Auteur : Camille Dit Yomika

Relecture : Dawn (merci pour ton temps)

Correction : PAS DE CORRECTION ORTHOGRAPHIQUE

Genre : fantasy- romance- licorne garou-mpreg

Longueur : 75 000 mots - Nombre de Chapitres : 16


Petit mot de moi à vous : Bonjour à tous et à toutes ! Je suis vraiment heureuse de vous présenter ce texte, mais je vais faire un petit warning de licorne. Il est à lire comme on regarde un téléfilm de noël. C'est une histoire d'Amour avec un grand A :D, sans prise de tête. Il fait suite à un défi sur les licornes-garou.

J'ai fait le choix de ne pas le faire corriger car j'ai envie de me consacrer à d'autre projets (la correction prend du temps et me donne l'impression d'exploiter des amis XD ). Si vous vous décidez à le lire vous êtes prévenu, il y aura des fautes !

Je vous souhaite une excellente lecture en compagnie de Damon et Adrias !

Petit mot pour toi Aur : Joyeux anniversaire ! Un jour, j'arriverais à te faire aimer les licornes, je ne désespère pas.


Chapitre 01

Les oiseaux pépièrent, relayant leur chant jusqu'à lui. Ils lui indiquaient sa venue, celle de l'homme qui, depuis une semaine, pénétrait tous les jours dans sa forêt. S'étirant, Damon baya et se leva, rejetant ses cheveux qui le couvraient et lui servaient de couverture. Trouver l'homme était simple, il suffisait qu'il rejoigne la tribu de Juna.

Il ne savait pas pourquoi il ne l'avait pas encore chassé de ses terres, se contentant de se percher dans les arbres pour observer son manège. Il s'était pris à attendre ce moment. Voir l'homme essayer d'attraper Juna était un spectacle terriblement amusant. À chaque nouveau jour, une nouvelle technique et un nouvel échec.

Hier, l'étalon lui avait soufflé dessus, mécontent qu'il prenne les tentatives de l'homme à la légère, mais Damon savait que Juna était aussi amusé que lui. Il avait pris pour défi personnel les tentatives de l'homme à l'attraper. Il n'était pas un de ces chevaux de prairie qu'on pouvait amadouer facilement à l'aide de sucreries et de caresses. Il était Juna, chef de la tribu des chevaux et premier serviteur de la licorne, de Damon.

Silencieusement, la mousse s'épaississant sous ses pas, Damon traversa sa forêt et trouva facilement l'homme. Il était bruyant, moins qu'un humain ordinaire, mais les branches craquaient sous son poids et son souffle se mélangeait mal à la symphonie du vent. Le suivre était d'une facilité déconcertante.

Il marchait dans ses pas, disparaissant derrière le feuillage quand l'homme se retournait et fixait la forêt, conscient d'être suivi. Damon devait admettre que l'homme avait une bonne intuition. Plus d'une fois, alors que son attention était tournée vers les soucis mineurs de sa forêt, l'homme avait failli le voir. Caressant les jeunes pousses qui s'agitaient, excitées par sa présence, Damon répara celles que l'immense homme avait brisées par inadvertance sur son passage

C'était un grand humain, un colosse de muscles. Il semblait n'être fait que de ça. Damon plaignait la pauvre bête qui lui servait de monture et qui devait porter ces kilos de puissance. Habillé d'une chemise et d'un pantalon en peau, l'homme respectait les règles de Damon, ne dégainant jamais l'épée pendue à sa ceinture.

— Je sais que vous êtes là ! cria soudain l'homme excédé, en se retournant. Montrez-vous !

Les oiseaux s'envolèrent, effrayés par sa voix forte aux tonalités graves et vibrantes. L'homme tourna sur lui-même, le regard dur, scrutant la forêt à la recherche de ce qui le suivait. Mais il n'aperçut rien. Si Damon ne voulait pas être trouvé, ni hommes ni bêtes ne le verraient.

— Au nom de la licorne ! s'agaça-t-il en crachant. Je sens votre présence chaque fois que j'entre dans cette forêt. Pourquoi me suivez-vous ?

L'homme resta sur ses gardes un bon moment avant de renoncer et de reprendre sa chasse. C'était un bon pisteur. Il réussissait à lire dans la terre le passage des animaux et arrivait même à reconnaitre l'empreinte du sabot de Juna au milieu de ceux de sa tribu.

