Petit mot : Bonjour à vous ! Voici mon nouveau caprice du moment. Une "petite" fiction sur un sujet que j'expérimente encore : enquête, meurtres, etc. Mais disons que je le prends… d'une autre façon. Soit ! Je ne sais pas encore ce que l'ensemble va donner, j'ai des idées pour la fin et autres grands sujets de cette fiction, donc j'espère bien avancer sur l'écriture. En ce qui concerne le temps de parution, se sera sûrement irrégulier parce que je n'ai pas forcément le temps. Je suis à la fac, mes horaires sont tout ce qu'il y a d'irrégulier. Sans parler du fait que les chapitres ne sont pas très courts, donc ça me prend du temps d'écrire tout ça. N'hésitez pas à laisser vos impressions, bonnes ou mauvaises, ça me motive et ça me permet aussi de m'améliorer.
Sur ce, bonne lecture !
Chapitre 1
Y'avait pas à dire, Détroit était la ville la plus pourri du monde. Et encore, les alentours n'étaient guère mieux. Pourriture sur pourriture. Les bâtiments étaient pourris, le système était pourri, les gens étaient pourris ! Tout, absolument tout était pourri ici ! Sans parler des tréfonds de ce merdier ambulant. Une vie de chien… Pire ! De rat ! Non, j'étais certain que même les rats vivaient mieux que nous, que moi.
Ce n'était pas une vie, clairement. Je ne vivais pas. Je survivais. Ou peut-être vivais-je vraiment ? Après tout, n'avais-je pas connu que ça ? Cette vie de misère et de moins que rien ? N'étais-je pas né, que dis-je !, tombé dès ma naissance dans la boue, dans la crasse, de cette ville infâme et injuste.
Injuste…
Non, ce mot n'était pas correct. Pourquoi ? Tout simplement parce que pour qu'il y ait une injustice il fallait déjà avoir une justice. Or, il n'y en avait pas. Il n'y en avait jamais eu. Et il n'y en aurait jamais. Jamais ce monde, cette ville, ce putain de quartier, ne connaîtra un semblant de justice, parce que la justice n'existait pas !, parce que ce n'était qu'un joli mot qu'on utilisait à tord et à travers. Parce que personne n'était d'accord sur sa définition même ! Certains disaient que c'est un principe moral, d'autre que c'est un respect à autrui, d'autre encore qu'il s'agit d'un caractère de justesse, de ce qui est juste, droit, mais aussi un ensemble de juridictions, une autorité, un tranché entre des litiges, et d'autres choses toutes plus flous les unes que les autres.
Tout ça ne voulait rien dire. La justice n'avait pas une définition, mais tout un ensemble qui était adapté à quiconque voulait le comprendre dans son sens. De plus, la droiture, la justesse, les litiges, les principes moraux, tout ça était extrêmement subjectif ! Il suffisait de changer de pays, de région, ou même de maison pour avoir des points de vue différents, des nuances en plus, des choses en moins. Tout ça, les règles, les lois, le jugement, la Justice en elle-même, n'avait pas de sens tant que les hommes ne se mettaient pas d'accord, tant qu'ils ne pensaient pas de la même façon. Il suffisait d'une personne, d'un cerveau un peu différent, d'une façon de voir les choses sous un autre angle, et tout cet équilibre, toute cette "justice" tombait à l'eau.
Parce que ce n'était pas possible ! Parce qu'il était impossible d'obtenir la juste équation ! C'était un problème qui ne pouvait pas être résolu ! Aussi intelligent pouvait on être, il était absurde de vouloir solutionner cette seule équation aux paramètres changeants, aux inconnues trop nombreuses. Il suffisait de deux inconnues. Seulement deux inconnues pour une seule et unique équation, et il était mathématiquement impossible de trouver ne serait-ce qu'une solution valable. Que des hypothèses ! Que des "peut-être" ! Seulement des suppositions sans aucune affirmation ! Rien de concret. Strictement rien.
Alors la justice, elle pouvait aller se faire voir ! Elle n'avait rien à faire dans ma bouche, et je m'en balançais tellement ! Parce que dans le fond, avec ou sans justice, moi, je restais dans mon trou paumé, à essayer de pas crever au bord du trottoir, que ce soit de faim, ou parce qu'on m'aura mis les tripes à l'air. C'était comme ça la vie dans les bas quartiers de Détroit : la misère, la pauvreté en vois-tu en voilà, la faim, la soif, la saleté, la délinquance, la prostitution, la drogue, le trafique, les vols, les viols, les meurtres. Tout n'était que déchéance et barbarie. Pire que des animaux ! Ce n'était même plus la loi du plus fort qui régnait, c'était à celui qui serait le plus malin, le plus rusé, celui qui poignardait en premier, celui qui ne se faisait pas poignarder, celui qui savait se démerder avec rien, et faire avec peu, quand il avait.
C'était la loi de Détroit : soit fort ou tu crèveras !
Voilà ce que la vie nous offrait ! Voilà ce que la Justice nous donnait ! Ta vie ou la sienne ! C'était clair non ? Tuer ou être tuer, c'était simple. Tellement simple dit comme ça. Mais la réalité était autre, car même tuer était quelque chose de difficile. Ce n'était pas permis à tout le monde. Evidement ! Comment cela aurait-il pu l'être ? Que croyez-vous ? Entre la femme et l'homme, qui gagne ? Injustice ? Non, Mère Nature voyons. Les hommes et les femmes sont égaux en droits ! Foutaises ! Il n'y avait pas de droits ! Que celui de claquer ou de tuer ! Et il était évident qu'être un homme avait bien plus d'avantages que d'être une femme. Moi-même je l'avais compris.
