Jérôme m'observe un moment. Mais rapidement, son visage se ferme à nouveau. Ses sourcils se froncent et il n'a pas du tout l'air ravi que je sois présent dans cette pièce. Instinctivement, je me crispe et rentre ma tête dans mes épaules comme pour me faire plus petit, ce qui évidemment ne fonctionne pas. Sa mâchoire est serrée alors que son corps passe à côté du mien pour aller saluer les propriétaires des lieux. Soupirant intérieurement, mes yeux se ferment et je n'ai qu'une envie, c'est de m'enfuir le plus loin possible de cette ambiance tendue. Fuir encore une fois. Parce que je suis incapable de faire face directement à mes problèmes alors que je suis le premier à pousser les autres à le faire. Lentement, je me lève après avoir vidé ma tasse de chocolat chaud.

-"Merci pour tout Salomé. Je te rendrais tes affaires demain après les cours."

L'interpellé me fixe de ses yeux verts. La tête appuyée sur ses mains, il me fait penser à un chat qui guette le moindre mouvement. Son manque de réponse me fait hausser les épaules, mais je n'insiste pas. Jérôme a décidé de m'ignorer comme si je n'avais jamais existé. Bien. Je comprends son comportement, mais je ne suis pas obligé de l'accepter tout comme il n'est pas obligé de me pardonner du comportement odieux de Lindsay et mon manque de réaction par rapport à lui. Je me sens vraiment mal. À présent debout, je me dirige ou mon sac de cours est déposé. Le petit bureau parfaitement rangé semble le garder précieusement. Mais avant que je n'ai eu le temps de partir, je me sens poussé violemment dans le dos jusqu'à ce que mon bassin ne heurte la chaise placée devant moi. Furieux, je me retourne alors que le nouveau venu ferme tranquillement la porte, mettant la clé dans l'une des poches de son jean.

-"C'est quoi ton problème .!"
-"Mon problème ?! Tu te fous de ma gueule, Cyrile .! On passe un bon moment et je me fais sauter à la gorge par ta salope de meilleure amie !"

Ma main a été prête à le gifler mais ses doigts ont enserré mon poignet de telle façon à ce que ça me calme tout de suite... C'est douloureux, bordel !

-"N'essaie pas de la défendre ou de m'arrêter ! Parce que ça fait un moment que je retiens ma rage ! Je t'ai couru patiemment après en tentant de t'apprivoiser mais il faut toujours qu'elle soit là avec ses problèmes et toute la misère du monde ! J'en ai assez ! Plus qu'assez ! Et tu sais ce qui m'emmerde le plus ?!"

Sa fureur calme rapidement la mienne, un peu perdu, j'ai la bouche légèrement ouverte dans l'intention de lui répondre mais rien ne sort, alors je me contente de secouer la tête.

-"C'est que j'arrive pas à te sortir de ma tête ! Comme dans ces films clichés où le héros est dingue amoureux de sa belle demoiselle. J'arrive pas à oublier les moments passés ensemble. Ton rire. Ta façon d'être un peu à l'écart tout en m'invitant silencieusement à me rapprocher. Je... Je n'en peux plus, tu ne peux pas me faire tourner en rond indéfiniment. Je vais réellement finir à l'asile."

Le désespoir se lit sur ses traits et je m'en veux de le rendre ainsi. D'un mouvement plus doux, je l'incite à me lâcher le poignet, ce qu'il fit tout en reculant d'un pas.

-"Je suis désolé Jérôme. Je n'ai pas su réagir parce que j'estime que j'ai une dette envers Lindsay. Je suis incapable de me mettre contre elle. J'ai tellement peur de la perdre... Tu... T'ignore tellement de quel enfer elle m'a sorti..."

-"Je ne demande qu'à savoir, Cyrile... J'en ai marre de tous tes petits secrets..."

-"Tu en as tout autant..."

J'ai répondu en faisant la moue, l'histoire avec Jordan n'a pas encore été vraiment avalée et ma réaction lui fait lever les yeux au ciel.