Aujourd'hui, Damon ne comprenait pas où l'homme voulait en venir. Il tournait en rond, repassant plusieurs fois à des endroits avant de repartir dans le sens inverse et de revenir à son point de départ.

Intrigué, Damon regarda l'homme s'arrêter devant divers bosquets de baies rouges et les examiner avec intention. Il étudia le sens du vent avant d'en choisir un et de monter à l'arbre contre lequel s'appuyait le buisson vénéneux.

Une fois en place sur une des branches les plus hautes, l'homme ne bougea plus. Les yeux fermés et la respiration lente, il aurait presque pu paraitre endormi, mais sa main trahissait son éveil. À chaque bruit d'animal, ses doigts s'animaient d'un léger mouvement.

Luttant contre son envie de s'approcher pour observer cet humain qui l'intriguait tant, Damon se força à garder ses distances. Les oiseaux curieux n'eurent pas ses scrupules. Se perchant sur les branches alentour, en bonnes commères qu'ils étaient, ils jacassèrent bruyamment sur son étrange curiosité pour un simple humain. Ils trouvaient son intérêt fascinant et nouveau. Il était rare que la licorne s'intéresse à autre chose qu'aux soucis de la forêt.

Leur lançant un regard sévère, que les oiseaux ignorèrent effrontément, Damon s'installa sur un épais tapis d'herbes, à l'abri du regard de l'homme. Le soleil, qui était à son zénith, eut le temps d'amorcer une bonne partie de sa décente avant qu'il ne se passe quelque chose. Les oiseaux, lassés de l'inaction de la scène, étaient pratiquement tous partis à la recherche d'un meilleur divertissement.

Alors que Damon allait s'endormir, ennuyé par cette observation oiseuse, le bruit de sabots attira son intention. C'était le pas de Juna. Il le reconnaitrait en tous, léger et sûr de lui. Écartant silencieusement le branchage qui avait poussé autour de lui pendant son attente, il observa l'étalon approcher.

Le vent arrivant dans son dos rendait Juna inconscient de la présence de l'homme au-dessus de ses oreilles. Tranquillement, avec cette arrogance qui caractérisait tant le chef de la tribu, il trotta enthousiaste jusqu'au buisson de baies rouges. Détendu, la queue battant joyeusement, Juna écarta du museau les feuilles venimeuses pour atteindre les baies juteuses cachées dessous.

Damon étouffa son rire en comprenant enfin le manège de l'homme. Il était astucieux. Au lieu de chasser Juna, l'homme avait laissé l'étalon venir à lui, pariant que sa gourmandise diminuerait sa méfiance. Et il avait raison, Juna n'était jamais aussi inattentif que quand il mangeait. La tête plongée dans le buisson, il ne remarqua pas l'humain bouger au-dessus de lui.

Perché sur branche, l'homme s'était redressé. Accroupi dans un équilibre précaire, il était prêt à sauter sur sa croupe. Son plan aurait sans doute marché si Damon, prenant en pitié son plus vieil ami, n'avait pas demandé à l'arbre de secouer ses feuilles dans une mise en garde sonore. Âgé et grognon, l'arbre s'étira de mauvais gré, attirant de justesse l'intention de l'étalon.

Hennissant, d'un bond, Juna se décala, évitant in extremis l'homme qui, sentant la situation lui échapper, s'était élancé. Damon ne put retenir un rire. Il ne savait pas de qui il se moquait le plus. De l'expression outrée de son vieil ami ou de l'homme qui, loupant sa cible, s'était rattrapé dans une roulade maladroite et grotesque.

D'un coup, l'intention de l'homme ne fut plus sur l'étalon, mais braquée sur lui. Il l'avait entendu rire. À travers le feuillage, ses yeux rencontrèrent les siens et, pour la première fois, Damon en nota leur teinte brune piquetée d'or. L'instant s'étira dans une temporalité éternelle. Le soleil arrêta sa course vers l'horizon et la forêt cessa de chanter la fatigue des oiseaux.

Ni lui, ni l'homme, ne bougeaient, bloqués dans le regard de l'autre. Son souffle s'accéléra et les arbrisseaux à ses pieds s'agitèrent répondant inconsciemment au rythme plus rapide de son cœur. Puis, Juna hennit faisant trembler la terre et les arbres, brisant brutalement le statu quo.

— Attend ! cria l'homme alors que Damon reculait précipitamment, avant de se retourner et s'enfuir.