Si bien, qu'apparemment, je me débrouillais depuis un petit nombre d'années déjà. Je n'étais pas mort, et j'avais déjà 20 ans. Ouais ! 20 ans et encore toutes mes dents, c'était franchement un miracle ! Au vu de tout ce que j'avais vu passer sous mes yeux, je me sentais quand même assez chanceux, ou alors j'avais tout simplement su saisir les opportunités qui s'étaient offertes à moi par le passé.
Oh, je n'étais plus blanc depuis des années déjà. Mon innocence ? Perdu depuis encore plus longtemps. Quand on était un gamin de la rue comme moi, il n'y avait pas la place pour la naïveté, l'innocence, ou encore la confiance. Et ça, beaucoup en avaient fait les frais avant moi. Mais je ne les blâmais pas, parce que grâce à eux, je n'avais pas commis les mêmes erreurs, et j'étais encore en vie. Je comptais bien le rester encore assez longtemps pour me casser d'ici. Détroit, ce n'était vraiment plus pour moi. Mais où aller quand on avait grandi dans ce macadam funeste qui nous colle à la peau et qui pue la vieille charogne à des kilomètres ? Qu'importe où qu'on aille, les gens comme moi étaient inévitablement repérés et rejetés par tous ceux de l'extérieur. Impossible de ne pas savoir qui nous étions ! Tout le pays savait ! Tous savaient sentir la misère quand elle se pointait. Elle avait une odeur, très singulière, distinctive. Un savant mélange de poussière, de came, de sang, et de mort. À croire même qu'une étiquette nous était collée sur le front pour prévenir "Attention, je viens des bas-fonds de la pire mélasse qui soit". Et encore, je n'étais même pas certain que cette étiquette soit vraiment nécessaire tant cela se voyait sur nous.
De toute façon, quand nous étions là, les gens ne voyaient pas les pauvres démunies que nous étions, mais ceux qui portaient l'infortune du monde, avec son éternel aura de destruction, et surtout de mort. Oh oui de mort ! Et que de morts ! La survie ne passait que par ça. Survivre ou mourir. Lui ou toi. Maintenant ou jamais. C'était ainsi. Il fallait tuer. Toujours tuer. Même à 14 ans, même à 11 ans. Il le fallait, pour pouvoir avoir cette merde qu'on appelait espoir. Alors qu'il n'y en avait pas ! Absolument pas ! Et il m'avait fallut 20 ans de ma vie pour m'en rendre compte !
L'espoir, c'était du vent. Ça n'existait pas. Ce n'était qu'un rêve qu'on racontait aux gosses qui couchaient dehors pour ne pas qu'ils clamsent trop vite, parce qu'on avait pitié d'eux, parce qu'on se disait qu'avec de l'espoir, peut-être qu'eux, ils s'en sortiront. Sauf que non, ils ne s'en sortiront jamais ! Car personne ne s'en sortait. Moi y compris. Je ne m'en sortais pas, et je ne m'en sortirais pas. Bien sûr, j'avais déjà eu de l'espoir, beaucoup même. Et voilà où ça m'avait mené. J'avais presque la majorité et j'étais encore coincé dans ce trou plein de merdier, les mains couvertes de sang. Non, pas que les mains d'ailleurs. J'étais entièrement couvert de sang. Mes mains, mes bras, mes pieds, mes jambes, mon visage, jusqu'à mes poumons, mon estomac, mon intestin. J'étais maculé de sang. J'avais tant tué, tant salit ma peau de rouge pourpre, tant inhalé d'effluves humaines. Je ne me lavais pas les mains correctement, parce que bon, le savon ça ne poussait pas dans les arbres non plus, donc du sang, j'en avais bouffé. Et parfois, à m'en rendre malade.
Ainsi, l'espoir ne m'avait non pas sauvé, mais fait plonger. Plonger dans une vie qui m'avait transformé et qui me collait à la peau. J'aurais beau m'astiquer autant que je le voudrais, les ombres du passé seront toujours là, et mes démons avec. Jamais je ne pourrais m'en débarrasser. Ils étaient miens et le resteront pour le reste de mon existence qui de toute façon, ne durera plus très longtemps. Parce que oui, quand on vivait dans la rue, l'espérance de vie n'était pas de 65 ans ! Les hôpitaux n'existaient pas dans nos rues, et les médicaments étaient détournés en drogue, donc si l'appendicite vous frappait, vous n'aviez qu'à prier pour essayer de vous en sortir, si entre temps quelqu'un ne vous éventrait pas durant votre sommeil pour votre seule barre de céréale ou en prétextant pouvoir vous opérer.
C'était d'ailleurs une des règles d'or : ne jamais faire confiance à autrui. Une règle qui pouvait vous sauvez la vie, et qui avait sauvé la mienne plusieurs fois déjà. Et autant dire que j'avais failli y passer un bon nombre de fois. Mais j'étais toujours là, bien vivant : Zack l'Intouchable n'était pas si facile à abattre ! – oui, ce surnom sonnait moyen mais je cherchais encore un peu de notoriété dans ce monde de brutes, donc un petit peu de respect.
Ce jour là, je fumais tranquillement dans un coin d'une rue sale, puante, et infestée de rats, confortablement assis sur le connard qui avait essayé de racketter mon fric. Ah le pauvre type, s'il avait su à qui il s'en prenait aussi, il n'aurait pas autant fait le malin et il serait peut-être encore en vie. Enfin, ce n'était pas comme si je regrettais mon geste. Je n'en avais plutôt rien à faire en vrai. Et puis, j'avais pu lui faire les poches à mon tour, ce qui n'avait pas été très fructueux selon moi : dix dollars, un canif et les restes d'une drogue non identifié dont je ne comptais absolument pas toucher. Je n'étais pas encore assez fou pour mettre mon nez dans la came sans savoir quelles merdes ils foutaient dedans. Je tenais à ma vie, même si l'espoir m'avait abandonné. Du moins, pas suffisamment pour crever comme un chien galeux.
