu fantasmes, me grondes Bry avec une grimace. Arrête de fantasmer quand je suis avec toi !
— Désolé.
Bry lève les yeux au ciel, sachant parfaitement que mon « désolé » est juste pour lui plaire. Je ne pourrais jamais être réellement désolé de fantasmer sur Drew.
— Bon, et comment mon petit Jessi d'amour a réussi cet exploit ?
— Tu te souviens des Jeux Olympiques ?
— Jess, c'était y'a quatre mois. Comment tu veux que j'aie oublié ?
— Tu sais, j'ai gagné cette médaille.
— Ça aussi, je m'en souviens, me dit-elle en levant une nouvelle fois les yeux au ciel. On est tous d'ailleurs super fiers de toi ! L'argent, lutte libre, catégorie poids lourd !
— Catégorie plus de quatre-vingt-seize kilos, je la reprends en la fusillant du regard.
Et c'était l'or que je visais. Je n'avais pas pu m'empêcher d'être déçu malgré l'euphorie du moment.
— Jessi, t'es un poids lourds ! me dit-elle en enfonçant, ou en essayant d'enfoncer, son index dans mon biceps.
— Je suis normal.
— Tu es tout sauf normal ! Un mec de plus de cents kilos, qui peut soulever une bagnole, n'est pas normal.
— Je ne peux pas soulever une voiture.
Et j'avais déjà essayé.
— Bref, on s'en fou ! C'est quoi la suite ? Comment vous avez fini au pieu ?
— Après, tu sais, il y a tous les journaux qui veulent t'interviewer et tout ça.
— Oui… Et ?
D'un signe de la main universel, elle me fit signe d'accélérer se foutant complètement des détails.
— J'ai donné une interview à un journal télévisé et Drew était le caméraman.
— Sérieux ?
J'hoche la tête. Au début, j'avais cru à une hallucination. Après quatorze ans, je ne pouvais pas être en face de Drew Chambers ! Pendant toute l'interview, j'avais eu un mal fou à me concentrer sur le journaliste, mes yeux sans arrêt attirés par Drew juste derrière.
— Tu l'as reconnu tout de suite ? me demande Bry avide d'informations.
— Oui.
C'était facile. Il n'avait pas tant changé que ça. Il était toujours aussi beau. Et sexy, habillé en noir, derrière sa caméra, riant avec le mec qui s'occupait de la perche.
Il n'y a qu'un homme capable de faire battre mon cœur un peu plus vite juste par sa présence.
— Et donc tu as joué avec ton statut de sportif olympique pour le convaincre de coucher avec toi ?
J'hoche la tête. Ça s'était passé exactement comme ça. Je n'étais plus le grand dadais un peu maladroit du lycée mais un sportif reconnu. Ce soir-là, j'avais bien plus confiance et je l'avais abordé sans même bafouiller une seule fois. Ce qui m'avait rendu assez fier. C'était Drew quand même. Il n'avait pas fallu longtemps, ni beaucoup d'arguments, pour le convaincre de m'accompagner dans une chambre. J'avais passé la nuit la plus extraordinaire qu'il m'ait été donné de passer.
— Et ben, il a l'air de t'avoir mené au-delà du septième ciel vu la tête que tu tires.
Si elle savait… A trente-trois ans, j'avais pris pleinement la mesure du mot orgasme quand il m'avait fait jouir sans même que j'éjacule. Certes, après cette nuit, je n'avais pas pu m'assoir pendant plusieurs jours et le retour en avion d'une dizaine d'heures avait été une torture mais ça en avait valu le coup.
— Ouais, il est assez doué.
— Juste doué ?
— Carrément doué.
— Cool, sourit-elle avant d'exploser de rire. Tu verrais ta tête, Jesse ! Rien que de te regarder, c'est dégoutant ! Et après ?
Après, mon assurance d'athlète avait fondu comme or au soleil dès que j'étais rentré chez moi. Il s'était écoulé un mois avant que j'ose composer le numéro de téléphone que Drew m'avait laissé. Pendant notre nuit de sexe, on s'était rendu compte qu'on vivait dans des villes proches. Même si on était tous les deux partis pour nos études supérieures, on était revenu à notre point de départ. On voyageait beaucoup mais c'était ici, dans notre région natale, qu'on revenait à chaque fois. J'avais feins la surprise lorsque Drew m'avait fait remarquer qu'il était drôle de rencontrer pour la première fois, à des milliers de kilomètres, une personne qui vivait si près de chez soi.
Contrairement à mes craintes, Drew avait eu l'air content de m'avoir au bout de fil. Et même si on n'était resté au téléphone qu'une poignée de secondes, on s'était mis d'accord pour se revoir dans la semaine. Cette première rencontre, qui s'était rapidement fini au lit, avait débouché sur une deuxième puis une troisième. En trois mois, nous étions passé d'une à deux rencontres par semaine à presque tous les jours dans le même lit. Quatorze cinés, onze restaurants, une vingtaine de pauses café, une soixantaine de sodomies et au moins le double de pipes. Il était aussi génial dans le lit qu'à l'extérieur du lit.
— Bon et il est où le problème ? Tu n'as pas l'air super heureux pour un mec qui s'envoie en l'air avec son amour de jeunesse. Il n'est pas aussi bien que dans ton imagination ?
— Non, ce n'est pas ça.
Il est dix fois mieux même si cela semble difficile. Plus je le vois et plus il me plait ! Je ne peux pas m'empêcher de l'apprécier un peu plus à chaque rencontre. Si avant de lui parler j'étais accro, il n'y a pas de mot pour le maintenant.
— Alors c'est quoi ?
— Tu te souviens de Matthew Delaway ?
Elle hoche la tête.
Tout le monde se souvient de Matthew Delaway. Star du lycée qui trainait tout un tas de qualificatifs cools derrière lui.
— C'était le petit copain de Drew pendant le lycée, non ? ajoute-t-elle en faisant fonctionner sa mémoire.
Je ne peux pas m'empêcher de grimacer.
L'homosexualité de Drew avait été révélée à la fin de sa première année quand on avait placardé dans toute l'école une photo de lui embrassant un autre homme. Ça avait divisé le lycée en deux : d'un côté les homophobes et de l'autre, et bien, les autres. Ceux qui s'en foutent, ceux qui en sont, ceux qui trouvaient l'homosexualité tendance…
Il y avait eu autant de soutien que de détracteurs. Mais là où ça avait été déterminant, c'est quand l'idole vénérée, Matthew Delaway, avait clamé haut et fort qu'il sortait avec Drew Chambers ! La guerre entre les pro-homos et les anti-homos s'était transformée en apocalypse ! Matthew, le stéréotype de l'hétérosexuel ne pouvait pas être gay ! Ça avait brisé le cœur des cheerleaders, et le mien, et provoqué un raz-de-marré dans la bonne conscience des gens. Après ça, c'était presque devenu cool d'être gay ou, du moins, d'avoir un ami gay. Les coming-out avaient fleuri un peu partout dans la cour du lycée et une association LGBT avait vu le jour.
Il y avait eu tout un tas de rumeurs, et tout un tas de trucs plus ou moins sympa, mais ce que je retiens c'est qu'ils ne s'étaient pas séparés. Drew et Matthew avaient été un couple solide que j'avais détesté ! Ils étaient mêmes allés au bal main dans la main. Matthew Delaway avait été mon ennemi personnel, et sûrement à sens unique, pendant des années pour cette simple raison. Et aujourd'hui, je le détestais de nouveau.
— Oui, ils étaient ensemble, finis-je par dire après quelque secondes à ruminer. Et ils se voient toujours.
— Comment ça, ils se voient ?
Je la fusille du regard. Comment croit-elle qu'ils se voient ?
— Ah… Ils se voient comme ça. Donc vous n'êtes pas vraiment en couple tous les deux, toi et Drew ?
— Je ne sais pas.
On n'en a jamais discuté. Jusqu'à présent, je n'ai jamais eu besoin de mettre de mots sur une relation. J'ai toujours eu des relations longues et très peu de coup d'un soir. Voire aucun.
Je m'étais dit que passant plus de soirées avec lui que seul, c'était significatif d'un début d'histoire. Mais ça, c'était avant que ce foutu Matthew Delaway l'appelle tous les quatre matins.
— Mais vous vous voyez souvent ? m'interroge Bry visiblement perplexe.
J'acquiesce. S'il ne dort pas à la maison, on réussit à quand même trouver une heure dans la journée pour se voir ou au moins se parler au téléphone.
Mais c'est toujours chez moi. Drew n'a jamais voulu m'emmener chez lui. Peut-être parce que chez lui, il y a déjà un autre homme.
Je ne sais même pas où il habite.
— Vous ne faites que coucher ?
— Non, au fait d'autres choses.
— Et tu es sûr qu'ils couchent ensemble ?
— Tu voudrais qu'ils fassent quoi d'autre ?
— Discuter par exemple.
— Je ne crois pas.
— Comment ça, tu ne crois pas ?
— Ils n'arrêtent pas de s'envoyer des sms et quand je lui demande qui c'est, il évite toujours de me répondre.
C'est personne ou juste un ami. Un ami qui lui envoie une dizaine de sms en à peine une matinée ! Qu'est-ce que Matthew peut avoir de si important à lui dire ? Ce matin, lorsque Drew était parti prendre sa douche et que son téléphone avait encore une fois sonné, ne pas lire ses sms m'avait demandé tout mon self-control.
— Tu sais que j'ai l'impression d'être retourné en cour de primaire ? lâche Bry en me tapotant la poitrine. Demande-lui et mets les choses au point. Arrête de te prendre la tête !
— Comme quoi ? Un truc dans le genre : Au fait Drew, est-ce qu'on est ensemble ? Parce que si c'est le cas, ça me dérange que tu couches avec ton ex. Tu sais, ton premier amour de jeunesse.
— Oui, exactement un truc comme ça, réplique-t-elle en me regardant comme si j'étais le dernier des imbéciles.
— Et s'il me disait qu'on n'était pas ensemble ?
— Et s'il te disait que vous étiez ensemble, qu'il t'apprécie beaucoup et qu'il ne couche pas dans ton dos avec son meilleur ami ? Tu as beau être le plus gros malabar que je connaisse, Jess, tu restes aussi le plus grand trouillard du monde.
— Je n'ai pas peur.
— Tu n'as pas peur quand il faut défoncer un mec de cent trente kilos mais dès qu'il s'agit de tes petits sentiments, alors là, il n'y a plus personne !
Elle ne me laisse pas répliquer et se lève pour aller chercher deux bières dans leur cuisine ouverte. Chopant le briquet de Jaiden posé sur le comptoir, elle fait sauter les capsules avant de revenir me tendre la mienne.
— Merde, tu es champion Olympique. Aie un peu plus confiance en toi ! Tout homme à qui tu offres ton petit derrière tout poilu devrait se sentir honoré, dit-elle comme un point final à cette conversation.
Quand une demi-heure plus tard Jaiden revient, il s'approche avec appréhension mais nous sommes passés à tout autre chose. Se servant à son tour une bière, il nous rejoint sur le canapé et se colle à Bry qui s'affale sur lui. Allumant la télé, il met par automatisme la chaine de sport sur une retransmission et commence à encourager, comme tout bon mâle viril le ferait, son équipe de basket favorite. Le sport de la famille Rowe.
Ne jamais insulter le basket et ne jamais rien prévoir un jour de match ! C'est un rendez-vous familial sacré qu'il est impossible de louper. Ou si vous le loupez, vous avez intérêt à avoir un raison médicale sérieuse et être au minimum au seuil de la mort.
Au moins, depuis mon sans-surprise-coming-out, mon père et mes frères avaient retiré de leur vocabulaire toutes leurs insultes homophobes préférées. Plus de pédales, tapettes, femmelettes… et autres joyeusetés blessantes et misogynes. Faut dire que Bry, elle, supporte mal ce type de propos. Ma mère aussi d'ailleurs. La génitrice Rowe ne laisse personne critiquer la chair de sa chair, pas même sa propre chair. Ses leçons de morales sont psychologiquement une épreuve épuisante et plus personne ne dit un mot homophobe devant elle. Dans le cas contraire, vous avez intérêt à ne pas être pressé et à endurer ses remontrances en silence. Toutes tentatives de justification ou de débat débouchent inlassablement sur une pluie de postillons et le courroux d'une mère surprotectrice. Pour ma mère, chaque critique contre ses bébés est une insulte personnelle.
Alors que mon frère s'excite sur une passe ratée dont 99% pourcent de la terre se fou, je guette mon téléphone sur la table basse. Drew m'avait dit qu'il passait chez lui après le travail pour récupérer des affaires, mais il ne m'avait pas dit s'il y restait. De peur de me montrer insistant, et de passer pour le mec lourd que je suis, je m'étais retenu de lui poser la question. Et depuis, pas de nouvelles.
L'horloge murale indique 21h47. Encore trois longs quarts d'heures d'attente. Histoire de ne pas révéler tout de suite à Drew ma non-vie sociale, je me suis auto-interdit d'appeller. Pas avant un minimum correct de vingt-deux heures trente. Une heure stratégique qui ne fasse pas trop désespéré et qui n'aurait pas pour traduction : « J'ai envie de te voir, tu me manques un max et je veux des enfants avec toi. Une ribambelle et pourquoi pas un chien. Tu aimes les chiens ? »
Alors quand mon téléphone vrombit contre le verre, et que le prénom de Drew s'affiche, je me jette dessus. Sans doute avec un chouia trop d'empressement, vu le regard surpris de mon frère et le haussement de sourcil de Bry. Plus calmement, essayant de réfréner le besoin expressément urgent d'ouvrir ce foutu sms, je tape faussement tranquillement mon code sous le sourire moqueur de Bry.
Drew : Tu fais quoi ?
Je lui réponds que je suis devant un match de basket avec des amis, éclipsant le fait que ces amis se composent en tout et pour tout de mon frère et de Bry.
Drew : Dommage.
Moi : Dommage pour quoi ?
Mais à la place d'un nouveau sms, mon téléphone sonne. Je me force à attendre au moins une sonnerie avant de décrocher. En arrière fond, couvrant pratiquement le salut de Drew, il y a des rires, des cris et de la musique forte.
— C'est bruyant chez toi.
— Et encore, me répond Drew de sa voix sexy légèrement rugueuse, je ne suis pas à l'intérieur. J'ai trouvé refuge sur mon balcon.
— Refuge ?
— Oui, j'ai été pris en otage.
— Au moins, ils ont oublié de te prendre ton téléphone, je me moque en me levant du canapé.
Bry me frappe les fesses quand je passe devant elle et Jaiden me dit quelque chose en rapport avec demain et le diner hebdomadaire des Rowe. Je lui fais signe de se taire en me réfugiant quelques mètres plus loin dans la cuisine.
— Ils demandent une rançon pour ta libération ? j'interroge Drew en jetant ma bière vide dans le bac destinée au verre.
— De l'alcool et des clopes. Ils ont déjà pillés mes réserves.
— Tu as besoin qu'on vienne te délivrer ?
— Toi et tes puissants muscles vous portez volontaire ? ronronne-t-il sensuellement dans le téléphone.
Je suis tout de suite à l'étroit dans mon pantalon. À son ton, je sais que Drew n'est plus tout à fait sobre. Il utilise cette voix, carrément excitante, uniquement quand il a dépassé le seuil raisonnable d'alcoolémie ou au bord de l'orgasme.
— Uniquement si j'ai le droit de coucher avec toi après le sauvetage, je lui réponds en réajustant comme je peux mon jean.
— Comme dans les films ?
— Un film porno alors.
— Avec du sperme et de multiples orgasmes ?
— Avec ta queue dans mes fesses. Pour le sperme et les multiples orgasmes, ça va beaucoup dépendre de ton état d'ébriété.
— Je suis toujours assez sobre pour te baiser.
Mon sexe est maintenant vraiment compressé dans mon jean.
— Drew, je bande. File-moi ton adresse que je vienne te chercher et que je te ramène chez moi ! je lui ordonne en essayant de trouver une position confortable à mon érection.
Déjà dans le couloir, clefs en main, j'enfile ma veste saluant silencieusement Bry et Jaiden dans le canapé. Si mon frère lève à peine sa main dans ma direction, Bry se retourne vers moi avec les deux pouces en l'air. Elle articule capotes et lubrifiant avant de me faire un clin d'œil appuyé.
— Tu vas me kidnapper à ton tour ? me demande Drew alors que je claque la porte de l'appartement derrière moi.
— Un Kidnapping consenti.
— Un kidnapping consenti, acquiesce-t-il. Dépêche, je bande aussi, Jess.
Drew vit dans un quartier populaire. Un quartier animé et très sympa dans lequel Bry et moi venons souvent faire les marchés à la sauvette.
Ici, c'est loin du calme de mon chez moi. Dans la journée, les voix habillent la rue, les marchands ventant à grand cris les qualités extraordinairement uniques de leur produit. Les rires fusent des cafés et les indignations sont des éclats de sons aussi récurent que les klaxons. La couleur est partout ! Dans les peaux, les habits mais aussi dans les accents chantants. Ils coulent à flot et bercent les oreilles trop habituées à un seul timbre de voix. La nuit, le quartier est animé par la circulation et les bruit de vie venant des bâtiments mal insonorisés.
Quand je m'arrête en bas de l'immeuble de Drew, je repère tout de suite son appartement au quatrième étage. Les ombres se meuvent en masse derrière une vitre et le bruit de la fête qui s'y déroule anime toute la rue. Des boum-boum sonores qui doivent rendre dingue plus d'un voisin.
Sur le minuscule balcon tout en longueur, se tient à l'étroit au moins une dizaine de personnes. Ils forment une masse noire mouvante. Composant le numéro de Drew, je crois voir une des silhouettes répondre au téléphone.
— Jess ? répond Drew, sa voix étouffée par d'autres nombreuses voix.
Une silhouette se détache de la masse noire et se penche par-dessus la balustrade. A peine ai-je pensé que, vu son état d'ébriété, ce n'est pas forcément une bonne idée qu'une main agrippe sa nuque et le ramène en arrière.