L'homme n'hésita pas, s'élançant derrière lui.

Dans sa hâte, manquant trébucher sur une bûche morte, Damon entendit le hennissement moqueur de Juna. Maintenant, c'était lui la proie ! Damon l'insulta entre ses dents, maudissant ses ancêtres d'avoir mis au monde un tel âne. La prochaine fois que cet idiot de canasson sera en difficulté, aucun doute qu'il le laisserait se débrouiller. Tant pis si un humain en surpoids de muscle lui cassait le dos.

Bien plus agile que ce que son corps massif laissait deviner, l'homme le suivait de bien trop près avec aisance. Dans son dos, Damon l'entendait jurer alors que les arbres, inquiets de ce qui se passait, baissaient au maximum leurs rameaux pour faire barrage.

— Je ne te veux pas de mal, je… Nom d'une corne cassée ! C'est quoi cette forêt ? s'exclama l'homme en se prenant une branche en plein visage.

Damon continua de courir, jetant à peine un regard en arrière. Il remonta ses cheveux qui le gênaient, râlant contre leur longueur qui descendait plus bas que ses pieds. Il aurait été plus rapide sous sa forme équine, mais le risque que l'homme assiste à sa métamorphose était trop grand.

Bien qu'elle soit morte près d'un millénaire auparavant, s'il avait oublié son visage, Damon se souvenait parfaitement de ses paroles : personne ne doit assister à ta transformation. C'était dangereux de laisser les Hommes connaitre le visage de ses deux corps, un péril pour la forêt.

Damon accéléra, bondissant plus qu'il ne courrait, sautant de rochers en troncs d'arbres couchés. Loin de décourager l'homme, celui-ci augmenta ses foulées allant jusqu'à se défaire de son épée pour alléger sa course. Entre ses grognements frustrés et ses respirations de plus en plus rapides, il le suppliait de s'arrêter, lui jurant qu'il ne désirait rien d'autre que discuter.

Enfin, Damon commença à le distancer, sa course facilitée par la nature s'écartant révérencieusement de son chemin. Se précipitant vers le grand ravin, il dérapa devant l'Ancêtre et supplia l'arbre séculaire de le cacher entre l'entrelacement de ses racines extérieures. Là, bien avant sa naissance, ses ramifications parcouraient pratiquement toute la terre de son domaine. Certains de ses rhizomes étaient aussi épais que la cuisse d'un homme et bien plus solides que la pierre.

Comme tous les vieux arbres, il était grincheux et indolent. Récalcitrant, l'arbre fit la sourde oreille à la demande désespérée de Damon, feignant le sommeil. Exaspéré, réprimant son envie de secouer ses branches, Damon retint son mouvement d'humeur avant qu'il n'aggrave la susceptibilité de l'Ancêtre. S'énerver contre le vieil arbre n'avait jamais servi à rien. Plus il vieillissait, plus l'immense résineux se perdait dans ses années d'expériences, oubliant, ou ne cherchant pas vraiment à se rappeler, qu'il devait respect et obéissance à la licorne.

Usant de cajoleries, Damon lui assura qu'il était le plus fort des arbres, le seul à même d'assurer sa protection, jusqu'à ce qu'il accepter d'ouvrir l'antre protecteur de son écorce. Se jetant sous sa souche. Damon se recroquevilla au cœur de l'arbre, ramenant précipitamment sa longue chevelure contre lui alors que la terre portait le pas de l'homme tout près.

À peine l'Ancêtre avait-il rabattu ses racines que l'homme déboula au bord du ravin. S'arrêtant de justesse, il manqua de chuter, son corps vacillant d'avant en arrière avant qu'il ne recule d'un pas salvateur. Les mains sur les genoux, soufflant comme un bœuf, il paraissait exténué par la course. Qu'il ait réussi à le suivre aussi longtemps était une prouesse. Bien que plus lent sur deux jambes que sur quatre pattes, Damon pouvait se joindre à la course nocturne des loups sans être distancé.

Rampant silencieusement entre les racines de l'Ancêtre, il suivit les déplacements de l'homme, sa vision hachée par les nombreux tubercules.

— Que le soleil ne se lève plus jamais ! jura l'homme, haletant, regardant à droite puis à gauche avant de se pencher par-dessus le ravin.

Une pente à l'inclinaison dangereuse descendait jusqu'à la rivière en contre bas. L'homme scruta un long moment le tumulte de l'eau, et ses impressionnants bouillonnements, avant de soupirer et de s'éloigner du bord. Rien ne pouvait survivre à une telle chute.