Je tirai une nouvelle bouffée tout en savourant le bien fait de la nicotine sur mon cerveau et mes poumons. Puis, je relâchai un fin nuage de fumé en regardant le ciel rougeâtre à travers mes larges lunettes teintées. Ce n'étaient pas de simples lunettes avec deux verres distinctifs, mais un mélange entre une visière et un design douteux qui faisaient pourtant le bonheur de mes yeux en les cachant derrière la couleur rouge orangé dont était fait l'unique verre. Certains trouvaient ça provoquant, et d'autres carrément inutile, mais moi j'aimais bien ces lunettes un peu étranges qui me rendait singulier. Particulier sans être une bête de foire pour autant. Et c'était exactement le but recherché.
Ma contemplation ne dura pas plus longtemps. J'écrasai mon mégot sur le crâne de ma victime encore tiède, faisant cramer par la même occasion quelques uns de ses cheveux gras dégoûtants, dégageant de cette façon une odeur parfaitement horrible, accompagné d'un petit bruit de crépitement. M'appuyant sur mes genoux, je me relevai doucement, comme si une dure journée venait de s'écouler, ou bien s'annonçait. Ce qui n'était pas entièrement faux en soit. Le canif en main, je le fis tourner entre mes doigts tout en m'éloignant de ce joli meurtre qui pouvait me causer un bon paquet de problèmes. Que ce soit les gangs ou la police, je n'avais pas franchement envie de me frotter à eux. Avec l'un ou l'autre, je serais dans la merdre car il n'y avait rien de pire que se retrouver seul face à dix gars soit armés d'armes blanches, soit de flingues et de matraques. Donc personnellement, je les fuyais comme la peste. Je n'avais strictement rien à prouver à personne, alors me battre à un contre dix juste pour l'honneur de je ne sais qu'elle connerie, je m'en passais, et c'était bien l'une des raisons pour lesquels j'étais encore en vie d'ailleurs. Fuir n'était pas qu'une marque de lâcheté. Fuir c'était aussi tenir à sa vie plus qu'à sa stupidité, et la fierté pouvait vraiment rendre débile parfois.
Je m'étais éloigné de plusieurs rues déjà, je n'avais donc quasiment plus rien à craindre en ce qui concernait l'espère d'abrutit que j'avais abattu avec mon propre couteau. Ayant souffert du contact avec quelques os, je l'avais troqué contre ce canif bien plus utile. Je préférais les meurtres propres, si je puis dire. Les barres de fer, et autres objets dans ce genre, ce n'étaient pas vraiment pour moi. Evidemment, je ne faisais pas le difficile quand je n'avais pas le choix. Ma fierté, je savais la remballer quand il le fallait, et d'ailleurs, elle n'était que d'autant plus gonflée quand je gagnais le droit de vivre encore un petit peu. Donc canif ou barre de fer, qu'importe tant que j'étais en vie.
Je trainai mes vieux rangers sur le bitume sale des bas rangs de Détroit, le regard dans le vague, plus concentré à faire tourner mon nouveau jouet qu'à véritablement jouer au petit mafieux en plein délie, quand des cris gutturaux me parvinrent. Normalement, je m'en foutais royalement. C'était assez fréquent les bagarres, encore plus quand ça impliquait un gang, comme là cela semblait l'être. Néanmoins, certains propos me vinrent aux oreilles, et me firent m'arrêter :
« Allez le p'tit bourge, file-nous ta tune ou sinon on sera obligé d'abîmer ton joli visage.
-Crève toujours.
-Hein ?! C'est qu'il en veut ce con !
-On va lui fermer sa grande gueule de tafiole, il rigolera moins après.
-Ouais, c'est pas comme si ce petit merdeux nous faisait peur. »
D'autres remarques de ce genre fusèrent alors que l'agitation grandissait. Bon, ce n'était pas comme si tout ça m'intéressait, mais j'avouai être un petit peu curieux, parce que déjà, un bourge à Détroit, c'était du jamais vu, et si en effet c'était vrai, il devait forcément avec un tas de fric sur lui, et pas question de le laisser à ces gros cons de je ne savais quel gang.
Furtivement, je m'approchai de la ruelle de laquelle venait tout ce raffut. Techniquement, j'aurais pu approcher sans trop faire d'histoire au vue de tout leurs cris plus bestiaux qu'autre chose, mais mieux valait être prudent. Et je l'étais. Valait mieux trop que pas assez comme on disait.
Me plaquant contre un mur juste au coin du tout petit carrefour de trois bâtiments délabrés, totalement coincé entre ces murs de plusieurs mètres de haut, isolé de part l'exigüité et l'insalubrité du lieu, j'avais une vue de premier choix sur ce qui se passait. Et j'avais bien du mal à y croire. Une bande d'environ huit de personnes, un gang mineur en soit, dont le nom m'était inconnu mais dont je m'en foutais totalement, entourait un individu qui n'avait pas sa place ici. Cette personne, ce… mec – parce que j'avoue avoir eu un doute à un moment – n'était visiblement et clairement pas d'ici. Oh que non, il ne venait pas de Détroit, c'était certain. Même des "meilleurs" quartiers, impossible. Il était trop… pur pour ça. Le blond de ses cheveux était trop propre, sa coupe au carré et sa frange étaient trop droites, son corps était trop élégant, trop frêle, ses vêtements beaucoup trop beaux, trop coûteux, son visage trop parfait, et ses yeux, trop brillants, brillants de vie, d'un feu incandescent, vivant, indécent !