Je n'aime pas cette main, ni sa familiarité. Je l'aime encore moins quand une voix grave et familière l'engueule à l'autre bout de la ligne. Quatorze ans après, je la reconnais. C'est lui. Matthew Delaway. Toujours ce foutu Matthew Delaway.
Drew a dû couvrir le combiné car je n'entends pas ce qu'il lui répond. J'ai beaucoup de mal à les distinguer dans la masse de gens sur le balcon.
— Tu veux que je monte te chercher ? je lui propose le plus désinvolte possible.
— Bouge pas, je descends, me dit Drew précipitamment avant de raccrocher.
Fixant toujours le balcon, je vois, ou du moins crois voir Jess disparaitre à l'intérieur suivi par Matthew. Mon imagination me montre une scène d'engueulade, une réconciliation avec des baisers torrides qui me donnent la nausée et…
Trois petits coups à ma vitre coupent net ma divagation cauchemardesque.
Drew est là. Magnifique comme d'habitude. Il porte une veste en cuir usée ouverte sur un pull en col v. Tout sourire, il me fait signe de baisser ma vitre. A peine ai-je fini de la descendre que Drew se penche à l'intérieur, agrippe le col de ma chemise et me tire à lui. Ses lèvres s'écrasent contre les miennes et sans aucune délicatesse, sa langue force le passage. Il m'embrasse, me coupe le souffle, fait ce qu'il veut de ma bouche. Il me réduit au simple état de chose incapable de penser. Je suis mou, modulable dans ses mains, soumis au désir et au besoin qu'il fait naître en moi.
J'agrippe ses cheveux ! Ses mèches folles s'emmêlent à mes doigts et je presse plus fermement mes lèvres contre les siennes.
Drew me laisse à peine le temps de reprendre ma respiration et recommence à m'embrasser. Quand il me relâche enfin, haletant, il pose son front contre le mien, nos nez se frottant doucement.
— Quelques heures et ça m'avait manqué, rit-il en caressant à rebrousse-poil mes cheveux courts. Je ne sais pas ce que ça dit de moi.
Mon cœur bondit dans ma poitrine. Il accélère, excité par cette déclaration.
Je lui ai manqué.
— ça veut dire que tu vas monter dans cette voiture et venir avec moi ?
Drew me regarde de son regard brulant, celui qu'il utilise juste avant de me pousser sur le lit ou par terre pour me baiser sauvagement. Un regard chargé de sexe et de promesses érotiques.
— Certainement, me répondit-il en faisant le tour de ma voiture.
Il jette un sac à l'arrière et j'attends qu'il s'asseye et s'attache pour démarrer.
Sa paume englobe ma main posée sur le levier de vitesse puis se pose sur ma cuisse quand je déplace ma main sur le volant. Là où il me touche, c'est chaud. Puis de plus en plus brulant quand ses doigts remontent ma jambe, caressent mon aine et se posent sur ma braguette. Ma queue pousse contre mon jean et contre la main qui la masse doucement.
— Tu veux que je te suce ? me demande brutalement Drew alors que nous nous engageons dans des petites rues de plus en plus désertes. Pendant que tu conduis.
— Tu veux qu'on ait un accident ? je lui rétorque en m'efforçant de garder les yeux ouverts et de ne pas penser à sa proposition bien trop tentante.
Déjà, je l'imagine penché au-dessus de moi, mon sexe enfoncé dans sa bouche.
C'est trop, beaucoup trop pour mon imagination qui n'a vraiment pas besoin d'autant pour s'emballer.
— J'ai tellement envie de toi, me dit Drew en détournant le regard et en retirant sa main de ma braguette pour la remettre sur ma cuisse.
Ça sonne comme un aveu, comme quelque chose qui lui échappe. Je lâche le volant d'une main, pour mélanger mes doigts aux siens. Je les serre fort.
— Tu as aussi senti combien j'ai envie de toi Drew.
— Durement, rigole-t-il en me flashant un clin d'œil.
— Très durement.
Drew me regarde un long moment et dès que je peux, je fais de même. Il semble plus à l'aise dans ma voiture que moi. Mais en même temps Drew semble toujours à l'aise. Quoi qu'il fasse, il le fait de façon assurée. Même quand il se contente de marcher normalement dans la rue, on dirait que la rue lui appartient.
— J'ai vraiment envie de te sucer, lâche-t-il traitreusement alors que mon érection s'est un peu calmée.
Il n'en faut pas plus à mon sexe pour reprendre de l'ampleur.
— Je crois que je vais commencer par ça, continue Drew un sourire espiègle sur les lèvres. Je déboutonnerais ton jean et je sortirais ton énorme queue veinée. Je la ferais devenir démesurément grande dans ma paume. Elle sera tellement gorgée d'envie que je ne pourrais pas en faire le tour avec mes doigts.
Comme si je ne bandais déjà pas assez, mon érection commence à devenir dangereusement douloureuse.
— Tu sais que tu as de grands doigts, je rétorque le plus calmement possible.
— Je sais. Et je sais aussi que tu as un sexe monstrueusement imposant. Tu n'as jamais dû avoir de complexes dans les vestiaires.
— Toi non plus, je réponds en pensant à la taille du sien.
Pas spécialement gros mais d'une longueur parfaite.
Tout en lui est merveilleusement parfait. Fait pour me plaire.
— Je ne m'en plains pas. Mais ne pense pas à ma queue pour le moment, me rabroue-t-il, pense à mes doigts. Longs, fins et extrêmement habiles. Je les ferais courir le long de tes lobes, je les glisserais dans ton cul et je m'assurerais que tu sois assez détendu pour que je te prenne sauvagement. Fort et brutalement.
— Drew…
Son prénom que je voulais prononcer comme une menace, sort comme une plainte.
— Mes doigts vont et viennent en toi, reprend-t-il en passant du futur au présent. Contre eux, je sens tes parois se resserrer. Elles tremblent, me compressent…
Et comme si ses foutus doigts étaient vraiment en moi, je sens mes parois traitresses se contracter.
—Je plie mes doigts, les sors, les rentre. Je fais plein de choses avec. Je caresse ton érection si sensible et tes testicules si lourds. Je reviens entre tes fesses. J'enfonce mes doigts en toi. Tu es si détendu que j'ai à peine à forcer pour que ton cul les avale. Il les veut, il les désire. Il y en a un, puis deux, puis trois. Je les écarte et tu gémis sous la sensation. Tu aimes ça. Tu aimes l'élancement, ce tiraillement un peu douloureux alors que je te prépare.
Je n'ose plus dire un mot de peur de laisser un gémissement sortir.
Son fantasme devient mon fantasme et c'est comme si je pouvais sentir et éprouver ce qu'il raconte.
—Tu veux plus de sensations, plus de doigts, plus de mon sexe. Mais ce n'est pas encore pour tout de suite. Je trouve ta prostate, je la masse jusqu'à ce que tu me supplies d'arrêter, jusqu'à ce que tu sois sur le point de jouir, juste avec mes doigts dans tes fesses.
Et je vais vraiment jouir. Sans même ses doigts dans mes fesses.
Je pense à la route, à nous dans cette voiture, à mes mains sur le volant et à mon esprit de moins en moins concentré.
Je pense à l'explication qu'on devra fournir aux pompiers et à la police pour nous être écrasé contre un mur.
Et je pense à notre possible mort. Ça me suffit pour reprendre un minimum de contrôle.
— Arrête ça ! Qu'est-ce que tu essayes de faire ? je grogne en bougeant pour essayer de trouver une position à peu près confortable.
Donc une position inexistante.
— Je m'assure que ton érection tienne jusqu'à ton appartement.
— Tu n'as vraiment pas besoin de ça. Ta présence suffit à me faire bander.
— Bien, me dit-il en reprenant ce qu'il va me faire ignorant mon avertissement.
Quand on arrive à l'appartement, Drew en est à la première pénétration qu'il décrit comme brusque et puissante. Il dit s'enfoncer d'un seul coup en moi, il insiste sur sa présence et l'étirement douloureusement bon de mes chairs. Mon bassin, pris par ses paroles, se cambre en avant comme s'il m'avait réellement pénétré. Je n'en peux plus ! Il me faut plus que ses paroles et très vite.
La porte du garage s'ouvre avec une lenteur démesurément lente. Une fois ouverte, je n'ai jamais conduit aussi vite jusqu'à ma place de parking à côté de l'ascenseur. Mes pneus crissent contre le revêtement caoutchouteux et je freine si brutalement que nous sommes tous les deux projetés en avant.
A peine garé, je sors à toute vitesse de la voiture. Drew a juste le temps de faire pareil que je le pousse brutalement contre le capot et l'embrasse. Je l'attire contre moi, le surplombe de toute ma hauteur. Je n'ai plus de douceur en moi, toute lenteur brulée par la montée insoutenable du désir. Drew gémit dans ma bouche et son bassin se frotte frénétiquement au mien. Il tente de soulager son érection en l'appuyant contre ma cuisse.
Plus aucun de nous deux n'a vraiment la maîtrise de son corps. Le désir dicte nos actes maladroits et empressés. Chaque frictions, frôlements, caresses nous tirent un grognement ou un gémissement. Il n'y a plus de mots, juste les sons primitifs du désir.
Ma bouche glisse sur son visage. Mes doigts accrochent ses mèches brunes, tirent sur son blouson et son pull pour atteindre son cou. Je l'embrasse partout où je peux poser ma bouche. Mais ce n'est jamais assez. Je pousse contre lui et il pousse contre moi. Le métal de la voiture gémit sous nos assauts et nos halètements se répercutent en échos implorants dans le sous-sol.
Drew ronronne contre mes lèvres. Dominant, il agrippe ma nuque d'une main tandis que l'autre franchit ma ceinture, mon pantalon et mon boxer. Sa main malaxe mes fesses avant de les écarter et de se glisser entre elles jusqu'à mon intimité. Drew pousse sur mon anus et avec une facilité déconcertante, insère une, puis deux phalanges.
— Oh mon dieu, Jess, gémit Drew en serrant fébrilement ma nuque. Tu es déjà relâché.
Vu tout ce qu'il m'a raconté, je ne vois pas vraiment ce qu'il y a d'étonnant à ça.
Je ne lui réponds pas, trop occupé à glisser mes mains sous son tee-shirt et palper son torse. Mon nez enfoui dans son cou, je me gave de son odeur. Il sent bon. C'est un parfum enivrant et aphrodisiaque. Il porte l'odeur de la bière et de la sueur. Une odeur virile que je lèche comme si je pouvais la goûter. Son goût est encore plus excitant que son parfum. Je mords doucement sa clavicule et il gémit en réponse.
Son doigt en moi remue toujours et un deuxième commence à se frayer un chemin dans mon intimité. Drew vient à peine de frôler ma prostate et de m'arracher un cri quand le son de l'ouverture de l'ascenseur retentit à quelques mètres de nous.
D'un mouvement, nous nous séparons d'un bond, tous les deux essoufflés.
Un homme et une femme habillés pour sortir passent devant nous sans nous voir, trop occupés à leur conversation.
Quand je jette un regard à Drew, je gémis. Débraillé, les cheveux en bataille, il est un appel au sexe ! Drew, qui visiblement a encore quelques réflexes, retient l'ascenseur et me fait signe de le rejoindre. Une énorme bosse, identique à la mienne, déforme outrageusement son pantalon. Sagement, nous attendons que les portes se referment pour nous jeter l'un sur l'autre. Ça n'a rien de civilisé, c'est violent et effréné.
Drew me plaque contre les parois-miroirs et se presse contre moi, ses yeux plantés dans les miens.
— Ce que tu es sexy, Jess Rowe. Tellement sexy, que ça devrait presque être un crime.
Je rougis. Ses mots me plaisent. J'aime savoir que je lui plais. J'aime qu'il me trouve sexy. J'aime qu'il me le dise.
— Tu es dangereusement désirable. Tu me fais perdre la tête, rajoute-t-il en se mettant sur la pointe de pied pour atteindre mes lèvres.
Il agrippe ma nuque, m'embrasse violemment, mon crâne cogne contre le verre sous l'assaut.
Je me noie sous ses baisers. Nous entendons les cling qui indique chaque étage franchi et lorsque les portes s'ouvrent sur le dernier, nous sommes essoufflés. Drew me traine dehors tout en gardant ses lèvres collées aux miennes. Ses mains sont partout sur moi. Sur et sous mes vêtements, dans mes cheveux, sur mon érection, entre mes fesses. J'ai la tête qui tourne et le corps en feu.
Drew a réussi, je ne sais pas comment, à ouvrir mon manteau et ma chemise. Le froid du couloir se cogne à la chaleur de mon désir et ma peau se couvre de chair de poule.
Je pousse Drew contre ma porte, lui retire sa veste, son pull et son tee-shirt. J'entends un de ses vêtements craquer mais ni lui ni moi n'y faisons attention. Ils peuvent tous finir déchirés du moment qu'ils ne sont plus sur lui. À demi-nu, j'embrasse sa poitrine et son ventre. Je mords et lèche sa peau. Je tire sur sa braguette alors qu'il me fait les poches à la recherche de mes clefs. Quand que je trouve enfin son érection, il nous retourne et m'ordonne de continuer tout en cherchant à ouvrir la porte. Son sexe brulant dans ma paume, à l'étroit dans son pantalon, je le branle gauchement.
En appuie, nous tombons tous les deux quand enfin il réussit à nous faire entrer ! Il est à cheval sur moi, son bassin ondule contre le mien, il m'embrasse sauvagement. Oubliant une partie de nos affaires sur le palier, du pied, je claque la porte. Mon corps n'est plus mon corps, il obéit à mon désir, chaque geste réalisé dans le but d'apaiser le feu qui me consume. Mais le feu est incendie et il s'étend, prend de l'ampleur, les flammes toujours plus hautes ! Je suis en sueur et mon cœur menace de sortir de ma poitrine. Mes muscles tremblent, se contractent à chaque caresse.
Je réalise que Drew est entre mes bras et je tire sur son pantalon pour avoir accès à ses fesses. Il fait de même avec moi, m'oblige à soulever le bassin.
— Je ne vais pas pouvoir être doux Jess, m'avertit-il en saisissant brutalement mes fesses avant de les lâcher pour malaxer rudement mon torse.
— Je ne te le demande pas.
Les deux mains de chaque côté de mon visage, il me bloque la tête et me force à le regarder.
— Je ne vais pas pouvoir te faire toutes ses choses que je t'ai dit que je te ferais.
— Ferme la Drew !
S'il me suce, je vais jouir direct et ça ne va pas le faire.
— Je veux te sentir en moi.
Je veux qu'il me remplisse, je veux qu'il mette fin à cette attente, à ce besoin insupportable.
— Merci mon dieu, dit-il en reprenant voracement ma bouche.
Sans nous détacher l'un de l'autre, on se relève maladroitement. Trébuchant, nous rejoignons ma chambre bien trop loin de la porte d'entrée. Sur le parcours, nous perdons un à un nos vêtements. Quand nous arrivons enfin à mon lit, il me reste une chaussette dont je me débarrasse prestement.
Drew est nu contre moi, chaud et excité.
Je l'embrasse encore. Parce que je me rappelle toutes ces fois où je ne pouvais qu'à peine poser les yeux sur lui. Il n'y aura jamais assez de baisers pour rattraper toutes ces occasions manquées.
— Tu as le goût de la bière.
— Moins que toi. Tu es saoul, lui dis-je en laissant mon nez errer sur sa joue.
— Peut-être… Mais assez sobre pour te faire l'amour.
— Tu veux me faire l'amour ?
— Je veux toujours te faire l'amour.
Il a dit trop de fois le mot amour.
Je fouille la table de nuit, en sort lubrifiant et capote et les lui tends. À genoux sur le lit, Drew se branle lentement. Son regard parcourt mon corps et un sourire concupiscent étire ses lèvres. Il grogne et tapote les draps devant lui.
Drew n'a pas besoin de me le demander que je suis déjà à quatre pattes, le torse calé contre une tonne de coussins dans l'attente de le recevoir. Une main chargée de gel s'introduit entre mes fesses et des doigts fouillent mon intimité. Drew en rentre deux, histoire d'être sûr que je sois assez détendu, avant de se placer derrière moi. Le bout de son gland tout contre mon anus, les deux mains posées sur mes fesses, il s'introduit en une unique poussée.
Nous gémissons ensemble, mon putain se mêlant à son bordel.
La douleur de l'intrusion me tire une grimace et je passe une main sur mon ventre pour saisir mon érection et ne pas la perdre. Drew bouge doucement, essaye de me laisser le temps de m'habituer à sa présence mais je sens toute la difficulté de sa retenue. Il se retire presque complètement avant de revenir. Drew garde ce rythme modéré jusqu'à ce que j'hoche la tête et lui permette d'y aller plus franchement.
S'allongeant sur moi, les mains en appuie de chaque côté de mon buste, il me pénètre rapidement. Je sens son souffle contre ma nuque, sa sueur coller sa peau à la mienne, les spasmes de son ventre contre mon dos. Je sens tout ça et sa queue qui me pénètre. Je sens la multitude d'émotions qu'il éveille en moi et je gémis fort parce que je sens beaucoup trop de choses !
Drew embrasse ma nuque, suce mes cheveux trempés de sueur, me murmure des choses que personne ne devrait murmurer à un homme sur le point de jouir. Me sentant prêt à craquer, Drew se redresse et reprend ses lentes poussées. Une lenteur qui me torture et qui empêche la boule de chaleur dans mon ventre d'exploser. Lent. Lent. Lent. Fort et brusque. Puis de nouveau lent.
— Drew…
Je veux qu'il y aille fort. Je veux qu'il me défonce. Je veux le sentir cogner au fond de moi.
— Ça va ? me demande-t-il en s'allongeant à moitié sur moi pour poser sa bouche tout contre mon oreille.
— Drew…
Je suis incapable de dire autre chose que son prénom. Drew, Drew, Drew… Encore et encore Drew.
Je le sens rire dans mon dos et il se retire complètement.
Il n'a pas le droit de faire ça ! Pas quand je suis si bien quand il s'emboite en moi.