D'un geste énervé, il dégagea de son front les longues boucles noires collées à sa peau par la sueur. Défaisant les boutons qui fermaient son col, il tira brusquement dessus pour dégager son cou qui enflait dangereusement à chacune de ses inspirations. Sa chemise était déchirée et marquée d'immenses auréoles, laissant deviner par transparence une toison sombre. Elle recouvrait son torse et, à présent, dépassait de son encolure ouverte.

— Je sais que tu es encore là… souffla-t-il en tournant sur lui-même, les mots hachés par l'effort de la course.

L'homme inspira profondément pour retrouver une respiration plus lente et ajouta, joueur :

— J'aime les défis, je finirais bien par te trouver.

Damon faillit grogner de dédain. Si l'homme avait réussi à le surprendre et à le courser, il n'était pas prêt de lui mettre la main dessus. Il était la licorne après tout, le protecteur de la forêt. En plus de mille ans d'existences, aucun humain n'avait jamais réussi à l'attraper.

Damon le regarda faire de grands cercles en fixant le sol, ses épais sourcils froncés par la concentration. S'accroupissant, l'homme caressa des doigts la légère empreinte que Damon avait laissée dans sa précipitation et un sourire victorieux étira ses lèvres.

— Tu es bien passé par ici et tu n'es pas très loin.

Suivant sa piste, il avança jusqu'à l'Ancêtre forçant Damon à reculer plus profondément dans le cœur de l'arbre. Pratiquement allongé, les genoux repliés contre son torse, Damon fixait les semelles de cuir qui piétinaient juste devant lui. Elles faisaient des allers-retours et, plus d'une fois, son cœur manqua un battement quand l'homme se baissait pour vérifier une de ses empreintes. S'il se penchait un peu plus, il finirait par le voir.

Portant une main à son front pour se protéger du soleil couchant qui perçait le feuillage, l'homme leva la tête et chercha Damon dans la hauteur de l'arbre. Il fit le tour de l'immense tronc avant de revenir à son point de départ.

— Pas en haut, souffla-t-il pour lui-même, alors peut-être…

Damon lâcha un souffle quand l'homme s'agenouilla, posant la tête contre les racines pour inspecter l'intérieur sombre. Son regard rencontra une nouvelle fois le sien et un sourire victorieux éclaira le visage de l'homme.

— Trouvé ! Au nom de la licorne, comment as-tu réussi à te glisser là-dedans ?

Personne ne l'avait jamais trouvé. Aucun humain ne l'avait approché de si près. Ce n'était pas possible ! Il était la licorne. Le cœur insaisissable de la forêt !

Damon respirait trop vite, il se sentait pris au piège, angoissé par la main que lui tendait l'humain. Il avait l'impression que si leurs peaux se rencontraient, il se passerait quelque chose. Il ne savait pas quoi, mais il savait. Le comportement de l'homme n'avait rien d'agressif, mais Damon ne pouvait s'empêcher de voir dans ses doigts, à quelques centimètres des siens, une menace. Il pouvait presque le toucher. Aucun humain ne l'avait jamais touché !

Attentive à ses peurs, son malaise passa dans la forêt et celle-ci se réveilla. Les arbres secouèrent leurs branchages et les animaux firent entendre leur soutien en de multiples cris d'alarme. De calme, la forêt était passée à furieuse et menaçante. Alors que l'Ancêtre soulevait ses épaisses racines, sortant de son apathie pour protéger la licorne, une nuée d'oiseaux fonça sur l'homme pour l'éloigner de leur gardien.

Reculant précipitamment, pris par surprise, l'homme buta contre une racine et trébucha en arrière. Il était bien trop près du bord, s'il reculait encore d'un pas…

— Non, cria Damon en sortant du cœur de l'arbre, tendant la main pour agripper celle de l'homme.

Mais c'était trop tard. L'homme fit ce dernier pas et bascula. Figé, Damon regarda le colosse disparaitre, avalé par le vide. Il entendit l'éboulis de pierre et de terre qu'il entraina dans sa chute. Le son dur d'un corps perçant les profondeurs tumultueuses de l'eau arrêta son cœur.