Oh putain oui, ce mec était indécent avec sa coupe de fille, ses yeux trop bleus, son visage fin, sa peau de porcelaine, ses fringues beaucoup trop moulantes, tout en cuir noir, ses hanches étroites, ses fesses bien galbées, son… Stop ! Il fallait que je m'arrête ! Je m'emportais là. Je n'étais pas venu pour relooker ce BG en force, mais pour le voler… euh plutôt lui voler son argent. Cependant, il y avait une bande de brutes entre mon objectif et moi, et ça, ce n'était pas pour faciliter mes affaires.
J'observai toujours depuis ma cachette ces crétins qui ne cessaient de jouer aux voyous du coin. Ce qui n'était pas faux en soit. Or, lorsque l'un d'eux sortit un couteau type dague Gerber Mark II, mon sang ne fit qu'un tour. Je ne connaissais pas ce mec, mais j'avais décrété qu'il serait ma victime, pas la leur ! Alors hors de question qu'ils l'esquintent avant moi ! J'avais la mainmise dessus. Enfin, c'était plus de l'auto-acquisition, parce que bon, je n'avais demandé à personne. Et je comptais bien ne pas leur demander leur avis !
Alors que j'étais sur le qui-vive, le gars au couteau de guerre remuait son jouet dans tous les sens, cherchant certainement à impressionner le fils à papa qui n'avait pas sourcillé d'un centimètre. Il était totalement impassible, un regard froid et dur, très peu avenant.
« Bah quoi ? Tu as perdu ta langue ?! commença à provoquer le gangster.
-Quelle pitrerie, rétorqua sèchement l'intéressé en grimaçant.
-Quoi ? Elle a dit quoi la fillette ?
-Maman j'ai peur, ria un autre homme. »
Sans crier gare, le mec au couteau se jeta d'un coup sur le blond. Ce dernier, même avec son désavantage physique, évita le coup, non sans mal car sa joue fut écorchée. L'agresseur en question se mit à ricaner en voyant ça, apparemment amusé du spectacle. Néanmoins, en sentant du sang couler sur joue, le blondie bifurqua ses yeux vers celui qui avait osé le toucher. Et moi aussi par la même occasion. Sans réfléchir, j'étais sortie de ma planque pour me jeter sur ces types quand un coup de feu résonna, m'immobilisant d'une traite, comme tous ceux présents sur place. Puis, un bruit mat résonna : un corps qui tombe.
Mes yeux suivirent sans le vouloir le mouvement de ce corps mort, et lorsqu'il toucha le sol, du sang s'écoula, tâchant le bitume de rouge bien chaud, venant du crâne même du type. Lentement, mes prunelles remontèrent vers la cause de cette exécution sans aucune forme de procès et se posèrent inévitablement sur lui, le blond à l'allure de mauvais gothique, avant de dévier sur l'arme du crime. Et quelle arme : un superbe Beretta 92fs, reluisant de son gris métallique, sa coupe droite et nette, son canon mis en avant, et l'air encore vibrant autour.
Mon regard ne put s'attarder davantage sur ce flingue carrément génial car il fut captivé par tout autre chose. Si j'avais su, je n'aurais jamais croisé le regard de ce type. Des abysses bleus, sans fin, froids, ou plutôt glacials, qui me transperçaient de part en part alors que je n'avais encore rien fait. Ces orbes qui me dévisageaient, m'assassinaient, me mettaient à nu pour mieux se régaler de la torture qu'elles m'infligeaient. Oh non, je n'aurais pas dû m'accrocher à ce point à ces yeux, car ça aurait pu être fatal.
L'un des gangsters s'était repris et avait foncé sur le blond qui avait alors détaché son regard pénétrant du mien pour lui mettre le cul de son Beretta dans le nez. Ouais, ça devait faire bien mal. Le repos ne fut que de courte durée pour moi, je n'avais pas de temps à perdre à adm… à regarder le nouveau venu se défendre comme un beau diable, je venais moi-même de griller ma cachette, et ces mecs s'en foutaient de savoir ce que je faisais là, un canif à la main, tandis que ma tête ne leur revenait pas. Trois d'entre eux se jetèrent donc sur moi, braillant comme des animaux. Sérieusement, ce n'était pas en hurlant qu'ils allaient m'impressionner, loin de là même ! C'était une perte considérable d'énergie, et ils ne s'en rendaient même pas compte. C'était autant inutile que débile. En revanche, même si je savais me battre, à trois contre un, ce n'était pas gagner d'avance, et je craignais fort que mon binôme – oui, c'était de l'auto-acquisition encore une fois – ne soit plus avantager que moi, au contraire. Il avait peut-être un flingue, mais le bruit des balles allaient attirer l'attention de curieux, de voyous, ou pire, de la police. Et autant dire que je m'en passerais bien !
Comme un lion, je me mis à attaquer, toutes griffes dehors. Mon canif en main, j'éventrais un premier homme qui se plia de douleur, crachant des injures et des plaintes de souffrance qui ne me firent ni chaud ni froid. Il recula simplement alors que les deux autres me faisaient face. Les coups de poings tombèrent, et les ripostes aussi. Ce n'était pas facile, deux contre un, j'avais un désavantage certain. Ils pouvaient me prendre en tenaille et à ce moment là, je serais bien embarrassé. Ils ne rigolaient pas en tout cas. Ils avaient chacun une arme à la main, que ce soit un grand couteau ou une vieille barre toute rouillée. Je faisais amateur avec mon canif, mais il y avait un dicton qui disait qu'il ne fallait pas se fier aux apparences, et ça, ces gars ne semblaient pas le savoir car même moi j'avais été surpris par ce blond sortit de dieu sait où !