— Qu'est-ce que tu fais ? je râle en tournant brusquement la tête vers lui.
— Je m'assure que tu vas bien, me dit-il dans un sourire.
— J'ai l'air d'aller mal ?
— Tu n'arrêtes pas de gémir, se moque-t-il en se branlant doucement.
Drew passe ses doigts sur mon anus boursouflé et rien que cette caresse me tire un gémissement. Je sens mon intimité se contracter, essayant de les attirer à l'intérieur. Tout mon corps le veut. De toutes les façons, de n'importe quelle façon !
— Tu es vraiment sensible, chuchote Drew.
Je ne suis sensible qu'avec lui. Jusqu'à présent, la sodomie n'avait jamais réussi à me tirer un orgasme ou même simplement du plaisir. J'avais essayé trois fois et le résultat avait toujours été le même : je n'aimais pas ça. C'était un moment désagréable et douloureux, sans intérêt. Je restais bloqué sur la première douleur, imperméable à la jouissance qui aurait dû suivre. Jusqu'à ce que Drew me pénètre, je ne comprenais pas le plaisir de mes partenaires, la satisfaction de se sentir plein de l'autre.
Plein de Drew.
Drew qui est mon amour de jeunesse. Drew qui fait battre anormalement mon cœur.
Drew qui est dans mon dos. Dans mon lit. Dans mon appartement.
— Reviens. Je me sens vide.
—Tu veux que je revienne ? me demande-t-il en caressant mes cuisses, mon dos et mes fesses.
— Tu ne veux pas revenir ?
Drew me répond en se réintroduisant en moi. Sur son sexe, une nouvelle couche de lubrifiant m'humidifie un peu plus. Sans passer par la case lent, il va-et-vient vite. Il n'y a plus de douceur dans ses pénétrations répétées. Son bassin claque contre mes fesses et je me cambre à chacun de ses coups de reins. Je le sens en appui contre moi, tout son poids dans les mains qui malaxent rudement mes fesses.
Nos gémissements montent, de plaintes discrètes nous crions parce qu'il n'y a que ça à faire pour évacuer ce qui nous dévore le ventre. Mon lit claque contre le mur, le parquet grince, tout bouge autour de moi et en moi.
Drew me recouvre de son corps. Il passe ses bras sous ma poitrine et une de ses mains pousse mes doigts qui me branlent pour prendre leur place. Il me serre contre lui. De plus en plus fort alors qu'il accélère de plus en plus vite. Il me défonce, pousse frénétiquement dans mon cul, halète contre ma nuque, mord ma peau, crie, gémit. Son large gland malmène ma prostate à chacun de ses passages. Son sexe enfle, étire un peu plus mes fesses qui ne peuvent plus être étirées. Ça fait mal, ça fait du bien. Je pleure et j'en redemande encore. Je veux qu'il accélère. Je veux que ça s'arrête. Je veux qu'il me branle plus fort. Je veux qu'il serre son poing. Je veux qu'il relâche mon sexe. Je veux que ça continue. Je ne veux pas qu'il se retire. Je veux jouir. Je veux…
Je crie. Nous crions. Ou peut-être est-ce que ma voix. Peut-être est-ce que dans ma tête.
Ma chambre est un tourbillon de couleur. Elle tourne sur elle-même, m'avale, me rejette.
Ça m'aspire. L'orgasme balaie tout sur son passage, moi, mes sensations, mon corps.
J'éjacule contre mes draps, contre mon ventre, contre mes doigts. Avec mon sperme sort la chaleur. Je brule tout entier. Mon corps et mon âme sont ravagées par l'orgasme.
Drew enfle, enfle, enfle et explose. Mes parois se resserrent frénétiquement autour de lui.
Il crie.
Il me mord brutalement l'épaule alors qu'il continue ses va-et-vient brutaux.
Encore, encore.
Et puis tout s'arrête.
Nous sommes haletants et fébriles.
Epuisés.
Tous mes muscles se relâchent d'un coup, et je ne suis plus qu'une masse gisante sur mon lit, incapable de rien. Je ne peux ni bouger, ni penser.
Je suis bien. Terriblement bien. Trop bien pour faire quoi que soit d'autre que respirer.
La main de Drew toujours autour de mon sexe se relâche et se pose sur ma cuisse. Lorsqu'il se retire, Drew laisse un vide désagréable derrière lui. Un sentiment d'abandon qu'il comble en réintroduisant deux doigts en moi après avoir retiré le préservatif usagé. Il les laisse là, sans bouger, sans rien en faire. Ça me va, je ne voudrais ses doigts nulle part ailleurs. J'aime sentir sa présence qu'importe sa forme.
Je sens son nez bouger contre ma nuque et ses lèvres embrasser mon omoplate. Il est lourd. Mais c'est un poids que j'aime, une couverture chaude, agréable.
Aucun de nous deux ne parlons.
Aucun de nous deux ne bougeons.
Aucun de nous deux ne faisons rien jusqu'à ce qu'on s'endorme ainsi. Lui sur moi, ses doigts dans mes fesses.
— Drew —
J'ai chaud. Vraiment très chaud. J'ai chaud et je suis écrasé. Cent treize kilos de muscles me recouvrent. Emmêlé au corps de Jess, j'ai un peu de mal à déterminer notre position. Après une minute de réflexion, beaucoup trop intense pour un réveil, j'abandonne. Peu importe de savoir quel membre me passe sur le torse et quel membre j'écrase sous mes fesses. Je suis bien, il n'y a que ça qui compte ! Je réussis à déterminer l'emplacement d'une de ses mains quand cette dernière commence à me caresser paresseusement le genou.
Remuant contre moi en grognant, Jess bouge, ou plutôt gigote, jusqu'à être dans mon sens. Une de ses grandes mains me tire contre lui et m'écrase contre son torse. Lorsque j'ouvre les yeux, son visage est face au mien. Les paupières fermées, quand je commence à lui caresser le dos, il grogne de contentement avant de se rendormir.
Quand Jess dort, le visage détendu et de la bave au coin des lèvres, il n'a plus rien d'effrayant. Du doigt, je dessine les contours de sa mâchoire carrée. Même son visage est musclé et sans un poil de graisse. Seules ses lèvres sont marquées par la rondeur de la chaire. La première fois que je l'avais vu aux jeux olympique, j'avais réagi comme toutes personnes sensées : j'avais levé les yeux et reculé d'un pas.
Proche des deux mètres et fait de muscles, Jess est impressionnant. Un géant baraqué qui peut vous faire une prise d'étranglement avec son petit doigt. Mais Jess est tout, sauf ce qu'on peut attendre de lui. Sa personnalité ouverte et extravertie est en totale contradiction avec son physique d'homme des cavernes bodybuildé.
Quand il m'avait dragué et emmené dans la chambre d'hôtel, je n'avais même pas eu à argumenter pour être l'actif. Jess avait haussé les épaules et m'avait laissé le prendre sans me demander d'inverser. Il n'avait aucun problème avec sa virilité et n'avait pas caché le plaisir qu'il prenait à se faire sodomiser. D'ailleurs Jess ne cache jamais sa joie. Si on le voit peu sourire dans les reportages, dès qu'il sort des tapis, son sourire ne le quitte plus. Il est comme collé à ses lèvres et s'accentue chaque fois qu'il me regarde. Jess est la joie et la bonne humeur. Et contrairement à ce que j'avais pensé en premier, malgré le milieu viril dans lequel il évolue, Jess vit pleinement et ouvertement son homosexualité. Il ne semble jamais se poser la question du qu'en dira-t-on ou du si ça lui était permis. Il me prend la main et m'embrasse comme si le monde acceptait pleinement ce que nous étions.
La première fois qu'il s'était mis à chanter et à danser sur « You're the one » de Grease, j'avais complètement beugué. Alors que je venais de me lever et d'allumer la radio, Jess était apparu dans l'entrebâillement de la porte sur les premières notes de musique. La chemise ouverte sur sa poitrine, il l'avait fermé pour la rouvrir en chantant « I got chills, they're multiplying ». Le pire n'avait pas été de le voir imiter les mouvements de bassin de Travolta à la perfection, ni de savoir qu'il chantait très bien. Le pire avait été quand il s'était mis à imiter Sandy encore mieux que Danny. Au lieu d'être ridicule, Jess avait été sexy, carrément bandant. Le voir rouler des hanches et me tourner autour en secouant une chevelure qu'il n'avait pas m'avait donné une érection. Evidemment, ça ne lui avait pas échappé et tout en chantant « You're the one that I want, Ho, ho, ho honey », il m'avait poussé contre la table, baissé mon caleçon et sucé. Il m'avait fait jouir sur les dernières notes de la chanson et les premières de I like a virgin de Madonna, les vibrations de sa voix se répercutant directement dans mon sexe. Il s'était ensuite redressé comme si tout cela était le réveil le plus normal du monde, m'avait embrassé et était sorti en fredonnant « Can't you hear my heart beat / For the very first time ? ».
Je m'étais rendu compte de deux choses ce jour-là. La première était que Jess connait par cœur le répertoire des années 80 et 90 sans rien retenir des chansons actuelles. Et la deuxième était qu'il me plaisait énormément.
Sortir avec lui n'était pas du tout prévu. C'était arrivé comme ça, au fur et à mesure. Quand j'avais commencé à le voir, je ne savais pas ce qu'il attendait moi. J'étais un caméraman et lui un champion olympique reconnu. Un monde nous séparait. Je pensais qu'il s'agissait juste d'une compatibilité sexuelle qui passerait mais nous avions rapidement dépassé le stade de plan cul.
Dessinant les traits de son visage du bout du doigt, je me colle un peu plus contre lui et passe une de mes jambes par-dessus ses épaisses cuisses. Papillonnant des yeux, Jess se réveille lentement. Son premier réflexe est de s'avancer pour m'embrasser. Ses lèvres frôlent à peine les miennes et il enfouit son visage dans le creux de mon cou, son début de barbe irritant ma peau.
— Bonjour, je chuchote à son oreille en lui caressant le bras.
Pour seule réponse, j'ai un grognement vaseux et un souffle qui se fait lourd alors qu'il se rendort encore une fois. Réveiller Jess est une épreuve. Entre le moment où sonne son réveil et celui où il accepte enfin d'ouvrir les yeux, il l'a réarmé une dizaine de fois. Après, une bonne grosse autre demi-heure lui est nécessaire pour s'extraire de la couette. Le seul moyen efficace pour accélérer sa phase d'émergence est le sexe. Là, il ne lui faut pas plus d'une poignée de minutes pour sortir des brumes du soleil et répondre aux avances.
Enlacés, on reste un long moment dans cette bienheureuse torpeur, jusqu'à ce que son téléphone fixe sonne. Ni Jess, que ça réveille à peine, ni moi, n'esquissons le moindre geste pour décrocher. Il sonne cinq fois avant de se taire et de recommencer dix secondes plus tard.
Au bout du quatrième appel avec pour seule réaction de Drew un grognement et une insulte, je tends le bras par-dessus lui et décroche le combiné posé sur sa table de chevet. Peut-être, vu l'insistance, qu'il s'agit d'une urgence.
— Oui ? je marmonne la voix éraillée par le sommeil.
— Vous n'êtes pas mon fils.
Je ne suis pas son fils et un poids s'écrase dans mon ventre. Une seconde et la voix de la mère de Jess sont suffisant pour dissiper tout mon bien être.
Sa mère, je viens de répondre à sa mère. Un dimanche matin. La voix éraillée. Est-ce que sa mère est au courant pour nous ? Ou simplement pour la sexualité de son fils ? Ses collègues, son entraineurs, oui. Mais ses parents ?
— Je… Je….
Mais sa mère ne me laisse pas répondre et enchaine comme si je venais de la saluer poliment au lieu de bégayer et buter sur un unique mot.
— Drew, s'exclame-t-elle comme si elle me connaissait depuis toujours. Je suis tellement heureuse de vous avoir au téléphone, Jaiden nous a annoncé la bonne nouvelle de votre existence hier.
Bloqué sur le fait qu'elle connaisse mon prénom, la mère de Jess va beaucoup trop vite pour moi et un mot sur quatre arrive à mon cerveau. Téléphone, Jaiden et existence. Je crois me souvenir que Jaiden est le prénom d'un des frères de Jess…. Alors que j'essaye de m'éclaircir les idées et d'essayer de suivre le rythme effréné de mots déversés, je secoue Jess violemment. Tant pis pour son temps de réveil, là, il va devoir accélérer parce que je commence à complètement paniquer.
Sa mère au bout du fil continue de parler sans que je ne capte rien !
— … Et vous allez adorer le poulet Tangerine. Vous aimez le poulet ? Vous êtes peut-être végétarien. J'ai une sublime recette de Tian de légumes que m'avait passé Agatha, notre voisine. Tu te rappelles chéri ? On l'avait gouté chez elle il y a deux ans, interpelle-t-elle quelqu'un qui ne doit pas être très loin avant de reprendre un monologue dont j'ai complètement perdu le fil. En tout cas pour ce midi, nous avons un rôti farci et des patates mais je peux faire des légumes sautés en plus.
A force de le secouer de plus en plus fort, Jess ouvre un œil puis un autre et quand il referme les yeux, je suis sur le point de le gifler. Il ne va certainement pas dormir tranquillement maintenant !
— C'est ta mère ! je le préviens dans un chuchotement paniqué en obstruant le combiné d'une main.
Pour seule réponse, il me marmonne un vague « Raccroche, elle rappellera plus tard ».
Il déconne là ? Il déconne complètement !
— Je ne vais pas raccrocher au nez de ta mère ! je commence à mi m'énerver mi paniquer, mon ton montant désagréablement dans les aigus.
Jess doit enfin percevoir mon affolement, que j'ai beaucoup de mal à contenir, car il tend le bras vers moi et me prend le téléphone des mains qu'il porte à son oreille.
Il grommèle un truc incompréhensible avant de se lever sur un coude et de se frictionner les yeux pour se réveiller. Il soupire plusieurs fois et finit par s'assoir en tailleur sur le lit en regardant le réveil d'un œil mauvais.
— Oui, tu nous réveilles, grogne-t-il d'une voix rendue encore plus grave que d'habitude par le sommeil. Et non, Drew n'est pas végétarien.
Il grogne plusieurs autre fois complètement absent avant d'ouvrir brusquement les yeux et de se tourner vers moi.
— Je ne sais pas maman, lâche-t-il sans cesser de me fixer.
Je n'aime pas sa façon de plisser les yeux et de froncer les sourcils. Je le regarde avec inquiétude en me demandant ce que sa mère raconte pour réussir l'exploit de le sortir de sa torpeur post-sommeil en moins de cinq minutes. Elle doit lui dire un truc qui ne lui plait pas car il passe sa main sur son crâne presque rasé et secoue la tête.
— On verra. Il a peut-être quelque chose de prévue aujourd'hui. Maman…
Jess bascule la tête en arrière et me prend une main qu'il porte à ses lèvres en signe d'excuses. Et sans qu'il ait dit au revoir, il repose le combiné sur son socle.
— Tu as raccroché au nez de ta mère ?
— Non, c'est elle qui a mis fin à la conversation.
La conversation c'est si mal passée que ça ?
— Elle est fâchée ?
Il me regarde l'air de ne pas comprendre avant de bailler.
— Fâchée ? Tu rigoles, elle est en train d'exulter de joie.
— De joie ? Ta mère sait que tu es homosexuel ?
— Je ne suis pas dans le placard Drew, dit-il en se penchant pour m'embrasser doucement avant de bailler. Tout le monde sait que je suis gay.
Ses lèvres errent doucement au-dessus des miennes.
— Tu ne me parles jamais d'eux.
— Tu ne me parles jamais des tiens non plus, rétorque-t-il.
Et j'avais mes raisons. De très bonnes raisons qui s'appelaient homophobie et feindre l'hétérosexualité de leur fils. La seule fois où je leur avais présenté un copain, ils lui avaient parlé comme s'il n'était qu'un ami pendant tout le long et douloureux repas.
Ne me laissant pas répondre, Jess enfonce sa langue dans ma bouche et me couche sous lui. Je sens contre mon aine son sexe mou commencer à se tendre alors qu'il approfondit le baiser. Ses lèvres glissent de ma bouche à mon cou puis à mes tétons qu'ils maltraitent entre ses dents. Gémissant, mon bassin se soulève pour venir se frotter au sien.
— Tu as prévu quoi aujourd'hui ? me demande-t-il sa langue dérapant dangereusement bas en dessous de mon nombril.
— Rien.
— Tu veux manger ce midi avec moi ?
J'acquiesce de la tête alors qu'il dépose un baiser sur la pointe tremblante de mon sexe. Quand il fait ça, j'ai beaucoup de mal à réfléchir.
— Avec moi et ma famille ?
Je mets quelques secondes à digérer et comprendre l'information. Me redressant brusquement, manquant de lui donner un coup de tête, je le repousse, plus du tout excité.
— Tu me demandes si je veux déjeuner avec toute ta famille ? Ton père et ta mère ?
— Oui, me répond-t-il en haussant les épaules comme si c'était une question d'une banalité extrême. Et mes frères, et Bry.
— Tu me demandes ça en me faisant une fellation ?
— Je me suis dit que ça passerait mieux.
Je secoue la tête, dépassé.
Un déjeuner de famille. Un putain de déjeuner de famille avec sa famille.
Aujourd'hui.
Sans aucune préparation mentale.
Impossible.
— Tu veux me présenter à tes parents ?
— C'est plutôt eux qui veulent se présenter à toi.
— Tu ne veux pas me présenter à tes parents ? je demande la voix nouée, sans trop savoir pourquoi elle est nouée.
Jess lâche un gros soupir avant de s'avancer à quatre pattes vers moi et je recule jusqu'à la tête de lit contre laquelle il me bloque. Une de ses énormes mains se pose sur mon visage et son pouce caresse doucement ma joue de manière rassurante.
— Si, j'ai envie que tu viennes, Drew. Mais il y a de grandes chances pour que tu ne me rappelles jamais après aujourd'hui. J'ai deux frères qui pensent que mon intimité est publique et un père pas mieux que ma mère. Sans parler de Bry.