Damon se précipita à l'orée du précipice. Tombant sur ses genoux, ses doigts accrochèrent le bord du ravin, ses cheveux glissant dans le vide alors qu'il se penchait pour regarder la rivière. Il avait toujours trouvé l'impétuosité de l'eau merveilleuse, mais là, les reflux qui frappaient la roche et le courant rapide lui donnaient la nausée. Son tumulte sauvage résonnait bruyamment à ses oreilles, presque aussi fort que les battements frénétiques de son cœur.

Il n'avait pas voulu ça. Jamais. Ses émotions lui avaient échappé. Connecté à la forêt, elle avait réagi à sa détresse.

Fouillant le torrent des yeux, Damon voyait dans chaque bout de bois flottant le corps de l'homme emporté par les flots. Il allait faire appel au loup pour draguer les bords de la rivière à sa recherche, quand un mouvement juste en dessous de lui attira son intention.

Le soulagement qui le traversa le prit par surprise. L'homme était là ! En vie, à quelques mains de lui, accroché aux racines de l'Ancêtre. Grognant, il tentait de trouver un appui sur lequel poser ses pieds. La terre meuble se défaisait sous son poids et des mottes roulaient de façon inquiétante jusqu'au lit du torrent.

Quand les cheveux de Damon tombèrent sur le visage de l'homme, celui-ci leva la tête, son inquiétude remplacée par la stupéfaction. Il arrêta de tenter de remonter, se contentant de rester figé et de le dévisager, pendu dans le vide. L'homme ouvrit et ferma la bouche avec l'efficacité d'un poisson pour finir par sortir un son quelque part entre un bruit de gorge et une exclamation.

— Tu n'es pas parti, finit-il par réussir à articuler.

Il aurait pu, mais il ne l'avait pas fait. Damon secoua la tête et remonta ses cheveux. Il hésita quelques secondes avant de lui tendre une main mal assurée. C'était de sa faute si l'homme était dans cette position, c'était à lui de l'en sortir, mais l'homme refusa son aide.

— Hors de question. Je suis trop lourd, je risquerais de t'entrainer avec moi, grogna-t-il en tentant de remontant à la seule force de ses bras.

Agacé, Damon claqua de la langue et secoua sa main pour signifier à l'homme de la saisir. Il était assez fort pour eux deux.

— Non. Je ne mettrais pas ta vie en danger.

Stupide humain ! Damon allait s'énerver contre ce colosse trop têtu pour accepter son aide, quand un bruit de bois fendu les prit par surprise. Avant qu'il ne comprenne ce qu'il faisait, Damon s'était jeté au sol et avait attrapé le poignet de l'homme, juste à temps pour lui éviter une chute mortelle. Trop fragiles, pas faites pour supporter les kilos du géant, les racines servant de prises s'étaient rompues. Elles ricochèrent sur la pente terreuse avant de disparaitre englouties par la rivière.

Damon crut que son bras allait être arraché. Grognant, les dents serrées, il lutta pour ne pas être emporté par le poids de l'homme. Il pesait plus lourd qu'un cheval ! Allongé, son épaule passée par-dessus le bord du ravin, il n'avait aucune prise pour le remonter.

Quand l'homme agrippa son poignet des deux mains, des frissons partirent des doigts de Damon et remontèrent jusqu'à sa nuque. Secouant la tête, il refoula les étranges sensations. D'un regard qui ne souffrait d'aucune protestation, Damon ordonna à l'homme de prendre appui sur lui pour remonter. Chaque fois que le colosse posait ses mains plus haut sur son bras pour se hisser, les curieux picotements s'intensifiaient.

Enfin, l'homme rejoignit le bord du ravin et s'y accrocha, soulageant Damon de son poids. L'attrapant sous les épaules, Damon le tira loin du fossé, là, où il ne risquait plus de se rompre le cou. Dans le mouvement, ils roulèrent ensemble et Damon se retrouva coincé sous le puissant corps de l'homme.

Leurs visages étaient à moins d'une main l'un de l'autre. Damon pouvait sentir sur ses lèvres s'écraser le souffle chaud de l'homme. Il pouvait presque l'avaler. Il gonfla fort ses poumons, sûr de manquer d'air. Mais il ne manquait pas d'air, il respirait, il inspirait la senteur épicée de l'homme. L'odeur de sa sueur lui piqua agréablement les narines. Il sentait bon. Pas une odeur de pin, ni de fleur, mais celle unique de l'homme. De cet homme.