D'ailleurs, il avait descendu un autre mec d'une balle dans le thorax. Il n'avait pas froid aux yeux, ça c'était certain. Cependant, à cette allure, on allait se faire buter. Contre moi, je me pris un coup de barre dans le bras, ce qui me fit grimacer. Un coup de poing dans l'estomac me plia un deux, suivit d'un nouveau coup mais dans le visage cette fois-ci. Merde ! Ils faisaient vraiment chier ces types ! De nouveaux coups de feu résonnèrent, et alors que j'évitai de me manger une barre sûrement porteuse du tétanos, un son parfaitement reconnaissable envahi l'air. Tous se figèrent, et en un rien de temps, les gangsters prirent leurs jambes à leur cou pour déguerpir aussi vite que possible. Ce que je n'allais pas tarder à faire à mon tour.
Je me redressai d'un bond, non sans mal, et accouru vers l'espèce d'inconscient bourgeois qui s'attardait à s'essuyer le visage d'un revers de main, son engin meurtrier n'ayant pas une tache. Sans douceur, je l'attrapai par l'avant-bras et le tirai pour qu'il me suive. Il n'eut pas le choix de se mettre à courir à ma suite alors que les sirènes de police se faisaient de plus en plus fortes. Ça, c'était sans aucun doute le bruit de ses coups de feu. Quelle idée aussi d'utiliser une telle arme ici ! Il n'y avait rien de mieux pour se faire repérer qu'un truc aussi bruyant.
Je courrais à en perdre haleine, me faufilant non sans mal à travers des ruelles toutes plus étroites les unes que les autres. De toute façon, si moi je passais, lui aussi. Il était plus mince que moi, donc je ne m'en faisais pas pour ça. Par contre, son endurance semblait plus douteuse car plus j'avançais, plus j'avais l'impression de le tirer. Quelques ruelles encore, et je fis enfin une halte. Je n'en pouvais plus. J'avais couru tout ce que je pouvais car j'avais conscience du danger que représentait la police ici. Ce n'était pas juste des hommes qui faisaient régner l'ordre, bien au contraire ! Qui avait-il à faire respecter ici si ce n'est le chaos ? La discorde ? L'anarchie la plus totale ? C'était un peu ça dans le fond. La police ne faisait qu'envenimer les choses, et c'était fait exprès. Elle s'amusait à provoquer, à abuser de son pouvoir, à frapper n'importe qui juste par envie, ou sous faux prétextes. Et puis, elle tuait aussi. Se faire chopper c'était mourir quasiment à coup sûr. Donc pas question de se faire prendre à cause de ce joli minois ambulant.
Penché en avant, j'essayais de reprendre mon souffle. Ma respiration était rapide, saccadée, mais bien moins irrégulière que celle du blond qui m'accompagnait. Il semblait à bout, limite prêt à cracher ses poumons – alors que c'était moi qui fumait, quoi que, de son côté je n'en savais pas plus. Il s'appuyait d'une main sur un mur, comme pour se retenir de tomber, et l'autre était sur sa cuisse, son joujou toujours en main. Je me permis de l'observer un instant, le temps qu'il reprenne ses esprits et donc qu'il ne remarque rien. Il semblait avoir aussi reçu des coups, mais rien de bien méchant. Heureusement.
D'ailleurs, sans trop savoir pourquoi, je lui avais sauvé les fesses en risquant les miennes, ce qui n'était pas spécialement mon genre. Voire pas du tout en fait. Je ne mettais jamais ma vie en péril pour quelqu'un d'autre, et encore moins que je ne connaissais pas. Mais lui, c'était différent non ? Il n'était pas d'ici, cette ville de merde qu'était Détroit. Et puis, il était ma cible. Je ne l'avais pas "sauvé", j'avais juste repoussé des concurrents, des voleurs qui voulaient me prendre mon pactole, rien de plus.
« Hé ! Viens, on peut pas rester là, dis-je en me redressant. »
Sauf que je l'avais peut-être un peu trop sous-estimé à mon tour. Son arme pointé dans ma direction, il me fusillait carrément du regard. Et bon dieu ! Quel regard ! Il me faisait froid dans le dos. À moi qui n'avait pourtant pas peur si facilement ! Ouais, il me fichait les j'tons, parce que j'avais véritablement l'impression qu'il allait me buter, là, dans la seconde. Il me visait avec ses yeux de chien blessé, ou plutôt de fauve en danger, prêt à me sauter à la gorge pour me l'arracher, comme si j'étais la pire menace qui soit.
Sa main toujours sur le mur, il avait l'air on ne peut plus sérieux. Et lorsque sa voix claqua, mon sang se glaça.
« T'es qui ? Qu'est-ce que tu me veux ? grogna-t-il sur la défensive. »
Lentement, je lui fis entièrement face, et laissai paraître mon aisance face à une menace imminente :
« Y'a les flics pas loin. Si on se casse pas d'ici, ils nous mettront la main dessus, et ça rigolera pas.
-Répond ! m'agressa-t-il en s'impatientant. »
Il ne plaisantait vraiment pas. Il semblait à cran, et je pouvais le comprendre. Néanmoins, je n'appréciais pas trop le fait de servir de cible. Je savais qu'il avait déjà utilisé au moins cinq ou six balles, sauf qu'un Beretta comme le sien pouvait contenir quinze balles, ce qui n'était pas pour me faciliter les choses, car je n'avais aucune idée du nombre initiale qu'il y avait dans son chargeur.
Le fixant toujours, je me résolue à répondre sans montrer ma nervosité, non pas à cause de son arme – quoi que – mais parce que la police n'allait pas tarder à explorer les rues environnantes pour essayer de trouver le ou les coupables des meurtres. Enfin, n'importe qui ferait l'affaire avec eux, et je n'avais pas envie que ça tombe sur moi.
« J'suis le mec qui vient de te sauver le cul, mon pote. »
Son regard ne vacilla pas, restant toujours aussi perçant et assassin. C'était quoi son problème à la fin ? On ferait causette plus tard s'il voulait, mais pas maintenant bon sang !