— Bry ? j'interroge Jess en haussant les sourcils, l'entendant pour la première fois prononcer ce prénom.
— Ma meilleure amie.
Dans tout autre bouche, ce terme serait ringard mais dans celle de Jess ça parait vrai, comme tout ce qu'il dit ou fait. Il soupire et pose son front contre le mien, nos yeux à quelques centimètres.
J'aimerais lui demander pourquoi il ne m'en a jamais parlé avant mais rien ne sort parce qu'aucunes des pensées qui se bousculent dans ma tête ne semblent aussi importantes que notre proximité. J'ai l'impression qu'il m'englobe, de son corps et de son regard. J'ai beaucoup de mal à me concentrer sur autre chose que la chaleur qu'il réveille inlassablement en moi.
— Jess, je voudrais te présenter à mes parents, lâche-t-il solennellement, ses doigts s'emmêlant à mes cheveux.
Je déglutis, ma pomme d'Adam descendant et montant bruyamment sous le coup de l'émotion. Alors qu'il me regarde en silence, j'ai conscience de notre nudité, de mes mains moites et de ma respiration trop rapide. Je me demande si lui aussi en a conscience, s'il sait l'effet qu'il a sur moi.
Fixant son torse, j'essaye de voir si son cœur tambourine contre ses côtes aussi fort que le mien.
— Et puis, continue Jess dans un sourire contrit, maintenant qu'ils savent que tu exiistes, si tu ne viens pas aujourd'hui, ils débarqueront les uns après les autres pour te rencontrer. Il vaut mieux prendre les devants.
— D'accord.
Les mots sortent de ma bouche avant que j'en comprenne leur signification.
Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça.
Je ne voulais pas dire ça.
— D'accord, tu viens ?
Ses yeux s'illuminent et je suis incapable de faire machine arrière malgré la terreur que m'inspire la situation. Sa main se serre autour de ma nuque et sa bouche se tord d'un sourire trop sincère pour que je le brise.
— D'accord, je viens, je lâche dans un souffle malgré moi sans le quitter du regard, un énorme poids dans le ventre.
J'ai envie de vomir et de m'enfuir. Envie de revenir sur ma parole, de lui dire que je ne suis pas prêt. Qu'il ne l'est pas plus. Que c'est trop tôt. Beaucoup trop tôt. Mais Jess sourit à pleines dents, un sourire éclatant, et m'embrasse puissamment. Quand sa main, descend le long de mon torse, je la retiens avant qu'elle ne vienne s'accrocher à mon sexe.
— Qu'est-ce que tu crois faire ? je gronde.
— Qu'est-ce que tu crois que j'essaye de faire ? réplique-t-il avec un sourire charmeur.
Nu, emmêlé dans les draps, le visage encore marqué par le sommeil, Jess est beau et attirant. Tout en lui donne envie de lui. Avant que je cède, qu'il réussisse par un sourire à me faire oublier ce foutu déjeuner de famille, je l'embrasse succinctement et l'enjambe pour me lever. Lorsque mon sexe frôle sa cuisse dans le mouvement, je vois son regard s'embraser et sa bouche s'ouvrir.
— N'y pense même pas, je l'arrête en me penchant pour récupérer mes fringues éparpillées autour du lit.
Il y en a partout… Incapable de retrouver mon boxer, j'ouvre un de ses tiroirs pour lui emprunter un slip. Jess est le seul homme que je connaisse qui puisse en porter sans paraitre ridicule. De toute façon Jess pourrait porter n'importe quoi qu'il n'en resterait pas moins sexy.
— Je n'y pensais pas, se défend-t-il en me souriant.
— Menteur, je l'accuse en pointant du menton son début d'érection.
— En même temps, nu devant moi, avec ton sexe qui se balance à hauteur de mes yeux, tu t'attends à quoi d'autre ? me taquine-t-il en me regardant enfiler son sous-vêtement avec un regard avide.
S'asseyant sur le bord du lit, les coudes sur les cuisses, Jess baille à s'en décrocher la mâchoire avant de reprendre son observation tranquille. Il a l'air détendu, beaucoup trop pour affronter ce qui nous attend.
— Arrête de me mater et bouges tes fesses de ce lit, je lui ordonne-t-il en enfilant mon jean. On va être juste en temps.
Jess regarde le réveil en haussant un sourcil.
— Il est à peine onze heures. Leur maison est à douze minutes, si on se dépêche pour la douche, je suis sûr que je peux te suc…
— Tais-toi, je le coupe en lui envoyant ses propres vêtements.
Il n'a pas le droit de m'allumer alors que dans moins d'une heure, je vais devoir affronter sa famille. Pas moyen qu'ils lisent sur mon visage que leur fils avait mon sexe dans sa bouche peu de temps avant que je les rencontre.
— Il faut qu'on passe chez le fleuriste et aussi qu'on…
Se levant à son tour, Jess vient m'enlacer par derrière, son menton sur le haut de ma tête.
Si Jess avait été un homme ordinaire, je ne l'aurais pas laissé faire. Je n'ai jamais aimé sortir avec des hommes grands qui remettaient en cause, par leur apparence, ma virilité. Mais comme pour beaucoup de choses, Jess est une exception. Bien qu'ultra-musclé et large, malgré qu'il me dépasse d'une bonne tête, je ne me sens pas moins homme.
Enveloppé dans sa chaleur, je suis bien. A la bonne place.
Un homme dans les bras d'un homme.
— Tu veux acheter des fleurs à ma mère ? me demande-t-il en déposant un baiser dans le creux de ma nuque.
— Non, je veux aller mater le petit cul du fleuriste avant d'aller déjeuner chez tes parents.
— Il n'est pas si beau que ça, son cul.
— Tu mates le cul du fleuriste ?
— Non, c'est de l'observation comparative. Et pour ton info, dit-il en prenant mes fesses à pleines mains, il est bien en-dessous du tien.
Je tourne la tête pour le fusiller du regard mais ça a pour seul impact de lui donner une érection qu'il presse contre mon dos.
— Ils sont tous toujours en retard. On peut faire pareil, ça ne choquera personne, essaye-t-il de me convaincre en mordillant mon oreille et en me tirant vers le lit.
— Je ne vais pas être en retard la première fois que je rencontre tes parents !
— Tu as raison. Ils seraient capables de deviner pourquoi et de nous dire que le sexe n'est pas une excuse valable.
— Ils seraient vraiment capables de dire ça ? je demande en essayant de garder une voix stable et de cacher ma panique.
— Ça, et tellement d'autres choses gênantes. Je te l'ai dit, après tu ne voudras plus jamais rien avoir à faire avec moi.
— Je ne pense pas.
Je ne vois pas comment je pourrais en avoir marre de Jess. Pas quand ne pas le voir pendant une journée me semble l'éternité. Pas quand me retenir de l'embrasser et lui faire l'amour est une véritable épreuve.
Retrouvant mon téléphone dans la poche de mon pantalon, je profite que Jess disparaisse aux toilettes pour envoyer un sms à Matt et le prévenir que je ne rentrerais sûrement pas de la journée.
Un énorme bouquet sur les genoux, Jess nous conduit à la périphérie de la ville, juste après le quartier des affaires. Graduellement, les bâtiments diminuent jusqu'à se transformer en maisons. Serrées les unes contre les autres, presque toutes mitoyennes, elles s'alignent le long des rues dans une ambiance « brique et lierre ». Etroites, les maisons sont construites sur une seule et même architecture. Haute de plusieurs étages, il y a un petit jardinet devant et un jardin tout en longueur à l'arrière.
Quand on s'arrête devant une maison aux volets parme, j'ai le cœur qui bat bien trop vite. De l'autre côté du potager et des massifs de fleurs, après la porte vitrée protégée par des barreaux en fer forgés, se trouve sa famille. La main de Jess me serre brièvement la nuque comme encouragement silencieux et il sort de la voiture. Il me faut bien trois ou quatre grandes inspirations pour réussir à l'imiter.
Les jambes molles, les mains tremblantes, je ferme les yeux en essayant de repousser mon envie de vomir.
— Ça va bien se passer, me rassure-t-il en m'ouvrant le portillon. Garde ton sourire et sois toi-même. Tu es et seras parfait.
Mais avant que j'aie pu répliquer quoi que ce soit, ou encore mieux, faire demi-tour, la porte d'entrée s'ouvre et une femme se précipite sur moi pour m'embrasser violemment sur les deux joues. Ecrasant entre nous mon énorme bouquet de fleur, elle me serre fort contre elle avant de reculer. Les mains sur mes épaules, elle m'observe de haut en bas, un gigantesque sourire sur les lèvres en acquiesçant silencieusement de la tête.
— C'est pour moi ? me demande ce qui je suppose être sa mère, en saisissant les fleurs froissées avec une appréciation positive dans le regard. Elles sont magnifiques ! J'adore les fleurs !
Je n'ai même pas le temps d'hocher la tête qu'elle se tourne vers Jess en brandissant le bouquet qui y laisse quelques pétales.
— Tu devrais en prendre de la graine et me ramener des fleurs, toi aussi. Personne ne m'offre jamais de fleurs dans cette famille ingrate!
Je sens mes joues s'échauffer au terme « amoureux » et je vois Jess me jeter un rapide coup d'œil avant de détourner tout aussi rapidement le regard.
— Drew, je te présente ma mère. Maman, voici Drew, lâche Jess en se penchant pour embrasser sur la joue l'immense femme.
Pas aussi si grande que Jess, elle a néanmoins un ou deux centimètres de plus que moi. Sa longue chevelure rousse est ramenée un en chignon défait sur le haut de son crâne et sur ses vêtements, amples aux couleurs bigarrées, pend un ensemble de sautoirs emmêlés.
— Tu peux m'appeler Alison, mon trésor, précise-t-elle en secouant encore le bouquet froissé qui n'a plus vraiment l'allure d'un bouquet.
Bloqué sur « mon trésor », incapable de répliquer quoi que ce soit,Jess me tapote doucement les reins en signe d'encouragement.
— Je t'ai ramené des chocolats, soupire-t-il en secouant la tête et en tendant à sa mère un ballotin qu'on a récupéré chez le boulanger à côté du fleuriste.
— Ça va faire plaisir à ton père ! réplique-t-elle en se tournant vers la porte pour crier : Chéri, Jess et Drew sont arrivés !
Un homme, petit comparé au gigantisme de Drew et de sa mère, mais tout aussi roux, arrive sur le palier, un torchon sur l'épaule. Il m'offre un sourire tranquille avant de me tendre une main que je serre hâtivement en espérant ne pas avoir la paume trop humide d'appréhension.
— On est ravi de te rencontrer Drew, me salue-t-il avant de serrer l'épaule de son fils.
Se penchant vers moi, il me murmure assez fort pour que tout le monde entende :
— Désolé pour ma femme. Elle est toute excitée par votre venue.
— Comme si j'étais la seule, réplique la mère de Drew les poings sur les hanches, le menton relevé. Tu voulais tout autant que moi le rencontrer, et si tu crois que je ne t'ai pas vu te rapprocher pour écouter la conversation quand Jaiden nous a appelés, tu te trompes ! Tu étais aussi content que moi d'apprendre la bonne nouvelle.
C'est la première fois qu'on me traite de bonne nouvelle.
C'est la première fois que des parents ont l'air heureux de me voir.
Et ça me perd. Ça me perd vraiment. J'ai l'impression que mes lèvres grimacent alors que j'essaye de sourire et mes oreilles bourdonnent désagréablement, effaçant la moitié de leurs paroles.
Seule la main de Drew, chaude en bas de mon dos, me semble réelle.
— Pas appeler, cancaner oui, rétorque Jess dans sa barbe.
— Mon chaton, si tu as quelque chose à dire, dit le de façon intelligible, le rabroue sa mère gentiment comme s'il avait encore quatre ans. Sinon, ne dit rien.
—Maman ! s'exclame Jess, piqué au vif.
Ignorant totalement l'indignation de son fils, sa mère nous fait signe de rentrer.
— Ne restez pas dehors, venez ! Vous êtes les premiers arrivés. Eon, Bry et Jaiden ne devraient plus tarder.
A la suite de son mari, sa mère disparait aussi vite qu'elle est arrivée, dans un chuintement de perle et de tissus, nous laissant Jess et moi seuls sur le palier. Terrassé par la tornade qu'est sa mère, je mets quelques secondes à m'en remettre. Mais avant que j'ai pu dire quoi que ce soit, Jess prend la parole en se frottant l'arrière du crâne, gêné.
— Désolé, s'excuse-t-il en me prenant la main comme pour m'empêcher de m'enfuir. Je t'avais dis qu'ils étaient… particuliers.
— Ta mère est…
— Intrusive. Gênante. Pénible, me propose Jess visiblement pas à court de qualificatifs.
— Maternelle, je finis par dire en serrant sa main.
Jess lève les yeux au ciel avant de pousser un gros soupir.
Devant moi, la porte ouverte est comme la gueule d'un monstre. J'ai beau me répéter que ça va aller, que ses parents ont l'air gentil, la bile remonte ma gorge et mes pieds refusent d'avancer.
— Drew, est-ce que ça va ?
— Quoi ?
— Tu n'as pas l'air bien.
Jess me fixe étrangement, les sourcils froncés.
— Ça va.
Ça ne va pas du tout.
— On peut partir si tu veux, me dit-il franchement. On peut aller manger quelque part. Ailleurs.
Je regarde la porte, puis le portillon, puis Jess.
— Et toi ? Où veux-tu manger ?
— À la même table que toi.
Sa réponse me tord le ventre et je jette un coup d'œil vers la porte pour m'assurer que nous sommes seuls.
— Je n'ai pas trop l'habitude de rencontrer des parents, je souffle tout bas en regardant mes pieds. Ça ne se passe jamais très bien.
C'est le moins qu'on puisse dire.
« Pas bien » est un euphémisme. Catastrophique est beaucoup plus adapté.
— Et moi, je n'ai pas trop l'habitude de présenter quelqu'un à ma famille, mais ça se passera bien, me répond Jess dans un sourire. Mais ça peut être demain ou dans un mois ou l'année prochaine. Rien ne te force à ce quoi que ce soit aujourd'hui.
— L'année prochaine ?
— Ok, je ne suis pas sûr qu'ils tiennent autant de temps.
Jess continue de parler mais je ne l'écoute pas. Il a dit l'année prochaine. Dans sa bouche, c'est une certitude. Nous serons encore ensemble l'année prochaine. La question est donc maintenant ou plus tard… Si rencontrer ses parents devait l'amener à rompre, autant que ce soit maintenant. Le plus tard sera immanquablement bien plus douloureux.
Prenant une grande inspiration, ma main serrée fermement autour de la sienne, je l'entraine à l'intérieur.
—Drew, tu es sûr ?
J'hoche la tête en refermant la porte derrière nous. L'appel d'air fait chanter le carillon accroché un peu plus loin dans l'entrée et les reflets du soleil contre les tubes en fer se balancent doucement sur les murs.
Tout un tas de cadres photos anime le papier peint vieillot. Contrairement à mes parents qui n'accrochent que les portraits officiels, ici, il n'y a que des clichés de vie quotidienne. Un repas de famille. Un jour au bord d'un lac. Un portrait de bébé. Sur une photo décolorée par le soleil, Jess se tient à côté de sa mère dans un magnifique costume de citrouille à l'évidence pour Halloween. Déjà très grand, alors qu'il ne doit pas être plus âgé que douze ou treize ans, il fait pratiquement la taille de sa mère. Juste à côté du cadre, une image attire mon attention.
Sur celle-là, une jeune fille en bikini est perchée sur le dos de Jess, les jambes crochetées à son ventre. Son visage heureux est calé dans son cou alors qu'il les fait tourner à toute vitesse. Ses cheveux lâchés fouettent le vent et ils rient tous les deux à gorge déployée.
— C'est Bry ?
La fille n'est pas juste belle, elle est magnifique. De ce genre de beauté qu'on ne voit qu'à la télé et qu'on se dit que, forcément, c'est une beauté retouchée. On ne peut pas être si belle et réelle.
— Oui, c'est Bry, confirme-t-il avec un sourire qui me pince le cœur. On était en vacances.
— C'était pendant le lycée ?
Jess hoche la tête.
J'avais appris qu'on avait fait un ou deux ans ensembles. Jess ne s'était pas étalé sur cette période et moi non plus. Ce n'était pas les meilleurs souvenirs de ma vie. Sans me regarder, Jess avait simplement reconnu qu'il savait qui j'étais à cause de l'histoire de la photo. Le blanc qui avait suivi cette déclaration avait été ma seule réponse, je ne voulais pas en parler. Plus jamais. Je haïssais cette photo. Elle m'avait pourri tout mon lycée. Parfois, je rêvais encore de cette image. Ce n'était jamais de bons rêves.
— Tu étais déjà très grand. C'est vraiment bizarre que je ne t'ai jamais remarqué.
Enfin pas si bizarre, j'avais traversé les années de lycée, la tête dans le brouillard. Trop pris par la révélation de mon homosexualité et ses conséquences, beaucoup de choses m'avaient échappé. Jess en faisait partie.
— Non, affirme-t-il une drôle de grimace tordant son sourire. En dehors de Bry, je n'ai jamais eu beaucoup d'amis.
Me prenant par la main, il m'emmène dans le salon.
J'aime la façon dont il croise nos doigts, son pouce qui caresse distraitement le dos de ma main.
— Vous avez l'air très proche tous les deux ?
— Assez. Bry, c'est… Bry. Elle me connait mieux que je ne me connais moi-même.
— Vous êtes sortis ensemble ? je lui demande brusquement en relevant la tête vers lui, un horrible doute au creux du ventre.
— Mon dieu, non, grimace-t-il en me regardant horrifié ! Je n'ai jamais été intéressé par les femmes et jamais je n'aurais pris le risque de sortir avec elle.
— Pourquoi ?
— Bry est... Particulière. Fantastique mais particulière. Je pense qu'avec mon frère, ils se sont bien trouvés.
Il le dit comme si le reconnaitre lui était difficile.