Alors qu'il aurait dû chercher à fuir, à se dégager, il leva la tête et laissa son nez glisser le long du cou de l'homme. Un grognement, proche d'un gémissement échappa à l'humain alors qu'il fermait les yeux et se mordait les lèvres. Il rouvrit les paupières uniquement quand Damon laissa sa tête retomber dans l'herbe souple, enivré de son parfum.

— Tu es un homme.

Son affirmation était presque une question.

Avec une lenteur qui lui aurait laissé tout le temps de reculer, du dos de sa main, le colosse caressa sa joue. Le frôlement fit naître une puissante faim au creux de l'estomac de Damon et il poussa son visage contre sa paume.

— Tu es tellement beau, souffla l'homme émerveillé. Tu parais presque irréel.

Du doigt, il dessina les contours de ses lèvres.

— Est-ce que je peux ?

Damon ne savait pas quelle autorisation l'homme demandait, mais à cet instant, il était prêt à toutes les lui donner. Il ne voulait pas qu'il cesse de le toucher, il trouvait cela bien trop agréable.

Quand des lèvres se posèrent sur les siennes, tout son corps se mit à trembler. Lui, la terre...

Le vent se leva, agitant rageusement les feuilles des arbres avec la même fureur que la satisfaction bousculait son corps. Il n'avait jamais rien ressenti d'équivalent. Jusque là, il croyait savoir ce qu'était la joie, mais il se trompait. Il aimait la sensation de l'herbe sous ses pieds, fouler la forêt au côté de Juna, courir avec la tribu, mais ça… C'était au-delà de ses amours. C'était plus fort, ça le brûlait de l'intérieur. C'était nouveau, grisant.

Il voulait plus et l'homme le lui donna en ouvrant ses lèvres de sa langue pour venir à la rencontre de la sienne.

Damon gémit, se cambra, secoué par cette intimité. Une lave brulante partit de sa bouche et descendit lentement son œsophage, remplissant lentement son ventre d'une exaltante chaleur. Le monde bascula, la forêt réduite uniquement à l'herbe écrasée sous le poids de leurs corps enlacés. Des mains vinrent se perdre dans ses cheveux, tirer légèrement dessus, lui arrachant de nouveaux soupirs.

Le baiser dura, s'éternisa, se prolongea jusqu'à ce que l'homme recule pour prendre une grande inspiration. Damon suivit le mouvement, il voulait se contact, il voulait…

Un hennissement puissant le sortit de sa transe. Juna se cabra et frappa le sol juste à côté de leurs têtes en avertissement. D'un bon, l'homme se redressa, tirant Damon, le mettant à l'abri dans son dos. Juna souffla furieux, ses oreilles en arrière et son sabot grattant frénétiquement la terre. Il se cabra une nouvelle fois et quand il retomba, sa colère secoua le sol.

Juna était troublé, inquiet de voir un homme toucher si librement la licorne. Il n'aurait pas dû. Il ne comprenait pas comment, ni pourquoi. Pourquoi Damon se laissait toucher par un humain.

Agité, l'étalon souffla, lui demandant ce qu'il faisait. Damon n'avait pas de réponse. Il ne savait pas. Le baiser l'avait submergé et engloutit sa raison. Encore maintenant, il éprouvait ce besoin de le toucher, de le sentir, de passer ses doigts dans les boucles noires qui couvrait la poitrine de l'homme. Elles avaient l'air si douces…

— Tranquille ! murmura l'homme d'un ton dur et ferme qui ne convainquit absolument pas Juna.

L'étalon hennit, baissant la tête, prêt à mordre. Avant que la situation dégénère, que Juna attaque pour le défendre, Damon contourna l'homme qui tenta de le retenir.

— Attention ! Il est…

L'homme ne finit pas sa phrase, sidéré par Damon flattant tranquillement l'encolure de l'étalon.

Damon frotta sa joue contre les naseaux de Juna. L'étalon éternua, secouant sa crinière, importuné par l'odeur humaine mélangeait à celle de Damon. Mécontent, l'étalon mâchonna ses cheveux jusqu'à ce que Damon le réprimande d'un claquement sec de la langue. Montant sur son dos, il jeta un dernier regard à l'homme qui s'avançait vers lui.

— Attends…

Il n'attendit pas. Juna s'emballa et l'éloigna de l'humain au galop, la forêt se refermant derrière eux.

oOo

L'être blanc avait disparu sur l'immense étalon, le laissant en plan avec une érection inconfortable. Il n'arrivait pas à croire ce qu'il venait de se passer, Adrias avait encore la sensation de ses cheveux emmêlés entre ses doigts, de la présence frêle sous son corps.