-"D'accord. Je vais donc te la raconter ma fameuse histoire. Je connais Jordan depuis un paquet d'années comme je te l'ai déjà dit. On s'est rencontrés au collège parce qu'on était dans la même classe, mais au final, on a fini par se rapprocher que lorsque nous sommes entrés au lycée ensemble."
-"C'est quand même étrange, je ne me souviens pas de toi..."

Un léger sourire étire ses lèvres.

-"Même pas du gars avec son appareil dentaire et ses cheveux sans arrêt dégueulasse ?

Mes yeux s'écarquillent et je me recule avec une main devant la bouche complètement abasourdi, ce qu'il le fait rire.

-"Merde... Je n'aurais jamais pensé...
-"Ouais, c'était une catastrophe. Mes parents étaient en pleine période de divorce et je l'ai plutôt mal vécu. Tout ce qui me tenait debout, c'était mes livres, ma musique et Jordan."

Pendant quelques instants il ferme les yeux comme pour se rappeler de ces souvenirs peu joyeux.

-"..."

-"J'en étais dingue de ce mec. Depuis le collège je ne voyais que lui. Mais tu vois, lui c'était tout à fait autre chose. Le pur hétéro qui collectionne les jolies filles. Sauf que lorsqu'il est tombé sur Lindsay, c'est lui qui s'est fait prendre dans son propre piège. J'ai assisté à leur mise ensemble, à leurs disputes, j'étais toujours le gentil meilleur ami qui l'écoutait parler des heures de sa copine. J'ignore combien de sales coups, ils se sont faits. Jusqu'au jour où Lindsay l'a réellement trompé. J'ignore si j'ai été sa roue de secours ou la seule issue pour soulager sa douleur, mais le fait est que, je me suis laissé faire comme un idiot et on a fini par coucher ensemble. Le lendemain on a fait comme si de rien n'était, quand nous sommes retournés au lycée, Lindsay est venue s'excuser et lui faire les yeux doux, du coup, pas besoin de préciser que je suis seulement resté le bon pote à nouveau. Après ce coup dur, j'ai fait en sorte que mes parents me changent de lycée, je voulais m'éloigner de tout cela et ça a fonctionné. On se voyait toujours mais moins souvent avec Jordan et mes sentiments à son égard se sont dissipés petit à petit. J'ai rencontré un autre ami qui m'a ouvert les yeux et qui m'a fait évoluer comme jamais je n'aurais cru."

Il se désigne avec ses mains et je ne peux m'empêcher de me mordre légèrement les lèvres. J'ai presque envie de lui dire à voix haute à quel point je le trouve beau, mais je résiste.

-"Hermès a été le plus formidable des amis. Et pourtant, il en a bavé aussi."
-"Hermès ? L'Hermès de Salomé ?"
-"Oui. Lui-même."

J'ai un peu de mal à imaginer ce géant capable de communiquer avec les autres, mais c'est vrai que j'ai tendance à rapidement me faire un avis alors que je ne connais pas la personne.

-"Donc, en fait, on se connaît depuis plus longtemps que ça, je n'aurais jamais pensé que ce type c'était toi."
-"Ouais... Toi, t'avais la réputation d'être le petit chien de Lindsay..."
-"Elle n'est pas si monstrueuse que ça..."

Replaçant une mèche de cheveux derrière mon oreille, je repose mes yeux sur lui et je finis par soupirer longuement.

-"Je ne te force à rien... Je te demande juste de ne plus me repousser..."
-"Non Jérôme, il faut que je te dise tout pour qu'on puisse avancer. J'en crève d'envie de cette histoire avec toi mais je suis mort de peur..."

Ma voix tremble à cause de mes sanglots et je me retiens de fondre en larmes de toutes mes forces.