— Elle sort avec ton frère ?
— Elle est même mariée avec lui, grogne-t-il en levant les yeux au ciel.
Le salon est à l'image du couloir, défraichi dans un style anglais. Lumineuse, la pièce s'ouvre sur une salle à manger par une large porte à petit carreaux. Un papier peint à fleur, quelque peu gondolé, fait le tour de la pièce et des rideaux en lin bouillonnants surplombent une immense baie vitrée qui laisse passer une douce lumière tamisée. De vieux meubles, qui feraient pâlir tout bon brocanteur, habillent la pièce dans un esprit rétro mélangeant tout un tas d'époques sans volonté d'harmonie. Un vieux canapé défoncé et des fauteuils en velours élimés entourent une table basse dont un des pieds cassés a été rehaussé à l'aide de livres cornés. Je manque de m'étouffer quand j'arrive à distinguer la couverture passée d'un roman érotique.
Regardant l'espace de vie désordonné et chaleureux, je ne peux m'empêcher de le comparer à la maison froide et sans vie de mes propres parents. Rien que l'épais tapis sous mes pieds, à moitié décoloré et abimé, aurait fait pâlir d'effroi ma mère.
Jess me prend mon manteau qu'il balance avec le sien sur un tabouret de piano à trois pieds, comme si l'antiquité était un meuble quelconque, et traverse le salon pour rejoindre la salle à manger. Sur l'immense table est posé tout un tas de porcelaine disparates, mêmes les serviettes sont désunies. Jess glisse sa main dans la mienne et presse doucement mes doigts.
Sa mère, un chiffon à la main, finit de dépoussiérer les verres en cristal ouvragés qu'elle pose sur la table tout en nous regardant du coin de l'œil. Ses yeux se baissent sur nos doigts enlacés et elle semble particulièrement satisfaite de ce geste affectif entre moi et Jess, me mettant mal à l'aise.
— C'est moi ou ta mère a l'air particulièrement heureuse que je te tienne la main ? je lui chuchote le plus discrètement possible entre mes dents.
— Laisse tomber, me répond Jess en levant nos mains pour embrasser mes doigts, elle se voit déjà grand-mère.
— Dis-moi qu'elle sait que je ne peux pas tomber enceinte ? Ou alors tu m'aurais caché quelque chose d'important ? je lui demande entre mes dents sans cesser de sourire à sa mère qui nous observe.
Jess rit et m'attire contre lui, passant naturellement son bras autour de mes hanches. Je jette un coup d'œil gêné à sa mère mais celle-ci a l'air plus préoccupé par la décoration de sa table que la sexualité de son fils.
— Ne t'inquiète pas pour ça, dans quelques mois elle nous sortira les dossiers d'adoption complétés. Peut-être même qu'elle signera à notre place et qu'on recevra une lettre comme quoi un bébé nous attend quelque part dans le monde.
Je ne sais pas trop si l'idée me donne plus envie de rire ou de m'enfuir. Ma bouche se tord dans une grimace mi effrayée, mi amusée et Jess me serre plus fort contre lui.
— Alors Drew, est-ce que… commence sa mère mais un cri aigu dans notre dos la coupe brutalement
— C'est nous !
Surpris, je me retourne sur la plus belle femme qui m'ait été donné de voir.
Tirée à quatre épingles et perchée sur des talons qui lui font largement dépasser le mètre quatre-vingt, elle fait pratiquement la même taille que l'homme qui l'accompagne. A coup sûr Jaiden, le frère de Jess a en juger par la couleur de ses cheveux.
Identique à la photo du couloir, comme si le temps n'avait pas eu de prise sur elle, je reconnais facilement Bry. Une jupe tailleur et un chemisier blanc mettent en avant son corps aux courbes avantageuses. Les cheveux lâchés, ils encadrent l'ovale de son visage dans une mise en plis savamment étudiée.
— Tiens toi prêt, me dis Jess alors que je le regarde, étonné.
— A quoi ?
— À ça
— Jessi, s'exclame Bry en s'avançant vers nous, tu t'es décidé à l'amener aujourd'hui ! C'est super !
Roulant des hanches jusqu'à nous, sans se cacher, elle me dévisage de haut en bas en rejetant ses longs cheveux en arrière. Tournant autour de nous, je sens le bras de Jess se tendre contre mon flanc, quand elle s'arrête quelques secondes dans notre dos.
— Tu as raison, Jessi, lâche-t-elle en revenant en face de nous, ses fesses sont sacrément sexy.
— Je te jure, Drew, que je ne lui ai jamais parlé de tes fesses, s'exclame Jess le visage sûrement aussi rouge que le mien en se tournant vers moi.
— Non, confirme Bry avec un clin d'œil, par contre on a beaucoup parlé des siennes. Il parait qu'il s'en prend plein le…
Mais Jess a posé sa main devant sa bouche avant qu'elle ne prononce le dernier mot, la bâillonnant efficacement.
Le feu aux joues, ne sachant plus où me mettre, je suis incapable de regarder la mère de Jess pour savoir si elle a entendu. D'ailleurs, je ne suis pas sûr de pouvoir la regarder de la journée ou même le reste de ma vie. Ni qui que ce soit !
Ignorant, la lutte entre Jess et Bry, comme si c'était la chose la plus normale au monde, l'homme roux s'approche de moi. Il me tend une main que je serre le plus fermement possible malgré mes doigts tremblants. Sa paume, aussi large que celle de Jess, englobe pratiquement ma main.
— Jaiden, me salue-t-il dans un sourire identique à celui de Jess. Le frère ainé et voici Bry, ma femme.
Impossible de louper la fierté dans sa voix quand il prononce ce mot.
— Elle est d'abord mon amie avant d'être ta femme, rétorque puérilement Jess en maintenant toujours contre lui Bry qui finit par écraser son pied de son talon aiguille.
Grimaçant, il la lâche, un flot de juron se déversant bruyamment de sa bouche.
— Je suis à moi et à personne d'autre ! proclame Bry en s'écartant avec dignité, défroissant son chemisier et sa jupe avant de remettre en place sa chevelure. Vous êtes à moi et non l'inverse.
— Je suis ce que tu veux que je sois, lui concède Jaiden, mais ma belle, tu es à moi quoi que tu en dises.
Tout en lui jetant un regard mauvais, il ne faut pas plus de dix secondes à Bry pour retrouver son allure impeccable en contradiction avec ses paroles.
— On se calme, les enfants, gronde la mère de Jess en les menaçant d'une main armée de couverts. Drew est nouveau dans la famille. Qu'est-ce que je vous ai déjà dit ? On ne fait pas fuir les prétendants et on se conduit bien lors des premières présentations. Bry pas de mots vulgaires à ma table et toi Jess, il faudra un jour que tu te fasses au fait que Bry et ton frère sont ensembles. Ça fait quand même onze ans maintenant. Mon chaton, il serait temps de te faire une raison.
Jess regarde Bry, qui regarde Jess et elle lui file un coup de coude qu'il lui renvoie.
— Et pas de coup de coude, bon sang ! les coupe Alison, exaspérée, avant que la chamaillerie tourne encore une fois en bagarre.
— On s'y habitue vite, me confie Jaiden avec un clin d'œil. Tu les mets ensemble et ils perdent toute maturité. Le mieux c'est de les séparer pendant le déjeuner, ils peuvent être très pénibles sinon.
— C'est toi qui es pénible, réfute Bry en croisant les bras sur sa poitrine.
— Vous êtes tous pénibles ! tranche Alison en ramenant l'entrée. Sauf toi, Drew, évidemment. Que tout le monde s'assoie ! Eon m'a appelé, il est encore au travail, il nous rejoindra plus tard.
Visiblement la parole d'Alison fait loi car tout le monde se rassemble autour de la table.
— Eon, c'est le cadet, me souffle Bry qui a réussi à se caler à côté de moi, Jess prenant le siège restant à ma droite. Ne mange pas le pain, c'est Alison qui le fait et il est absolument atroce. Tu as des poches ?
J'hoche la tête en me demandant où elle veut en venir.
— Parfait. Ça demande un peu d'entrainement, mais le mieux c'est que tu le découpes en petits bouts que tu fais disparaitre au fur et à mesure. On a chacun nos techniques mais je trouve que celle-là est la plus efficace.
Je jette un coup d'œil à Jess, penché par-dessus la table pour récupérer la bouteille d'eau. Il va bien dans ce décor familial à son image. Je ne peux m'empêcher d'être jaloux non seulement de sa relation avec ses parents mais aussi avec son frère.
En venant ici, avec lui, je m'étais attendu à beaucoup de choses sauf à cet accueil. Rien de la méfiance ou de la gêne que je m'étais imaginé. Pas de rejet, pas de jugement, pas tout ce qui fait ma famille.
Les piques amicales fusent des quatre coins de la table sans que personne ne s'en vexe réellement. Tout le monde parle en même temps et personne n'attend son tour de parole. Il y a trop de conversations pour que j'arrive à en suivre une.
On me pose à peu près toute les questions qui peuvent être posées, la moitié me faisant virer rouge pivoine. Mon cursus, mon nom de famille, les animaux de compagnie que j'ai pu avoir, comment on s'est rencontré, depuis combien de temps, si je préfère les ours aux licornes, si je suis gay ou bisexuel, mon travail, mes passions, mes dernières analyses sanguines, si sexuellement nous étions compatibles, s'il y avait des antécédents médicaux dans ma famille et si ça se passait bien entre nous. Quand négligemment son père me demande si j'aime le sport, d'un coup, la table devient silencieuse, tous les regards braqués sur moi. Du coin de l'œil, je suis même presque sûr de voir la main de son père se serrer autour du couteau qu'il tient.
Mal à l'aise, je lâche un « oui » du bout des lèvres qui semble encore alourdir l'atmosphère écrasante.
— Lequel ?
J'ai l'impression de jouer ma vie avec cette question.
— La lutte, je choisis en jetant un coup d'œil à Jess qui secoue imperceptiblement la tête, et le foot.
Ma réponse sonne plus comme une question et le silence autour de la table s'épaissit un peu plus.
Visiblement, ce n'est pas la bonne parce que tous me regardent comme si je venais de leur annoncer que j'aimais manger des bébés au petit déjeuner. Le même regard que mes parents m'avaient lancé quand je leur avais annoncé mon homosexualité.
— Et le basket, je tente en dernier recours me rappelant vaguement une conversation avec Jess.
— Parfait, s'exclame son père en brisant d'un coup toute la tension accumulée. Vous n'aurez qu'à venir aux soirées match. Toute la famille se réunit à cette occasion.
Et le repas reprend, comme ça, les bruits de couverts et de conversations rhabillant la salle à manger comme si je ne venais pas de jouer ma bonne intégration sur une question de sport.
— Tu t'en es très bien sorti, me complimente Jessen me servant un immense verre de vin que j'avale en trois longues gorgées.
A peine l'ai-je terminé qu'il me ressert un verre identique.
— Tu essayes de me saouler ?
— C'est pour que tu reprennes des forces.
— Il y a d'autres épreuves que la question du sport ? je demande paniqué.
— Le dessert. Ma mère est une horrible pâtissière.
— Pire que le pain ?
— Le pain est bon comparé au gâteau.
— Et je dois faire quoi ?
— Manger, mentir, sourire.
C'est à ce moment que Jaiden revient avec le dit gâteau. Un bloc noir à moitié brulé dont le centre est complètement effondré. Une odeur de cramé envahit la salle à manger, me donnant la nausée avant même d'y avoir gouté.
— Ça se mange ? je chuchote à Jessen offrant un magnifique sourire à sa mère après l'avoir complimenté.
— Pas vraiment, essaye de couvrir avec de la chantilly, me conseille-t-il en me tendant une bombe. Ça aidera le tout à passer.
Personne ne dit rien contre le gâteau mais la bouteille de chantilly se vide rapidement.
Quand un coup de pied frappe douloureusement mon tibia, je manque m'étouffer avec l'horrible bouchée que j'essaye d'avaler. Mon genou, par automatisme, remonte et cogne contre le plateau de la table manquant de faire tomber mon verre que Jess retient de justesse.
— Drew, ça va ? me demande-t-il en me frictionnant le dos pour essayer de faire passer la toux.
La douleur irradiant toute ma jambe, chaque quinte l'accentuant, je ferme les yeux pour refouler les insultes et les larmes.
— Pardon ! s'exclame tout de suite Jaiden en face de moi. C'est ma faute, je lui ai donné un coup de pied.
— Mais enfin ! s'indigne Alison. Jaiden, pourquoi tu as frappé Drew ?
— C'était Jess que je visais. Pas Drew !
— Tu voulais me frapper ? s'énerve Jess en me caressant le dos alors que j'essaye de retrouver ma respiration.
— Il y avait beaucoup trop de mièvrerie dans ton regard alors que tu le fixais. Ça commençait à devenir écœurant. Je suis désolé Drew, tu n'étais absolument pas la cible.
— Jaiden, tu es un crétin qui ne sait pas viser, commente Bry qui a profité du chaos pour faire disparaitre les restes de son gâteau je ne sais où.
— Et tu as vu comment, toi, tu regardes Bry ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité, s'énerve Jess, les poings serrés.
Je le sens sur le point de se lever et je le retiens d'une main sur son bras, l'autre occupée à me masser le tibia. Je n'ai aucune envie d'être à l'origine d'une bagarre entre frères, surtout quand l'un des frères est lutteur professionnel. Il ne manquerait plus que de finir la journée à l'hôpital !
— Je ne regarde pas Bry avec autant de mièvrerie, réfute Jaiden en croisant virilement ses bras sur son torse et en redressant la tête.
— Tu as raison, c'est bien pire que de la mièvrerie ! Parfois, c'est carrément honteusement sexuel !
— Maman, est-ce que je regarde Bry de cette façon ?
Son ton est presque indigné et la grimace de sa mère est déjà une réponse en soi.
— Désolé mon chéri, mais Jess a raison, tu regardes Bry d'une façon qui… peut être parfois dérangeante.
Jaiden ouvre la bouche pour répliquer, mais rien ne sort. Finalement, c'est Bry qui met fin à la conversation.
— Moi, j'aime bien qu'il me regarde comme ça.
Après ça, plus personne n'a rien à ajouter et Alison propose de passer au café dans le salon, nous donnant l'opportunité de ne pas terminer nos assiettes. Ce qui est, je dois bien l'avouer, un immense soulagement.
— C'est le moment de fuir, me chuchote Jess en me prenant le bras.
— Quoi ?
— Je n'ai pas encore montré la maison à Drew, je vais lui faire le tour du propriétaire, déclare-t-il fort en me tirant vers le couloir, manquant de me faire trébucher.
— Tu n'es pas le propriétaire, rétorque Jaiden qui a rejoint Bry.
— Va-te….
— J'ai dit quoi pour les gros mots ? intervient encore une fois Alison. Jess va montrer la maison à Drew et toi, Jaiden, va préparer le café. Ton frère a ramené des chocolats, mets les sur plateau, s'il te plait mon chéri.
Suivant Jess dans l'immense escalier qui mènent aux étages, il me montre rapidement le premier où se trouve la chambre de ses parents et la salle de bain avant de m'emmener au deuxième. Une lucarne de toit éclaire trois portes blanches dont celle du milieu est gravée d'un immense J suivit par « ess » en plus petits caractères.
— Tes parents t'ont laissé en vie après ça ?
— Le même jour, Jaiden a eu la bonne idée d'emprunter la voiture de mon père alors qu'il n'avait pas encore le permis. La police l'a retrouvée amochée avec mon frère dedans et cinq de ses potes en train de fumer de l'herbe. Après ça, ma connerie est passée presque inaperçue. Au moins, moi, je n'ai pas fini au poste de police.
— Ton frère a vraiment fait ça ?
— Mon frère a vraiment fait ça, confirme-t-il d'un mouvement de tête en ouvrant la porte, et tellement pire. En seconde, il a bouché les toilettes du lycée pour impressionner une fille et en terminale, il a foutu un mec dans une poubelle parce qu'il avait insulté Bry. Eon, mon autre frère, a fugué à douze ans parce qu'il voulait trouver une famille adoptive plus intelligente et cultivée. La police l'a retrouvé deux jours plus tard en train d'essayer de monter dans un car qui partait pour l'autre bout du pays. Au collège, tous les quatre, avec Bry, on a volé du contre-plaqué sur un chantier pour faire une cabane dans le jardin. Et au passage, sur le chemin du retour, Jaiden a décroché deux panneaux de signalisation parce que Bry les trouvait beau. Alors une égratignure dans une porte, à la limite, mes parents ne l'ont même pas remarqué.
— Je suis étonné que vous ayez survécu à l'adolescence.
Ma plus grosse bêtise avait été de voler une cigarette dans le paquet de ma mère. Lorsqu'elle s'en était rendu compte, j'avais écopé de deux mois de confinement, de quoi me passer toutes envies de récidives.
— Mes parents aussi, crois-moi. Ils sont déjà très heureux qu'aucun de nous n'ait fini en prison.
La chambre de Jess est un amas de choses, de tas de cartons et de trophées. Aucun ordre et de la poussière partout. On peut presque voir le chemin qu'a fait l'aspirateur en poussant tout sur le côté sur son passage. Des posters de sport, de super-héros et des photos recouvrent presque toute la tapisserie jaune fanée. A côté de la tête de lit, sont punaisés des pages de pubs masculines déchirées de magazines. Au sol, par-dessus une vieille moquette rouge, s'élèvent des piles de comics, BD et CD. La chaise de bureau est presque invisible sous un tas de linge allant du vieux sac de cours aux chaussettes dépareillées.
— Il s'est passé quoi entre ici et ton appartement ? Tu as appris à ranger ?
— J'ai appris que c'était bien plus agréable de vivre dans un appartement ordonnée. Et que ça aide avec les mecs, me dit-il en rigolant.
— Donc tu t'es mis à ranger pour une histoire de drague ?
— On peut dire ça. C'est plus facile de trainer un homme jusqu'à mon lit si on ne risque pas de se planter un stylo ou une punaise sur le chemin.