« Tu crois que je vais avaler ça, « mon pote » ? dit-il en appuyant bien ses deux derniers mots pour me signifier qu'il ne les appréciait pas. »
Ok, il avait tous les droits de douter de moi. Après tout, on ne se connaissait absolument pas, et il venait de se faire agresser par une bande de merdeux. Sauf que j'étais aussi un merdeux, donc ses doutes étaient justifiés. Cependant je lui avais vraiment sauvé la peau. Un peu de reconnaissance ne me ferait pas de mal.
« Tu veux vraiment qu'on cause de ça maintenant ? demandai-je en ayant l'air un peu plus excédé.
-J'ai pas demandé à parler, ajouta-t-il rapidement. C'est toi qui t'ai pointé comme une fleur et qui…
-TASER ! Criai-je d'un coup. »
J'eu à peine le temps de balancer mon canif dans la direction de mon interlocuteur et de me jeter sur lui que le policier en question avait déclenché son arme. Tout se passa relativement vite, même si j'eu plutôt l'impression du contraire. J'avais lancé le premier truc que j'avais sous la main pour détourner l'attention de l'agent et m'étais précipité sur mon homologue sans même prêter attention à son arme. Je l'avais alors saisi par la nuque pour le plaquer au sol et éviter le taser de justesse.
Je ne perdis pas plus de temps, ne me couchant pas par terre comme j'avais incité le blond à le faire, et me détournai de lui pour m'en prendre au policier. Ce dernier était carrément barge. Il affichait un sourire monstrueux, et ses yeux brillaient de telle sorte qu'ils disaient « Je vais vous buter sales vermines. » Or, je n'avais pas l'intention de rendre l'arme à gauche maintenant. Certes je savais ma fin assez proche, mais pas autant. Le canif que j'avais lancé n'était même pas ouvert. Je n'avais fait que le lancer comme distraction, ce qui avait fonction le temps de trois secondes environ. Mais maintenant, ce n'était plus rien, et moi-même je n'avais plus rien pour l'attaquer si ce n'était mes poings. Et lui avec un taser dans les mains, ce n'était pas l'idée du siècle. Je n'avais pourtant pas le choix.
Je m'élançai donc vers notre assaillant quand un coup de feu résonna, faisant brusquement bourdonner mes oreilles. Je m'arrêtai net, écarquillai les yeux en voyant l'agent pantois puis tomber au sol, avant de tourner la tête vers mon binôme. Il n'avait clairement pas froid aux yeux. Il en était même inconscient. Couché sur le dos, légèrement relevé, il venait de descendre un flic, comme ça, sans plus de cérémonie. Il était carrément cinglé en fait ! C'était le meilleur moyen pour se faire repérer par les autres, parce que quand il y en avait un, les autres n'étaient jamais bien loin.
Mes réflexions ne purent se dérouler davantage lorsque je le vis se relever pour partir en courant. Il était sérieux là ?! Sans plus attendre, je récupérai mon canif et me mit à le poursuivre. Il ne savait pas du tout où il allait. Il s'orientait au hasard, en plus d'essayer de me semer apparemment. Dommage pour lui, j'étais du genre collant.
Après une petite course poursuite sur plusieurs ruelles, je me décidai enfin à le rattraper. Je posai ma main sur son épaule, le forçai à s'arrêter et à se retourner pour lui parler face à face. Mon regard se fit dur au travers de mes lunettes, et je n'hésitai pas à affermir ma prise sur son épaule pour prouver tout l'intérêt que j'avais à discuter maintenant !
« Eh ! Tu fous quoi à courir comme ça ? C'est… »
Je ne pus terminer ma phrase qu'un coup de poing me la ferma. Et purée, ça faisait mal ! Il m'avait directement frappé dans la mâchoire. Il n'avait que des os dans la main ou quoi ? Parce que son poing était sacrément dur, et se prendre ses phalanges comme ça, ce n'était pas pour me faire du bien. En revanche, il s'en prenait à la mauvaise personne. Je n'étais pas n'importe qui ici ! J'étais Zack l'Intouchable, donc son poing, il allait le regretter. Je n'étais pas une petite merde qui se laisser frapper. Ah ça non ! Tous les coups qu'on me mettait, je les rendais ! Ce que je fis à l'instant en le frappant à l'estomac. Il se plia en deux, couinant sous la surprise. Bien, ça le remettrait en place. Enfin ça, c'est ce que je pensais, parce que son poing décolla à nouveau et ne me loupa pas. Il cherchait vraiment la bagarre en fait ! Il allait la trouver, je le garantissais !
S'en suivit de cette façon une pluie de coups qui alternait entre lui et moi. Quand il m'en donnait un, je lui renvoyais le même, alors il répliquait avec plus de force, et moi de même. Ce petit manège ne dura pas très longtemps. On finit comme deux demeurés, allongé par terre à se taper sur la gueule. Du moins, jusqu'à ce que je dise bonjour d'un peu trop près au canon de son flingue. J'étais sur le dos, et lui au-dessus de moi, ses jambes de part et d'autre de mon torse pour me surplomber, me menaçant de son arme. Son regard trop bleu planté sur mon visage, il semblait sur le point d'exploser.