-"Ça va aller ?"
-"Ouais... J'ai... Je connais Lindsay depuis qu'on est bébé. Mes parents sont très amis avec les siens. On ne s'est jamais lâché, on a juste évolué différemment. J'ai toujours été un garçon extrêmement timide et si elle n'avait pas été là, je pense que j'aurais été écrasé par un nombre incalculable de gens. Quoi qu'on puisse dire, elle m'a toujours défendu comme une lionne, malgré le fait qu'elle n'est pas toujours très tendre avec moi. De plus, elle n'a jamais eu de maman, Alexandra est morte en donnant la vie à sa fille. Une chose dont Lindsay s'est toujours sentie coupable et j'étais le seul à lui faire comprendre que non, ce n'était pas le cas."

-"Je vois..."

Doucement, je lui prends la main pour l'inviter à s'asseoir dans le canapé.

-"Mon père était un homme fabuleux, je n'avais d'yeux que pour lui. On était vraiment très proche avec lui et ma mère. On nous appelait la "famille bonheur". J'avais treize ans quand il a fait sa crise cardiaque. Une blessure qui se referma sans doute jamais. Ma mère a tenté de tenir bon pour nous deux, mais l'absence de mon père m'a plongé dans une dépression des plus dévastatrices."

Honteux, j'inspire avant de lever les manches de mon sweet-shirt pour lui montrer les longues cicatrices qui courent de mes poignets jusqu'à mes avant-bras. Le baiser qu'il y dépose brise la dernière barrière et mes larmes coulent toutes seules.

-"Ne te force pas..."
-"À seize ans... J'ai rencontré mon premier petit ami. Le bad boy a l'état pur. Piercings, tatouages tout ce dont j'avais besoin pour m'évader de cette douleur infernale. J'étais naïf, stupide avec l'esprit d'un adolescent rebelle et lui, ce n'était qu'un manipulateur avec deux ans en plus que moi. Ma douleur, ça le fascinait. Raison de plus pour m'entraîner sur les chemins les plus tordus que tu puisses imaginer. J'ai bu, prit de la drogue et fait des choses que tu n'imagines même pas..."
-"Owh..."

Je baisse la tête, n'osant pas affronter son regard.

-"Jusqu'au jour où la soirée a mal tournée. Ambroise était le roi des menteurs, il avait réussi à embobiner ma mère et à lui faire croire que c'était un gentil garçon. Mais cette soirée là... La dose à été trop forte. Je l'ai vu commencer à convulser dans son lit et comme un salaud, je me suis échappé par la fenêtre en le laissant là non sans avoir appelé les secours... Le lendemain, les journaux parlaient d'un garçon décédé à cause d'une overdose de drogue. Non seulement, je venais de perdre mon petit-ami, mais je n'ai pas pu assumer nos conneries. A partir de là, la chute aux enfers s'est empirée. J'ai fait quatre tentatives de suicides et à chaque fois Lindsay est arrivée à temps, j'ai suivi des thérapies plus nulle les unes que les autres. J'ai passé un mois dans un centre spécialisé et au final, je suis juste devenu un petit robot qui obéissait à tout ce qu'on lui disait. Quand je suis sorti de là, j'ai demandé à ma mère de me laisser habiter seul dans l'appartement que mon père avait acheté avant qu'ils se mettent ensemble. Elle a accepté à une condition, que je l'appelle tous les jours et qu'elle possède un double des clés. Au départ, Lindsay est venue habiter avec moi les premiers temps, elle m'a aidé à passer mon bac en cours du soir et m'a encouragé à faire des études dans l'art parce que mes dessins valaient le coup d'approfondir la technique. T'imagines pas à quel point, elle a été ma sauveuse. La vie est devenue moins difficile à porter parce qu'elle a voulu porter mes chaînes avec moi. Alors oui, elle a un caractère de chien et c'est une enfant capricieuse, mais la meilleure des amies."

Ma lèvre inférieure est meurtrie à force de la mordre et mes larmes ne semblent pas vouloir cesser. Tendrement, je me sens attiré dans ses bras et j'éclate en sanglots, mes doigts agrippent son tee-shirt tandis que les siens caresse doucement mes cheveux encore humides par la douche prise plus tôt.

-"Malgré tout, Cyrile. Je t'aime encore."