Jess ne me quitte pas du regard alors que j'inspecte la pièce.
Ma mère n'aurait jamais pu supporter cette chambre. Mon lit perpétuellement défait était le seul désordre qu'elle m'autorisait. Tout avait une place et tout devait y retourner après utilisation. Même mes livres de cours devaient être reposés sur ma bibliothèque le soir. Le tapis au pied de mon lit était brossé chaque matin et il était interdit de marcher pieds nus sur le parquet chevronné. Une histoire de sueur, mauvaise pour le bois.
Appuyé contre la porte, la tête penchée sur le côté, d'un doigt, Jess me fait signe d'approcher. Quand je suis à portée de main, il m'attrape par le col et me plaque contre le mur avant de m'embrasser. Il tire doucement sur ma lèvre supérieure qu'il fait rouler entre ses dents avant de pousser sa langue contre la mienne. Quand une main se glisse sous ma chemise, un frisson descend le long de mon dos jusqu'à mon sexe. Sa deuxième main sur ma nuque se fait plus pressante et il me relâche uniquement quand nous manquons tous les deux de souffle. M'attirant contre lui, ses bras autour de ma taille, sa langue trace la ligne de mon menton jusqu'à mon oreille.
— Je n'arrive pas à croire que tu sois ici, me chuchote-t-il à peine perceptiblement.
Je n'arrive pas à croire non plus que je suis là. Je m'étais attendu à un week-end de baise plus qu'à une présentation aux parents.
Contre mon bassin, se presse son érection.
— Ça te plait que je sois ici.
— Oui, beaucoup.
— Il y a mieux comme fantasme, je me moque en caressant sa joue et son début de barbe.
C'est très rare qu'il oublie de se raser le matin. C'est peut-être même la première fois.
— Je ne crois pas, me répond-t-il la voix rauque.
Je pourrais presque le croire ému si je ne le sentais pas si excité contre moi.
— Je t'assure que si. Et si tu manques d'imagination, je peux en avoir pour nous deux.
— Dis-moi.
Mais il ne me laisse pas répondre, sa bouche se plaquant contre la mienne.
Ses mains glissent de ma taille à mes fesses qu'il serre durement.
— J'ai envie de toi.
— Je l'avais remarqué, je rétorque en me pressant contre son érection. Moi aussi, mais pas ici.
Certainement pas ici. Avec ses parents en bas.
— Ok. Un café et on se casse, décide-t-il en s'écartant de moi et en regardant sa montre, frustré.
— On descend ?
— Dès que je serais passé aux toilettes.
— Je peux t'attendre en bas.
— Or de question. Si je ne suis pas là pour les surveiller, je ne sais pas ce qu'ils pourraient te raconter.
— Il y a des choses que tu me caches ?
— J'essaye d'entretenir le mystère encore un peu.
Il m'embrasse une dernière fois avant d'ouvrir la porte.
— Ne bouge pas, je reviens vite.
Et il me laisse seul dans son espace.
Sa chambre d'enfant dit beaucoup de choses sur la personne qu'il était. Son goût pour le vert, pour les torses des hommes, pour les bandes dessinées aux héros virils, pour la musique ringarde des années 9O… Je m'approche du bureau et ne peut m'empêcher de sourire. C'est un tas de souvenirs, allant de la photo de son groupe de lutte au vieux gobelet en plastique distribués par l'association L.G.B.T du lycée. Son ancienne trousse est couverte de mots et un porte-clefs Batman, aux abdos dessiné au marqueur blanc, est accroché à la fermeture à glissière. Dessous, une pile de cahier de cours aux coins cornés. Curieux de son ancienne écriture, j'en ouvre un et mon cœur arrête de battre.
A mes pieds se déverse une bonne trentaine de feuilles volantes où se dessine mon visage. Moi embrassant un autre homme.
— Qu'est-ce que…
Ca sort de nulle part. C'est comme regarder un super film romantique et d'un coup, le voir se transformer en film d'horreur. Comme ça, sans aucun avertissement ! Du bonheur, du bonheur et d'un coup une grosse dose d'effroi. Cette photo, c'est comme un cadavre dans un placard.
Mes doigts tremblent. Je ferme les yeux en espérant m'être trompé. Mais j'ai beau plisser les paupières en me répétant : Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible. Quand je les ouvre, c'est possible. C'est vrai. C'est là, mon visage en multiple exemplaires, la photo d'un moment d'amour partagé qui avait provoqué une vague de haine.
Je me penche et en ramasse quelques-unes.
Je ne sais pas ce que j'espère à les fixer bêtement, peut être que je crois encore que l'image va changer. Mais la photo ne change pas et moi, je suis sûr le point de paniquer.
— Drew, je suis prêt. On peut y aller.
Dans mon dos, la voix de Jess me parait venir de loin. Elle est assourdie par les battements de mon cœur, par le froissement des feuilles dans ma main.
Je regarde les photocopies en noir et blanc et je n'arrive pas à y croire. Je ne pensais jamais revoir cette photo en dehors de mes cauchemars. Et certainement pas ici, dans la chambre d'enfant de l'homme dont je suis tombé si rapidement amoureux.
Il y a le choc, puis le questionnement et enfin la compréhension. Une horrible sensation de trahison me prend à la gorge. Il n'y a pas dix raisons pour qu'elle soit là.
Ça m'étouffe ! Me donne envie de hurler, de frapper. C'est si injuste, foutrement injuste ! Cette putain de foutrementhorribledétestablemaudite photo arrive toujours quand tout va bien, quand je suis heureux. Ça m'a détruit une fois et maintenant deux. C'est quoi le problème, bordel ? Je n'ai pas le droit au bonheur ? Il y a un seuil que je ne dois pas dépasser sinon une instance supérieure me remet à ma place : « Houlà, bonhomme, beaucoup trop de joie. On va recadrer tout ça ! Tiens une petite pincée de désastre. C'est cadeau, ne me remercie pas ! Ça m'a fait plaisir ». Crevard de divinité arbitraire.
— Drew ?
Juste entendre sa voix me donne des envies de meurtres.
Je n'ai jamais été si en colère. Je n'ai jamais eu envie de frapper quelqu'un à ce point. Je rêve d'écraser mon poing sur sa figure, de lui montrer la douleur qu'est l'humiliation et le harcèlement. De partager l'enfer d'années de paroles blessantes et homophobes !
Comment il a pu me faire ça ?
Comment il a pu me baiser après qu'il m'ait fait ça !
— C'était toi, je chuchote le cœur au bord des lèvres.
Je le hais d'avoir était mon bourreau anonyme, je me hais d'en être tombé amoureux.
Parce que je ne sais pas laquelle des douleurs est la pire.
— Jess —
Drew me regarde comme si je lui avais craché dessus et insulté toutes ses valeurs.
C'est proche de la haine. Ça me fige sur place.
Au début, je crois me tromper. Il n'y a aucune raison pour autant de colère. Je me suis absenté seulement les quelques minutes nécessaires pour pisser, trop peu de temps pour que la situation dérape à ce point. Et puis je vois les photocopies étalées à ses pieds.
J'avais complètement oubliés ces photos. Celles que j'avais ramassées à l'arrache sur les casiers du lycée et que j'avais au final gardé. Je ne pouvais pas jeter aussi facilement mes uniques photos de Drew. Elles ne méritaient pas la poubelle. A l'époque, je m'étais dit que je leur offrirais une fin admirable avec, au minimum, un bucher funéraire pour leur rendre hommage. Evidemment, elles avaient fini dans ce cahier attendant que Drew tombe dessus des années plus tard. Parmi tous ceux posés sur mon bureau, il avait fallu qu'il choisisse celui qui cachait mon plaisir coupable. Foutu karma.
La honte et la culpabilité m'envahissent et mes oreilles prennent cette magnifique teinte rouge réservée au roux.
— Désolé, Je n'aurais pas dû les garder.
Ni me branler dessus. Mais ça, ce n'est assurément pas le moment de le placer. Sûrement même jamais.
— Tu n'aurais pas dû les garder ? s'étrangle Drew avec sa rage. Tu sais ce qu'elles m'ont couté ses photos ?
— Je pense. J'étais là pendant le lycée.
Drew secoue la tête, de ce geste typique de ceux qui n'arrivent pas à croire en une situation. C'est comme si son ahurissement avait anéanti sa parole et qu'il ne lui restait plus que son corps pour exprimer tout ce qui le traverse. Il a les lèvres retroussées, les yeux ronds, les pupilles dilatées, les doigts crispés en forme de serres comme s'il se retenait de m'étrangler.
Puis les mots reviennent et leur violence me claque plus fort qu'une gifle.
— Pendant le lycée ? Et chez moi ? Tu y as pensé à chez moi ? Tu as pensé aux regards de mes parents qui n'ont plus jamais été les mêmes ! Ça a été l'horreur ! Un désastre partout ! Tu as pensé à ça quand tu as placardé ces horreurs sur ces fichus casiers ?
Il me jette les feuilles qu'il a en main au visage et passe devant moi, me bousculant au passage.
Choqué, quelques secondes me sont nécessaires pour que ses paroles atteignent mon cerveau. Ca fait tilt et ça fait mal.
Moi ? Il croit que c'est moi.
— Ce n'était pas moi ! je lui crie désespérément en lui courant après dans l'escalier, manquant de rater une marche et de finir en roulé boulé.
Mes paroles sonnent comme une vieille excuse pathétique et je crois que Drew le prend exactement tel quel. Je lui aurais hurlé qu'il avait raison, l'effet aurait été le même.
— Pas toi ? Et tu vas me dire que ces photocopies étaient là, dans ta chambre, dans ton cahier, par le miracle du foutu saint esprit de l'innocence ? Reconnais le, Jess ! Reconnais ce que tu as fait !
— Non, ce n'est pas ce que tu…
Mais j'arrête de parler parce qu'un mot de plus, et je suis sûr que Drew va me sauter à la gorge.
Le regard qu'il me lance est au-delà de la fureur, c'est quelque part entre le « je vais te défigurer, t'arracher les yeux et les écraser entre mes doigts » et le « Tu as osé faire ça ! A moi, putain ! A moi ! ». Ca dit beaucoup trop de mains tremblent et sa respiration est hachée. Je connais cet état, c'est celui qui précède une bagarre, l'instant où vous allez vous jeter sur quelqu'un. Peu importe qu'il soit plus gros, plus fort, plus expérimenté parce que seule compte la possibilité de lui faire mal. Drew veut me faire mal.
En bas des escaliers, ma famille s'est rassemblée, silencieuse. Je crois que c'est la deuxième fois qu'ils sont tous réunis et qu'ils se taisent. La première, c'était à la mort de papi. Même Eon est là, sa veste encore à la main, pour assister à ma mise à terre en bonne et due forme.
Comme s'il ne les avait pas vus, comme s'il ne restait que nous deux sur terre, Drew se retourne le visage défiguré par la haine.
— Tu sais ce que tu as fait de mon lycée ? Un putain d'enfer ! Tous les jours, je me faisais insulter ! Je n'étais plus Drew ! J'étais Drew le pédé, Drew la tapette, la pédale, le mec qui suce des bites, l'enculé, la tafiole qu'on traque et qu'on brûle, l'ordure qu'on va défoncer ! Encore et encore ! Tu sais pourquoi je prends et ne laisse jamais personne me prendre ?
— Drew, s'il te…
— Parce qu'à chaque fois que ça se présente, j'entends leur haine inscrite dans ma tête.
De son index, Drew martèle furieusement sa tempe.
— Comme si me faire baiser faisait de moi quelqu'un de moins bien ! J'entends leurs insultes qui font de cet acte, qui n'a rien de sale, un truc horrible, une menace permanente. Ils m'ont menacé de me violer, bordel ! Tu te rends compte que même si ce n'était que des mots, ça a changé mon existence !
J'ai envie de pleurer. J'ai envie de le prendre dans mes bras, de lui dire que ça va aller, que c'est le passé, que c'est fini, qu'on peut être heureux et que je défoncerais tous ceux qui oseraient le toucher, lui dire ça, voire même juste le penser. Mais chaque pas vers lui ne fait qu'augmenter sa rage, raviver ses souvenirs qu'il nous crache au visage comme des lames de rasoir.
— Je… Drew…
— Et tu rentres chez toi et tu as peur. Tu rentres chez toi et c'est pareil ! Tu penses que la haine est finie, mais ce n'est pas fini ! Parce que des parents veulent bien d'un fils mais certainement pas d'un petit enculé. Tu sais ce que mes parents ont dit quand ça leur est revenu aux oreilles ?
Il bouge les bras dans tous les sens sans leur donner de sens. Je crois que même pour lui, c'est beaucoup trop.
— Drew…
— Ils m'ont dit que je n'avais qu'à leur dire que c'était faux. Parce que c'était obligatoirement faux, pas vrai ?
— Drew…
— Et quand ils ont compris que c'était vrai, tu sais ce qu'ils ont fait pour arrêter mon enfer ?
— Drew ….
— Rien ! Bordel, rien du tout !
— Drew…
— Ferme là ! Ne t'avise plus de prononcer jamais mon prénom, connard pathétique !
Il jette à peine un regard à mes parents et sort en claquant furieusement la porte !
Le silence est lourd, éprouvant, et tous les regards braqués sur moi ne font rien pour alléger l'atmosphère. J'ai beau les dominer du haut de mon escalier, j'ai l'impression d'être redevenu un petit garçon honteux et incapable de s'expliquer. C'est comme s'ils me jugeaient tous coupable alors que je n'ai rien fait ! Et d'un coup, ils se mettent tous à parler en même temps.
Mon père dit : « je l'aime bien ce garçon. Il ferait très bien dans les diners de famille ». Ma mère m'engueule : « Jess Rowe qu'as-tu fais à ce pauvre Drew ? ». Jaiden est plié de rire et Bry lui donne un violent coup de coude en lui disant de la fermer parce que ce n'est vraiment pas drôle. Et ce n'est vraiment pas drôle. Seul Eon garde les lèvres serrées et retient toutes critiques. Ce qui, de sa part, m'étonne mais m'arrange. Je n'ai vraiment pas besoin d'un de ses interminables et insupportables sermons à cet instant. Et d'un coup, alors que je réalise lentement que Drew est parti et que ça équivaut à une rupture, leur brouhaha me devient insupportable. Je veux qu'ils la ferment !
— Bouclez là !
C'est un hurlement qui met fin à tout débat.
— Je n'ai rien fait ok ? J'ai juste récupéré ces foutu photos au lycée parce que c'était Drew dessus ! Ce n'est pas moi qui les ai prises !
Je leur dis ça comme s'ils savaient tout de l'histoire de Drew, de ce qu'il lui est arrivé, de son coming-out involontaire, de notre histoire, de mon amour pour lui.
— J'aimais Drew à cette époque ! Je ne lui aurais jamais fait ça ! Je ne savais même pas qu'il était gay !
Ca sort comme une lamentable plaidoirie implorante et tous baissent le regard, gênés.
— Chéri… commence ma mère.
Mais son ton doux et protecteur m'est insupportable. J'ai envie de lui dire d'aller se faire foutre avec ses « chéri » et ses « chaton » et tous ses petits noms à la con qu'elle nous donne. J'ai trente-trois ans et je ne suis plus un garçon. Je ne sais même pas pourquoi je perds mon temps avec eux. Parce que ce n'est vraiment pas pour eux que je m'inquiète. Pour le moment, je n'en ai vraiment rien à branler de ce qu'ils pensent de moi. Je peux leur paraitre pathétique ou psychopathe, c'est sans importance.
Les ignorant, je me précipite dans le salon et récupère ma veste et celle de Drew qu'il a abandonné, là, dans sa fureur et son indignité. Quand je me dirige vers la porte pour sortir, je m'attends à ce que ma famille m'arrête mais, au contraire, ils s'écartent et me laissent passer. Ils me regardent tous bizarrement avec des sentiments que je dois plus ou moins traduire justement. Un peu de surprise, de l'inquiétude, une bonne dose de perplexité, une pincée de colère et de la peine. Les larmes aux bords des yeux de ma mère me font presque vaciller dans ma résolution de poursuivre Drew. Parce que c'est ça que je dois-veux faire : le traquer puis le harceler pour lui faire entendre ma version ! Je dois lui prouver qu'il se trompe quitte à devoir le plaquer sous moi, l'attacher, lui hurler mon « je t'aime » coincé au fond de ma gorge depuis plus d'une décennie. Mais alors que les larmes de ma mère me ralentissent, Bry pose une main sur son épaule et secoue la tête m'encourageant à foncer. Alors je sors et je traverse le jardinet en trois enjambées.
Tandis que je regarde des deux côtés de la route à la recherche de Drew, dans ma tête c'est un chaos d'hypothétiques explications bancales et maladroites. Il y a des « pardonne-moi », des « excuse-moi », des « pas ce que tu crois » et des « je ne pensais pas ». J'essaye d'organiser l'exposé de mon innocence, de donner de la cohérence à l'incohérence, de construire ma pensée mais tout ce que mon cerveau retient et arrive à ressortir clairement est : Drew est parti. Il m'a quitté. Il ne veut plus de moi. Je ne savais pas pour ses parents. Il ne reviendra pas. Il me croit coupable. Il me prend pour un connard. Il n'est plus là.
Je cours à droite, fais deux rues, reviens en arrière, cours à gauche, revient à la maison de mes parents, puis à la voiture. Je sillonne le quartier pendant presque une heure, puis réalise enfin avec clairvoyance, qu'en une heure, Drew ne doit plus être dans mon quartier. Alors je me dis que je suis le plus idiot des idiots et me met en route vers chez moi avant de me traiter d'imbécile, parce que Drew ne sera évidemment pas là-bas ! Ma maison n'est pas la sienne et son chez lui est ailleurs.
Je fonce vers son appartement, manque d'écraser un piéton, pile à un feu rouge, grille un stop, me fait klaxonner et klaxonne parce que les gens sont trop lents, trop hésitants, trop cons, trop pleins de choses qui me ralentissent. J'ai besoin d'avancer vite et je décide de ne pas voir ces stupides limitations de vitesse ! Après tout, ce ne sont que des panneaux de métal avec un chiffre noir cerclé de rouge. Depuis quand un panneau décide de ce que j'ai le droit ou pas de faire ?