« Arrête ça, sinon je te fais sauter la cervelle, pigé ! »
Je n'osais pas vraiment répondre. Disons qu'avoir une arme à feu sur son front ça dissuadait de faire un autre pas de travers. Je déglutis lentement, et acquiesça avec prudence :
« Ouais…, pigé. »
Son regard ne se calma pas. Il semblait toujours aussi animé, tourbillonnant d'une lave bleue, absolument subjuguant. Je ne savais pas d'où il sortait, mais son regard me plaisait. Il y avait quelque chose de sauvage, d'indomptable dans ses yeux, un quelque chose hors norme qui me captait, me fascinait. Or, le lieu n'était pas propice à une analyse de ce genre. Lui aussi semblait me dévisager, chercher à lire en moi, à savoir qui j'étais et ce que je lui voulais. En y faisant plus attention, je vis qu'il avait une fine chaine en argent autour du cou. Le pendentif m'étais cependant inconnu, se perdant sous sa veste sans manche, moulante, et toute de cuir. Sérieusement, il sortait d'où ce mec ?
J'aurais bien aimé le savoir, mais des voix me parvinrent. Plusieurs personnes, apparemment à la recherche de quelque chose, ou plutôt de quelqu'un. Je me figeais, détournant mon regard sur le côté, comme si j'attendais que quelqu'un déboule de l'autre bout de la ruelle sale et humide dans laquelle nous étions En réalité, j'essayais de capter ce qui se disait, mais ils étaient trop loin pour qu'un seul mot ne soit bien distinctif. D'ailleurs, je ne fus pas le seul à m'en rendre compte. Mon "agresseur" semblait aussi sur le qui-vive, jusqu'à ce que des bruits de pas ne s'approchent. Putain, on était mal. Il y avait de fortes chances pour que ce soit encore les poulets.
D'autres bruits se firent entendre de l'autre côté, et ce n'était pas pour arranger nos affaires, loin de là. Sans véritablement demander l'avis du blond, je le saisis par le bras, ce qui me valut de me faire fusiller du regard et sentir un peu plus fermement le canon de son arme sur mon front. Je chuchotai alors, de façon assez rapidement tout de même :
« Faut se planquer ou ils vont nous buter.
-C'est moi qui vais te buter si tu me mènes en bateau, répondit-il en murmurant aussi mais en me faisant bien comprendre avec son flingue qu'il ne plaisantait pas.
-Si tu me fais sauter maintenant ils vont tous rappliquer pour te descendre à ton tour, expliquai-je en appuyant mon regard dans le sien afin qu'il comprenne enfin que je ne lui voulais pas de mal… enfin pas tout de suite. »
Il marqua un instant de silence, comme s'il pesait le pour et le contre. Bon, si la princesse voulait bien se décider rapidement, ça m'arrangerait.
« T'as une planque ? me demanda-t-il. »
En faisant comme si je ne sentais pas le canon de son arme sur moi, je tournai la tête pour observer ce qui m'entourait. Je ne reconnaissais pas la rue, mais par contre, je venais de repérer une alcôve qui pourrait faire l'affaire le temps que tout se calme. Reposant mes yeux sur son visage, je lui répondis :
« Là non, mais on peut échapper aux flics le temps de, dis-je en faisant un mouvement du menton vers l'alcôve que j'avais vu à trois pas de nous. »
Il releva la tête, faisant par la même occasion bouger ses cheveux vraiment trop soignés, pour observer ce que je lui montrais. Ses yeux se plissèrent tandis que ses lèvres s'amincirent subtilement. On n'avait pas le temps pour plus de réflexion ! J'entendais déjà d'autres agents arriver pour fouiller les rues. Merde, mais qu'il bouge son cul !
Finalement, il reporta son attention sur moi et hocha si légèrement la tête que j'eu cru l'avoir imaginé. Néanmoins, je n'avais pas le temps d'être sûr. Je me relevai un peu brusquement, me fichant bien te sentir le canon du Beretta appuyé durement sur mon crâne alors que je l'avais surpris en me relevant de cette façon. Sans lui lâcher le bras, je le tirai rapidement, marmonnant un « Viens » auquel il ne répondit pas. En trois foulées rapides, nous nous retrouvâmes face à l'alcôve en question, et je l'y fourrai dedans sans lui demander son avis. Je le plaquai au mur, le plus possible, dans le coin droit pour essayer au maximum de le cacher avec le bord du mur qui dépassait devant. Je l'entendis grogner de mécontentement, mais je n'en eus que faire. Je vins par la suite me caller contre lui. Non, je n'abusais pas de la situation, mais seulement il fallait que je me cache aussi, et j'étais plus grand que lui, donc je le cacherais forcément en me mettant contre lui. Et puis, ses cheveux blonds ne passaient pas inaperçu, alors que moi, brun comme je l'étais, c'était bien plus facile.
En entendant des bruits de pas de plus en plus présents, je me pressai contre lui, voulant absolument réduire la largeur de nos corps pour nous fondre le plus possible dans ce décor grotesque.
« Chut, marmonnais-je en le sentant bouger contre moi. »
Cependant, il ne m'écouta pas, et poursuivit ses petits gigotements absolument insupportables. Il devait arrêter de bouger, on devait être parfaitement immobile pour ne pas se faire chopper, donc ce qu'il faisait n'allait pas du tout.
« Arrête, m'agaçai-je en le regardant.
-Tient, mets ça, répondit-il en me montrant un petit bout de métal rond coincé entre deux de ses doigts. »
Je n'avais aucune idée de ce que c'était, et cela dût se voir sur mon visage car il fronça les sourcils et se débattit doucement pour dégager un peu plus son bras de mon corps. Là, il m'expliqua tout en fixant le petit machin sur ma tempe :
« C'est un brouilleur de psy-code. Ils ne pourront pas nous repérer de cette façon.
-Un quoi ?! articulai-je sans comprendre de quoi il parlait. »
Il ignora ma question et lorsqu'il clipsa son gadget, une douleur de l'ordre d'une piqûre froide et électrique traversa mon crâne, me faisant grimacer.