Quand j'arrive chez Drew, je ne prends même pas la peine de me garer. A cet instant, il peut arriver n'importe quoi à ma voiture, ça m'est complètement égal. Ce n'est qu'une voiture et je ne peux pas en dire autant de Drew. Ce n'est pas qu'un Drew. Je claque ma portière devant le regard ahuris des passants et abandonne ma luxueuse auto en plein milieu de la route sans même les warnings. Tant pis. Ils n'auront qu'à se débrouiller avec ça !
Heureusement pour moi, le vieil immeuble n'a ni gardien ni interphone et je me précipite à l'intérieur. Je crois que c'est le troisième étage ou peut être le quatrième ou le cinquième. Je me rappelle juste que c'est en haut. A défaut, à partir du troisième palier je fais toutes les portes, m'excusant chaque fois qu'elles s'ouvrent sur un visage inconnu. J'en suis à plus de cinq quand enfin un non-inconnu m'ouvre.
Un non-inconnu que j'aurais préféré inconnu.
Matthew Delaway.
Encore plus beau que dans mes souvenirs. Comme si avec l'âge, la lumière qu'il portait au lycée n'avait fait que s'intensifier au lieu de se faner. Il n'est pas le un vieil homme aigri et flétri que j'aimerais qu'il soit ! Dans mon plan explicatif bancal et désolé, j'avais tout prévu sauf de me retrouver devant ce foutu possible petit ami de Drew, bourré de phéromones et forcément mannequin!
On se fixe quelques secondes, lui essayant de me recadrer, moi ayant envie de le recadrer, jusqu'à ce qu'une lumière de compréhension traverse ses splendides et détestables yeux or !
— Dites-moi que ce n'est pas vrai ? Dis-moi que tu n'es pas le copain mystère de Drew.
Et alors que Matthew Delaway prononce ces mots, une voix l'appelle et lui demande « qui c'est ». Mais ce n'est pas qu'une voix mais sa voix. Celle de mon Drew quelque part dans cet appartement. Son ton est inhabituel, bien plus rauque que d'habitude, et je sais avec certitude que c'est dû à ses pleurs. J'oublie pendant une seconde qui est devant moi jusqu'à ce que je veuille rentrer et sois bloqué par l'ombre presque imposante de Matthew Delaway.
J'arrête enfin d'être aveuglé par son odieuse beauté et comprend la signification de sa présence sur ce palier, de son vieux tee-shirt élimé et des pantoufles à ses pieds. Il est chez lui aussi. J'avais raison. Ils ne se sont jamais quittés. Et moi j'étais… Je ne sais même pas ce que je suis. Une entente entre eux ? Peut-être que sexuellement ça ne marche plus et qu'ils se sont mis d'accord pour trouver leur besoins ailleurs sans pour autant se quitter sentimentalement parlant.
Ça fait mal. Ca fait très mal. Je ne m'attendais pas à autant de douleur. Pourtant, je le savais, non ? Mais je suppose que j'avais espéré me tromper.
— Jess Rowe.
Matthew dit mon nom et mon prénom comme si ça voulait tout dire et commence à rire. Vraiment rire. Comme si j'étais drôle. Comme si ma douleur avait quelque chose d'amusant. Comme si le fait que Drew m'ait quitté sur un qui-pro-quo était divertissant. Et je revois toutes ces années où Drew lui appartenait et où je le haïssais. Et sans que je réalise, ni même n'en ai conscience, mon poing se lève puis s'abat pile sur son nez bien trop parfait ! Et rien ne me retient, pas même moi, et le son d'un os brisé raisonne et une seconde d'incompréhension s'étend entre nous comme si elle durait une minute et Matthew porte ses mains à son nez et hurle et Drew est là, les yeux rouges et la bouche ouverte. Et beaucoup trop de « et » qui s'enchainent dans une multitude de micros actions qui vont trop vite pour être décrites.
— Mon dieu Matt, est-ce que ça va ? Mais tu es complètement cinglé ! me hurle Drew dessus.
Je secoue la tête, mais je sais qu'il a raison.
J'ai envie de partir mais je ne le fais pas parce que je ne peux pas les laisser tous les deux là, Matthew pissant des litres de sang par le nez et Drew complètement paniqué. Peut-être que s'il n'y avait pas eu Drew, il est possible que je me sois hypothétiquement barré.
— Appelle les pompiers et va chercher des glaçons ou un truc congelé, j'ordonne le plus calmement possible à un Drew hystérique qui s'agite dans les tous les sens.
— Ne m'approche pas, sale connard abruti de crevure !
Il se place devant Matthew comme si j'étais une menace.
— Tu devrais le faire assoir, on ne sait jamais.
Mais au moment où je lui dis ce conseil, derrière lui, ce fragile Delaway vacille et je pousse, sans doute un peu brutalement Drew, pour retenir Mattew avant qu'il ne se fasse plus mal. Son corps est un tel poids mort que je sais qu'il a perdu conscience.
— Va appeler ces putains de secours Drew, maintenant !
Cette fois, il m'obéit et court dans une des pièces pour revenir quelques instants plus tard le téléphone à la main.
— Je leur dis quoi ?
Je lui fais signe de me passer le téléphone qu'il me tend sans argumenter. Je coince le combiné entre mon épaule et mon oreille tout en maintenant Matthew contre le mur, la tête penchée vers le bas pour faciliter l'écoulement du saignement.
— Police secours, je vous écoute, me dit la voix tranquille d'un standardiste.
Je suis sûr que si je lui disais que je venais de tuer une famille entière à la tronçonneuse, le standardiste garderait son ton calme et rassurant en me demandant mon nom. A la place de lui avouer des meurtres imaginaires, je lui donne l'adresse précise de l'appartement avant de lui décrire l'état de ma vraie victime ainsi que les détails de l'accident. Il note le numéro de téléphone avant de raccrocher après m'avoir assuré qu'une ambulance est en route.
— Oh mon dieu, répète inlassablement Drew agenouillé à côté de nous. On ne devrait pas l'allonger ?
— Non, pas avec un saignement de nez. Il vaut mieux le garder assis la tête penchée en avant. Chéri, va chercher un truc froid pour réduire le gonflement.
Je ne sais pas si Drew ignore, ou se moque, de mon « chéri » qui m'a échappé mais il se lève d'un bond et revient quelques secondes plus tard avec un paquet de petits pois congelés. Doucement, je plaque la compresse glacée sur le nez contusionné.
— Les secours ne devraient plus tarder.
Je garde pour moi mon inquiétude vis-à-vis de l'évanouissement de Matthew et discrètement je vérifie son pouls à son poignet qui a l'air un peu près normal. Au moins il n'est pas mort et, pour le moment, je n'irais pas en prison pour homicide involontaire.
— Tu l'as frappé ! lâche Drew en secouant la tête comme s'il n'en revenait pas.
— J'en suis désolé, j'étais en colère. Je ne me suis pas contrôlé.
— En colère ? Ce n'est pas à toi d'être en colère.
Je retiens mon « un peu quand même » et l'échange avec un « désolé ».
— Tu as le droit d'être en colère pour les photos mais…
— Un peu que j'ai le droit !
— Ecoute-moi s'il te plait.
Je sens que là, à genoux à côté d'un Matthew inconscient dans l'entrée de leur appartement, ce sera ma seule occasion pour m'expliquer sans que Drew prenne la fuite.
— Je n'ai pas envie d'écouter un sociopathe.
— Drew, c'est important ! Je n'ai pas pris ces photos et je ne les ai pas accrochées sur les casiers.
— Tu vas me dire que tu les as juste ramassées et gardées dans ton cahier ?
J'hoche la tête parce que c'est exactement ce que j'ai fait.
— Menteur, murmure faiblement Drew en détournant le regard.
— Che n'était bas lui.
Cette fois, ça ne vient pas de moi mais de Matthew qui papillonne des paupières et reprend lentement conscience. Il couine et essaye de porter sa main à son visage mais je l'empêche de toucher à son nez.
— C'est surement cassé. N'y touche pas. Ca ne ferait qu'empirer les choses.
Matthew bouge faiblement sous mon sachet de petit poids et je le soulève pour regarder son nez. Il est rouge et a déjà doublé de volume. Pour avoir eu le nez une fois cassé, je sais que ça n'a rien d'agréable.
— Est-ce que ça va ?
— Cha ba comme si un bas de muscle venait de me casser gratuitement le nez, nasille Matthew plaintivement.
— Donc ça va un peu près.
Et puis ce n'était pas gratuitement.
De mon point de vue, il l'avait cherché.
— Il m'a dit qu'il savait vaguement qui j'étais, continue Drew indigné comme si son copain assis et saignant était moins important que mon procès. Qu'est-ce que tu veux dire Matt par ce n'était pas lui ? Bien sûr que c'est lui !
Drew est à bout de souffle, les cheveux ébouriffés dans tous les sens et la chemise tachée du sang de Matthew. Il ne devrait pas être aussi beau et je ne devrais pas avoir un début d'érection. Mais bordel, qu'est-ce qu'il est bandant en colère et débraillé.
— Mais, bon sang Matt, je t'ai dit qu'il avait les photos, non ? Plein ! Il savait qui j'étais et savait qui j'aimais et l'a placardé partout ! Ca ne peut qu'être lui ! C'était lui ! reprend Drew hargneux, sûr de son erreur.
— Tchu lui as vraiment bit que chu « chavais vaguement qui il était » ? m'interroge Matthew perplexe.
Je rougis et ça doit suffire comme acquiescement car de nouveau son petit rire est là. Mais cette fois, ce n'est pas mon poing qui l'étouffe mais la douleur qui le fait gémir. Bien fait.
— Drew, ce mec chait parfaitement qui tu es. Il ébait bou amoureux de toi pendant bout le lycée !
C'est une bombe supplémentaire qu'il lâche en plein milieu de ce drame. Ça nous éclate au visage, à moi comme à Drew qui reste plusieurs secondes la bouche ouverte, comme un poisson qu'on aurait extirpé de l'eau et qui essaye de respirer.
— Bour les photos, il a churement dû les récupérer et se branler dechus.
Voilà, c'est exactement ce qui s'est passé ! Sauf que dit de cette façon à haute voix, ça me donne l'air d'un pervers et je ne suis pas sûr que ça arrange quoi que ce soit.
— Tu mens, l'accuse Drew les poings serrés. C'est n'importe quoi !
— Appelle qui tu beux de la dande et debande leur. A part toi, bout le monde s'en ébait renbu compte. On savait tous qui étaient Jess Rowe.
Son ton est navré et à la honte se rajoute la colère ! Je le préférais évanoui. J'ai bien envie de lui donner un coup de pouce pour que, de nouveau, il perde connaissance. Il en dit beaucoup trop et moi pas assez ! Sauf que là, je ne sais plus quoi ajouter pour rattraper le coup. J'ai l'impression que quoi qui puisse sortir de ma bouche, ce ne sera jamais en ma faveur.
Drew me regarde comme s'il ne m'avait jamais vu et que j'étais un parfais inconnu. J'ai envie de lui hurler qu'il m'a vu nu, qu'il m'a baisé et qu'on a passé plusieurs soirées ensemble ! Est-ce que le passé compte plus que le présent ? Est-ce qu'il va retenir de moi uniquement la folie de mon adolescence et de mon coup de foudre prononcé ? Pas le après ? Pas ce que nous avons partagé depuis les jeux olympiques ?
— Jess, c'est quoi c'est conneries ?
J'essaye de dire « je » pour commencer, mais rien que ce mot ne veut pas sortir. Je secoue la tête pour un « non » mais Drew comprend bien que c'est un « oui ».
Ils arrivent quand, ces secours, pour mettre fin à mon calvaire ? Parce qu'à ce rythme, va leur falloir une deuxième civière.
— Bordel, Matt dit vrai. C'est… Sérieusement ?
Drew passe de moi à Matthew en fronçant les sourcils, essayant d'assimiler et de comprendre, ou peut-être attendant que l'un de nous deux nie. Mais il n'y a rien de plus à décrypter que ce qui a été révélé.
— Vous ne m'avez jamais rien dit ! Vous n'étiez pas censé être mes amis ?
— C'était déjà achez compliqué avec toutes ches conneries qui b'arrivais. On boulait ne pas t'en rajouber une couche.
Le sang continue de couler de son nez et Matthew doit s'arrêter plusieurs fois dans ses phrases pour ne pas mourir étouffé et prendre de longues inspirations.
— Et, désolé mec, me dit Matthew en levant les yeux vers moi, mais bu étais achez flibbant à stalker Drew avec bes yeux de chiots énamouré.
Connard.
C'est à cet instant que les pompiers débarquent, enfin, avec leur civière et leur trousse de secours, coupant net la conversation. Ils entourent Matthew, lui pose des questions, lui tâte le nez, le regarde sous tous les angles, masse son cou, pour finir par le soulever et l'aider à descendre les escaliers. Drew et moi le suivons jusqu'en bas où c'est un concert de klaxons. Derrière ma voiture, un superbe embouteillage se dessine. Il y a assez de véhicules pour qu'on n'en voie pas la fin.
Les pompiers, stationnés juste devant mon auto, font monter Matthew à l'arrière de leur fourgon et nous donne le nom de l'hôpital où il l'emmène avant de nous abandonner sur le trottoir.
— Suis les, décide Drew sans moi.
À peine ai-je déverrouillé ma voiture qu'il grimpe dedans et nous partons, laissant derrière nous une file furieuse de conducteurs exaspérés, une volée d'insultes et de Klaxons déchainés.
Aucun de nous ne parle et j'ai beau jeter des regards dans sa direction, il m'ignore superbement. C'est dans le silence que je me gare, que nous descendons de voiture, que nous rejoignons l'accueil, que nous demandons des nouvelles de Matthew et que nous nous asseyons sagement dans une salle d'attente immense et bruyante.
Je compte une mère et son bébé qui pleure sans s'arrêter plus d'une minute, trois gamins, deux adolescents dont un avec une main bandée à côté d'un père blasé, huit adultes, deux vieux amoureux qui se tiennent la main et une très vieille femme à l'air digne qui lit tranquillement un numéro d'un magazine conservateur. Je note le passage de quinze infirmiers à blouse rose, six médecin à blouse bleue et deux je ne sais quoi à blouse blanche. Trois fauteuils roulants, huit béquilles, un brancard…
— Ce n'était vraiment pas toi ? me demande Drew interrompant mon inventaire.
— Non.
Je suis incapable de dire autre chose. Rien ne me vient à l'esprit.
— C'est vrai ce qu'a dit Matt ?
— Quoi ? je demande sur la défensive.
— Que… Que tu étais… Enfin tu vois.
Bien sûr que je vois mais je n'ai pas envie de lui faciliter les choses. J'ai envie de m'enterrer dans un trou et de ne plus en sortir.
— Tu étais amoureux de moi ?
Il trébuche sur le amoureux et je ne sais pas qui de nous deux rougit le plus.
Je dois déglutir plusieurs fois et m'éclaircir la gorge pour, au final, simplement acquiescer de la tête avant d'ajouter faiblement :
— Et pas qu'un peu.
Ca me semble plus honnête de lui dire. Je dois bien avouer que j'étais plus proche de l'idolâtrie et de la vénération que de l'amour.
Je reste un long moment silencieux, le regard rivé devant moi sur une affiche invitant les hommes de plus de cinquante ans à faire un dépistage du cancer colorectal, jusqu'à ne plus en pouvoir.
— Je t'aime, Drew.
Ça sort comme ça et je me sens tout de suite mieux après, même si mon « Je t'aime » parait un peu faiblard face aux émotions que Drew réveille en moi. Des années que je rêve de lui dire ces quatre mots même si, dans aucun de mes fantasmes, ça ne se passait dans un hôpital à attendre des nouvelles de son merveilleux et magnifique petit-copain. Et puis parce que je suis lancé et que ça soulage, je continue. Quitte à me faire larguer, autant que Drew ait toutes les cartes en main, qu'il sache le frapadingue que je suis et à quel point il compte pour moi.
— J'étais là la première fois que tu es entré dans le lycée et j'ai su avant même que je croise ton regard que tu me plaisais. Tu marchais avec cet air tranquille qu'ont les gens sûrs d'eux, comme si ton monde n'était pas aussi terrifiant que le mien. Tu sais pourquoi je crois au coup de foudre, Drew ? Parce que j'en ai eu un pour toi des années auparavant. Je t'ai vu et j'ai su que j'étais amoureux. Ca ne pouvait qu'être ça. Tout me rendait heureux chez toi. Ta voix, tes sourires, ton rire…
Je marque une pause pour reprendre mon souffle et voir s'il a quelque chose à ajouter. Mais comme Drew ne dit rien, je continue.
— Tu étais tellement parfait, tellement beau mais tellement hétéro que je ne t'ai pas approché. Tu étais pour moi dans la case inaccessible. Et puis il y a eu l'histoire de la photo et je me suis mis à espérer. C'était comme un signe du destin qui me disait : fonce, dit lui ! J'ai fantasmé sur toi des milliards de fois. J'ai jouis en t'imaginant m'embrasser, me toucher, me faire toutes ces choses qui se passaient dans les films pornos les plus osés. Je voulais toutes mes première fois avec toi. Ma première sodomie, le bal du lycée, aller au cinéma main dans la main, écarter tes fesses et te lécher l'anus jusqu'à te faire jouir, ma langue dans ton petit cul sexy ! Que tu me bâillonnes et me lie les mains !
Un des enfants nous regarde la bouche ouverte et je suis sûr que dans la journée il demandera à sa mère ce que veut dire « sodomie ». La vieille au magazine facho nous dévisage désapprobatrice et à mon avis, elle doit se dire que vraiment nous serions mieux à brûler en enfer. Mais si elle croit que c'est son jugement péteux qui va m'arrêter, elle se trompe.
— Et puis il y avait tous ses trucs que je ne peux vraiment pas dire dans un hôpital à côté de vieux et de gamins.