« Chut, osa me dire mon vis-à-vis. »
Je serrai les dents sans rien dire, et instinctivement, je collai mon corps au sien lorsque les bruits de pas et de discussion se firent beaucoup plus proches. Je priai intérieurement pour qu'ils ne nous trouvent pas. Ce n'était pas la planque du siècle, mais s'ils étaient suffisamment distraits par leur conversation, on avait des chances de passer inaperçu. Quant à son brouilleur de psy-machin, je ne savais pas à quoi ça servait, mais ici, on n'était pas au top de la technologie, donc son truc ne servait à rien selon moi. Mais si cela pouvait le rassurer, soit, de toute façon, ce n'était ni l'endroit, ni le moment de se battre à nouveau.
L'attente fut interminable. Le silence était lourd, pesant. Il semblait s'abattre sur mes épaules comme si le bâtiment lui-même s'effondrait. J'avais coupé inconsciemment ma propre respiration, comme si le moindre mouvement, même un battement de cils, pouvait révéler notre présence. Mon cœur tambourinait avec force dans ma poitrine, si bien que je craignais même que le blond contre lequel j'étais, ne le sente. Lui aussi était tendu, je le sentais parfaitement contre moi. Tous ses muscles étaient crispés, bandants avec force, et sa respiration était courte, irrégulière. Il semblait essayer de la retenir, tout comme moi je n'osais pas expirer.
Je sursautai discrètement lorsque je sentis deux mains entourer ma tête. Mon regard affolé bifurqua vers celui glacial de mon homologue qui se contenta de me fixer avant de serrer mon crâne contre le sien, de côté. Je ne le connaissais pas, et lui ne me connaissait pas non plus. Mais frôler ainsi la mort semblait rapprocher quasiment n'importe qui, même deux inconnus qui une minute auparavant, se cognaient comme des débiles à même le sol.
La position n'était pas des plus confortables, mais elle avait le mérite de me faire penser à autre chose. Ses cheveux me chatouillaient la tempe gauche, celle qui n'avait pas le petit rond métallique. Ils étaient drôlement doux d'ailleurs. C'était certain maintenant, ce mec était un bourge. S'il avait de quoi entretenir ses cheveux, c'est qu'il n'était pas d'ici, plus de doute. Le shampoing, ce n'était pas courant à Détroit, c'était comme le savon, ça ne tombait pas du ciel.
Ce cirque dura encore de très longues minutes. D'interminables minutes selon moi. Quand on fut quasiment sûr que la menace fusse écartée, il me lâcha enfin, et je reculai avec prudence. Sans recroiser son regard, je me détournai et jetai un coup d'œil à la ruelle. Tout semblait de nouveau tranquille. Il n'y avait plus le bruit des sirènes de police, et à part le clapotis d'une gouttière percée, il n'y avait rien. Lentement, je pris le risque de sortir, puis je laissai redescendre toute la pression en soupirant longuement.
« Eh bah, c'est pas passé loin, me permis-je de dire en tournant la tête dans sa direction. Viens, on va trouver un endroit plus sûr. Une de mes planques n'est pas loin. On devra faire un petit détour mais on y sera rapidement, expliquai-je en le regardant.
-Je suis pas n'importe qui, dit-il d'un coup. »
Je ne pus cacher ma surprise face à cette remarque. Il ne manquait vraiment pas de culot lui ! Je lui sauvais plusieurs fois les miches, et il osait me dire qu'il ne me suivrait pas parce qu'il ne me connaissait pas ? Pourtant, il avait bien su me suivre pour atterrir ici, et il m'avait même collé un truc bizarre sur la tronche pour je ne sais quelle raison. Donc celui qui devait se méfier, c'était moi, pas lui ! C'était moi qui prenais les risques en sauvant sa majesté "je tire sur tout ce qui bouge" et qui prenais encore plus de risque en lui proposant de venir dans l'une de mes planques !
Excédé, mais bizarrement compatissant, je soupirai en passant une main dans mes cheveux coupés bien courts. Je m'adossai au coin extérieur de l'alcôve et d'un air nonchalant, je demandai :
« C'est quoi ton nom ?
-Laurie. »
J'arquai un sourcil.
« Laurie comment ?
-Laurie tout court, me répondit-il. »
Il me fixait toujours avec ses yeux trop intelligents.
« Et toi ? retourna-t-il.
-Zack.
-Zack comment ?
-Zack tout court. »
Nos regards se happèrent. Impossible de les séparer, comme si deux crochets s'étaient agrippés l'un à l'autre et qu'il était plus que difficile que de les défaire. Pire que des sondes.
« Et l'autre toi ? lançai-je sans trop savoir pourquoi. »
Il tiqua.
« Je ne vois pas de quoi tu parles, nia-t-il.
-À d'autres, renchéris-je. »
Son regard se fit un peu plus fort.
« Alors le tien, dit-il comme si on pouvait négocier.
-Le tien contre le mien. »
Il se tut, son Beretta toujours en main. Je soufflai en détournant mon regard du sien, et laissai glisser :
« Laurie ça me va.
-Elle est loin ta planque ? me demanda-t-il sans faire d'autres remarques.
-J't'ai dit, à quelques rues de là. Mais si tu veux y aller, il va falloir suivre MES règles. »
Ça ne lui fit pas plaisir, mais tant pis. On était sur mon territoire, donc c'était à moi de décider de ce qu'il fallait faire ou non. J'étais le plus apte, il n'y avait pas photo. Et de toute façon, il n'avait pas le choix.
« Ok, répondit-il comme si ce mot lui arrachait la bouche.
-Déjà, ton jouet, tu le ranges. Y'en a pas besoin pour courir. Et ensuite, tu me suis comme mon ombre, tu ne parles pas, tu écoutes ce que je te dis, et normalement, on arrivera en un seul morceau. Pigé ? »
Il me fusilla du regard, mais répondit quand même :
« Ouais. Pigé. »