C'était des fantasmes pleins de sex-toys, de jeux de corps, de positions souples et de liquides collants et gluants.
— Mais ça se passe rarement comme on le voudrait. Tu t'es mis avec Matt et d'inaccessible, tu es passé à inatteignable. J'étais tellement rien et tu étais tellement tout.
— Jess, me coupe Drew. Pourquoi tu as fait comme si tu savais vaguement qui j'étais ? Pourquoi tu me dis tout ça que maintenant ?
Son ton parait désespéré.
— Parce que je ne voulais pas te faire peur. Je ne voulais pas que tu me prennes pour un sociopathe qui connaissait tout de toi alors que tu ne savais rien de moi. C'était trop pathétique. Et flippant.
— Hum…
— Hum toi-même.
Je l'entends rire et sa main glisse dans la mienne, faisant rater un battement à mon cœur.
Je n'ai jamais accordé autant d'importance à une main. Elle me semble primordiale et merveilleuse et à sa place.
— Je t'aime aussi, Jess. Sûrement avec un peu de retard.
J'arrête de respirer. J'ai des bourdons dans les oreilles et ma vue se trouble et vacille. Je ne suis pas sûr d'avoir bien entendu et je n'ose pas lui demander de répéter. Drew pose une main sur ma joue et tourne mon visage vers lui.
— Jess, est-ce que ça va ? Tu as l'air d'être sur le point de faire un malaise.
Je suis sûr le point de faire un malaise.
J'en étais resté au « je te déteste », à quel moment Drew est passé à « Je t'aime ».
Je ne suis pas prêt.
— Est-ce que tu m'as dis que tu m'aimais ?
Ma voix tremble et mon cœur bat tellement fort que je ne suis pas sûr d'y survivre si la réponse est non. Drew prend mes deux mains entre les siennes et me regarde dans les yeux quand il articule un simple « oui ». Comme si c'était la chose la plus évidente du monde, la plus simple aussi.
C'est trop. Pour mon cœur et surtout pour ma tête.
Je crois que je suis en état de choc. J'ai toujours espéré ces mots et en même temps, je n'ai jamais vraiment cru que Drew me les dirait. Et là, je dois faire avec, sauf que je ne sais pas quoi faire avec. J'ai peur de perdre son « je t'aime », que Drew le reprenne si je ne bouge ne serait-ce que le petit doigt. Qu'il me sorte un : c'est pour rire. Je ne suis pas du tout en état de rire !
— Jess, est-ce que tu pleures ?
— Putain que oui je pleure ! Comment tu veux que je fasse autrement ?
Je ne vois plus rien tellement mes yeux sont embués et je renifle de façon tout à fait répugnante. Les larmes coulent de partout, de mes yeux et de mon nez. Assis sur ma chaise, je me plie en deux et cache mon visage contre mes genoux et mes mains. Je me sens comme un enfant dans le corps d'un géant. Maladroit et effrayé. Je devrais exulter de joie, me lever de ma chaise, hurler de bonheur ou soulever Drew dans mes bras pour le faire tournoyer comme dans ces films à l'eau de rose que vénère mon père. Je suis pratiquement sûr que je devrais faire une de ses choses mais je ne fais rien que pleurer et gâcher le moment. Drew vient de me dire qu'il m'aime et mon monde est sens dessus dessous. Je suis heureux, tellement heureux, et en même temps j'ai tellement peur. Parce que maintenant, j'ai trop à perdre.
— Jess, mon cœur.
L'appellation douce est pire que tout et mes sanglots doublent de volume. Je sens Drew, gêné, me frottant doucement le dos. Une ou deux personnes nous demande si ça va et Drew leur répond que oui, qu'il n'y a rien de grave. Mais si c'est grave ! J'ai l'impression d'être un accidenté de la route, d'être rentré dans son « je t'aime » et son « mon cœur » à toute vitesse sans avoir pris la peine de freiner.
— Jess, regarde-moi s'il te plait.
Drew n'est plus sur sa chaise mais accroupi en face de moi, une main dans mes cheveux, l'autre en appui sur mon tibia.
— Tu vas rompre avec Matthew ?
Ma voix est étouffée, cachée comme mon visage.
Je pourrais me contenter de sa déclarationmais je veux Drew en entier et pas juste un petit bout. Je ne veux pas le partager. J'ai l'impression de lui manger le bras alors qu'il m'a juste tendu la main. Mais il faut qu'il me choisisse, moi, et pas l'autre starlette-mannequin parce que s'il me quitte après son « je t'aime » je suis sûr que je vais mourir. Que je tomberais dans le coma et que je resterais allongé telle la belle au bois dormant sur mon lit d'hôpital jusqu'à ce qu'il change d'avis !
— Hein ?
— Tu ne peux pas m'aimer et rester avec Matthew.
Il ne peut pas nous aimer tous les deux ! Je ne veux pas d'une moitié d'amour !
— Jess, regarde-moi !
Cette fois, ce n'est plus une demande mais une injonction et je me redresse lentement jusqu'à lui faire face. Drew fouille dans ses poches et me tend un vieux mouchoir usagé dans lequel je me mouche avec reconnaissance.
— Est-ce que c'est pour ça que tu l'as frappé ? Parce que tu crois que nous sommes ensemble ?
— Peut-être, je réponds, évasif, en haussant les épaules.
— Il n'y a rien entre Matt et moi. Comment tu peux croire que nous sommes ensemble alors que je passe presque toutes mes soirées avec toi ?
Drew a l'air un peu vexé, me laissant consterné.
— Comment je peux croire ? Vous avez été ensemble pendant tout le lycée, tu reçois sans arrêt des textos de lui et vous vivez dans le même appartement ! Je ne veux pas partager tes « je t'aime ».
— Matt est hétéro.
— Vous…
— Matt est hétéro, répète-t-il plus fermement en me prenant le visage entre les mains.
— Vous… Au lycée…
— Il n'y a jamais eu de nous. Au lycée, on n'était pas en couple. Matt l'a déclaré sur un coup de tête parce qu'il était en colère contre toute cette idiotie et cette injustice. Les répercussions de sa stupide déclaration nous ont dépassé et c'était plus facile pour moi, alors on a gardé cette fausse version.
— Drew —
Je crois que Jess ne s'attendait pas du tout à cette vérité. Je crois même que cette possibilité ne lui a jamais traversé l'esprit. C'est tellement vieux comme histoire que parfois, j'oublie que certains ne sont pas au courant de la mascarade.
Ça avait commencé en première. A la rentrée, j'avais rencontré Matt aussi perdu que moi. On avait bien accroché et commencé à être ami. C'était une amitié sympa mais sans plus. On ne se voyait pas en dehors de l'école et on n'avait aucune confidence l'un pour l'autre. C'était juste comme ça au détour d'un couloir ou à la cantine quand on cherchait quelqu'un avec qui s'assoir.
Là où tout avait changé, c'était après l'affaire de la photo en fin de première année. Un coming-out absolument pas volontaire auprès de ce que je considérais à l'époque comme le monde entier. Evidemment ce qui devait arriver arriva. Ça avait été petites humiliations sur petites humiliations. Mais toutes ces petites en avaient formé une énorme qui avait commencé à devenir ingérable. Sincèrement, j'avais beau être très bien entouré, avoir pas mal d'amis, je n'en pouvais plus. Et puis… Et puis, Matthews Delaway avait déclaré après une énième moquerie qu'il était mon petit-ami. Il avait pris ma main devant toute son équipe de Basket et mis au défi tous ces cons de la ramener. Evidemment, personne ne la ramenait devant Matthew.
D'un coup, tout s'était arrangé ! Etre homo était devenu la chose la plus sympa qui soit. Et avec Matt nous étions devenus le couple phare du lycée. Après ça, il était impossible de faire machine arrière alors nous avions joué la comédie pendant trois longues années.
Pour Jess la comédie n'a jamais pris fin.
Je ne sais pas pourquoi Jess ne m'a pas posé la question, ni pourquoi il croit que nous sommes encore ensemble. Il a les yeux rouges et parait complètement perdu et vulnérable face à nos deux vérités. Alors je fais ce que j'ai envie de faire depuis qu'il m'a dit « je t'aime ». A genoux entre ses cuisses musclées, je passe mes bras autour de sa taille et le serre fort contre moi, ma tête pressée sur sa poitrine.
— Si je ne t'ai pas présenté àMatt, ça n'a rien à voir avec le fait que nous soyons ensemble.
Ce sont deux autres raisons inavouables que je n'étais pas prêt de lui avouer.
La première est l'apparence de Jess. Il est à l'opposé de tous les hommes avec qui j'ai couché. Ultra-musclé et grand. Malgré mon mètre soixante-quinze, Jess me dépasse d'une bonne tête et demie. Et s'il n'avait pas été obligé de se raser pour le sport, je suis persuadé qu'il se défendrait bien niveau pilosité. Du moins, c'est ce que j'en ai déduis à partir de ce qu'il a entre les jambes. Tout ça… Sa grande taille, ses muscles, ses poils… Me plait. Mais ça met en évidence mon apparence efféminée et Matthew me vannerait des mois avec ça. Et Matt peut être horriblement chiant quand il s'y met. Voire carrément insupportable. Je sais que c'est une raison terriblement sexiste que de ne pas vouloir être comparé à une femme car comme Iggy Pop l'a dit : « je n'ai pas honte de m'habiller comme une femme, car je ne pense pas qu'il soit honteux d'être une femme ». Mais savoir et ressentir est différent. Je ne peux pas m'empêcher de ne pas vouloir.
La deuxième raison est encore plus embarrassante. Elle se résuma à : Matthew. Matt est le genre de type à tomber. Beau, sportif, musclé, intéressant, drôle, charmant… Et tout un tas d'adjectifs positifs. Personne n'est insensible à son charme, les femmes comme les hommes. Il rentre dans un bar et deux minutes plus tard, il y a une file d'attente pour le draguer. Même moi, au tout début de notre amitié, j'étais tombé amoureux. Ne pas le faire est impossible ! Combien de mes amis homos ont bavé pendant des mois sur cet homme, pure spécimen hétérosexuel ? Beaucoup trop pour que je prenne le risque de le présenter à Jess. Il se serait rendu forcément compte que je ne suis pas très beau, ni très intéressant par rapport à mon meilleur ami. Il n'y a rien de moins valorisant que de se trouver à côté de Matt. Plusieurs de mes copains l'avaient dragué juste sous mon nez avec pour seule explication : il est tellement irrésistible. Je n'avais pas très envie de reproduire ce schéma avec Jess. Les autres, je m'en fiche, mais Jess c'est différent. J'ai toujours eu envie de le garder pour moi. Alors je m'étais dit, plus tard, quand il serait assez amoureux de moi pour ne pas regarder Matt. À priori, c'est bon depuis un petit bout de temps.
— Il n'y a rien entre nous seulement une colocation et une forte amitié.
Jess se calme doucement entre mes bras. Ses sanglots se transforment en reniflement et ses épaules frémissent chaque fois qu'il repousse ses pleurs. J'évite de lui redire « je t'aime » parce que je sens que c'est un bon déclencheur de larmes. A la place, je retire sa chemise de son pantalon pour pouvoir passer mes mains dessous et lui masser le dos.
— Donc tu ne sors avec personne d'autre que moi ?
— C'est vexant, Jess, que tu me demandes ça.
— C'était au cas où.
— Au cas où de quoi ?
Il ne me répond pas mais je sens son soupir de soulagement et j'embrasse doucement sa poitrine à travers sa chemise.
Des fois, dans la tête de Jess j'ai l'impression que c'est un cinéma où se déroule une dizaine de films en même temps. Je lui dis et il rit, m'assurant que c'est à peu près ça.
— Désolé que tu aies cru que nous étions en couple avec Matt.
— Désolé que tu aies cru que j'étais celui qui avait pris la photo.
— Nous sommes tous les deux désolés…
— Ouais….
Les bras de Jess se referment autour de moi et il cale son menton sur le haut de mon crâne.
Elle est con toute cette histoire pleine de quiproquo et d'années de retard. J'ai du mal à croire que Jess m'aime depuis le lycée et je suis sûr qu'il a du mal à croire qu'il n'y a jamais rien eu entre moi et Matt. Je me demande comment ça se serait passé s'il m'avait avoué son amour au lycée et comment nous serions aujourd'hui. J'y réfléchis puis je décide d'arrêter d'y penser parce que ce que nous avons à cet instant précis est bien et merveilleux. Je suis heureux et je n'ai aucune envie d'échanger ce bonheur contre des « et si ». Et s'il me l'avait dit il y a longtemps, peut-être qu'aujourd'hui nous ne serions pas enlacés dans une salle d'attente d'hôpital.
Nous restons ainsi, moi à genoux entre ses genoux, jusqu'à ce qu'une infirmière se racle la gorge à côté de nous.
— Excusez-moi.
Il faut qu'elle le répète deux fois avant que Jess me libère.
— Vous accompagnez Monsieur Delaway ?
— Oui.
— Alors vous pouvez aller le voir, il vient de terminer ses radios et nous attendons ses résultats.
Elle nous donne le numéro de sa chambre et disparait derrière un comptoir.
Jess me relève en même temps que lui et croise ses doigts aux miens. Sa prise est forte et moite. Sans que j'aie à lui demander s'il veut m'accompagner, Jess me tire dans les couloirs. Alors que nous sommes presque arrivés, je le retiens.
— Jess ?
— Oui ?
— Demande le moi.
— Que je te demande quoi ?
— Ce que tu ne m'as pas demandé il y a des années.
Il parait gêné et regarde la porte de la chambre de Matt comme s'il voulait me trainer dedans pour mettre fin au moment embarrassant.
— S'il te plait.
— Je t'aime.
— Je t'aime aussi mais ce n'est pas ça que je te demande.
Ces trois petits mots, c'est vraiment le sésame de ses pleurs. Ses yeux s'embuent à nouveau et j'espère qu'il ne va pas se remettre à pleurer. Pas que ça me gêne mais ses larmes me laissent désemparé. Je ne sais absolument pas quoi faire face à elles.
Je crois que c'est aussi un bon levier pour lui faire faire ce que je veux parce que Jess inspire plusieurs fois pour reprendre contenance et se plante devant moi, me surplombant de toute sa taille.
— Drew…
— Oui ?
— Est-ce que tu veux être mon petit ami ?
La question est tellement ringarde qu'un rire m'échappe et le rouge envahit les joues déjà bien colorées de Jess.
— Tu n'as pas le droit de te moquer ! se vexe-t-il en se dégageant. C'est toi qui me l'a demandé.
Mais avant qu'il ait pu plus s'outrer, j'agrippe sa chemise, tire dessus pour qu'il baisse la tête, me met sur la pointe des pieds et l'embrasse. Je profite de sa surprise pour pousser ma langue dans sa bouche et essayer de lui transmettre tout ce que je n'arrive pas à dire avec les mots.
— Oui.
Putain de bordel de oui que je veux être avec cet homme.
Jess me pousse contre un mur et écarte mes jambes avec son genoux pour caler nos hanches le plus fermement possible l'une contre l'autre. Nous sommes tous les deux durs et le halètement de Jess à mon oreille me donne envie de gémir. Si j'entends les remarques désagréables sur ce que nous sommes en train de faire en plein milieu d'un couloir d'hôpital, Jess y semble complètement hermétique. C'est comme si seul moi comptait et que le reste… Etait justement uniquement que le reste. Je suis au centre de son attention, son regard bloqué sur moi et j'arrive à y lire le désir que je réveille chez lui. De l'amour aussi. J'espère qu'il voit la même chose dans le mien.
— Jess —
J'aime qu'il me regarde comme ça.
J'aime qu'il me tire dans la chambre de Matthew.
J'aime qu'il ne tienne pas compte de ma remarque quand je lui dis que je n'aime pas son meilleur ami.
J'aime qu'il reparte avec moi et pas avec Matthew Delaway.
J'aime qu'il fasse dans mon chez moi comme dans son chez lui.
J'aime qu'il me baise désespérément.
J'aime qu'il soit gêné quand Bry débarque à l'improviste avec de la crème glacée au cas où tout n'aille pas bien.
J'aime qu'il rougisse quand je le présente comme mon petit ami et qu'il balbutie timidement quand il me fait rencontrer son groupe d'ami.
J'aime qu'alors qu'il me pénètre, il me dise je t'aime et me demande de le lui dire.
J'aime que nous commencions à avoir notre vie. A nous voir souvent jusqu'à ce qu'il emménage chez moi parce qu'il trouve insupportable la distance que met entre nous nos métiers.
J'aime qu'il m'avoue apprécier mes parents et mes frères et Bry.
J'aime tout de lui.
J'aime qu'il m'aime.
J'aime Drew car il me semble que j'ai passé presque toute ma vie à l'aimer.
oOo Fin oOo
Après discussion avec Yuiko, il y aura sûrement une suite mais comme ça reste hypothétique, je range cette histoire ici pour le moment. Si suite il y a, je la déplacerais comme « A crocs » pour en faire une histoire à part entière
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A très vite !
Camille Dit Yomika
Réponse à la review ( je réponds en mp si vous avez un compte D ) :
Carmin : Ta review m'a fait trop rire (j'ai même fait peur à mon chat qui s'est décalé XD). J'aime assez qu'on m'associe à « divinité» :D. Pour mon stock d'histoire, je vais te décevoir, mais il est épuisé ! J'en ai une autre de commencé (qui sera sûrement la prochaine) mais qui va être très différente. Un trouple dans un monde post-apocalypse zombi ! Un peu plus compliqué à mettre en place :D ! Je galère un peu dessus mais j'espère que ça donnera quelque chose de pas trop mal. Et pour le souvent….. Je suis nulle pour tenir des délais. Mes OS sont de plus en plus longs et je les sors donc assez espacés. Par contre, j'espère poster la suite d'A crocs dans pas trop longtemps (dans le mois qui vient). Merci pour tes « géniale », « adore » et « divinité ». Ils ont fait ma journée ! C'est de la motivation en barre ! Des bizs et j'espère que tu as pris autant de plaisir sur cette histoire ! A très vite !
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