Bon sang de licorne ! Il avait perdu la raison. Il avait embrassé un être de la forêt et si l'étalon n'était pas arrivé, il était à peu près sûr qu'ils seraient allés plus loin. Dès qu'il avait croisé ce regard d'un bleu délavé, tout lui avait échappé. La course, le besoin frénétique de le trouver, de le toucher, de… Ce n'était pas lui. Il n'agissait pas comme ça d'ordinaire, sans réfléchir, simplement à l'instinct et surtout avec si peu de tact. Même s'il était moins doux avec les hommes, il n'avait jamais été si audacieux. Sans hésitation, sans même les présentations d'usage, il l'aurait pris sur ce tapis d'herbes, bousculé par l'envie animale de le posséder.

Un feu chaud et destructeur l'avait pris aux tripes, la beauté de l'être lui faisant perdre la raison. Il n'avait jamais rien vu d'aussi magnifique que la créature qu'il avait enlacée. S'il avait l'apparence d'un homme, tout le désignait comme un être mystique de la forêt.

Adrias passa sa main sur ses lèvres se remémorant leur baiser. Si son visage était fin et délicat, sa bouche, elle, avait été rude et avide, pleine de passion. Comme le reste de son corps, elle était à peine colorée. Si sa peau, légèrement rosée, avait l'étrange brillance de la nacre, le plus surnaturelle restait son immense chevelure. Couvrant son corps comme un voile de soie, elle était d'une blancheur éclatante et d'une finesse incommensurable. Adrias ne connaissait aucune étoffe qui approchait, même de près, cette extraordinaire douceur.

Il voulait le retrouver. Non, la vérité était qu'il en avait besoin. Tentant de suivre la piste de l'étalon sur plusieurs kilomètres, il dut renoncer quand le soleil devint si bas qu'il n'y voyait pratiquement plus rien. Retrouver son épée lui prit du temps et quand, enfin, il rejoignit l'orée du bois, il faisait pratiquement nuit. Jetant un dernier regard un arrière, le ventre serré par cette rencontre, il retrouva les deux gardes qui, sur ses ordres, l'avaient attendu patiemment toute la journée.

Assis sur des rochers, ils se levèrent précipitamment pour se mettre au garde-à-vous quand ils l'aperçurent arriver entre les herbes hautes.

Malgré le regard surpris que les deux soldats échangèrent, aucun ne mentionna son aspect dépoitraillé, bien trop soulagé de le voir revenir sain et sauf. Ce n'était pas eux qui retourneraient au campement, seuls, avec le devoir d'annoncer la disparition de leur futur souverain.

— Nous étions inquiets, mon prince, le salua respectueusement un des deux hommes en lui tendant sa monture et la couronne de bois qu'Adrias lui avait confiée.

Il n'aimait pas cet accessoire. Il n'avait jamais réussi à s'habituer au poids du bijou en olivier. La couronne pesait lourdement sur sa tête, attendant le jour où elle serait couverte d'or, le métal du roi. Depuis la mort de son père, ses conseillers le pressaient de choisir un ou une compagne et d'ainsi remplir toutes les conditions nécessaires pour accéder définitivement au trône. Même s'il en remplissait déjà toutes les fonctions, tant qu'il ne serait pas marié, il ne serait pas souverain.

Le retour, seulement éclairé par les torches des gardes, fut lent et quand ils arrivèrent au campement installé aux portes du château de Sax, le repas et l'alcool étaient déjà bien entamés. Des jeunes palefreniers trop enthousiastes se précipitèrent vers eux pour récupérer leurs chevaux. Avant qu'Adiras ait pu les mettre en garde contre le mauvais caractère de sa monture, il avaient disparus avec les chevaux.

Saluant les soldats sur son chemin, Adrias rejoignit ses quartiers où l'intendant l'accueillit d'un simple hochement de tête, tout en sermonnant sévèrement quelques pauvres serviteurs. Dès qu'il atteignit son pavillon, Adrias releva de leurs fonctions les deux gardes qui le suivaient toujours, tandis qu'une des sentinelles en faction à l'entrée de son logement soulevait l'auvent.

Alors qu'il n'avait qu'une envie, celle de s'écrouler sur son lit, il soupira en voyant Yura confortablement affalé sur son trône un verre de vin à la main. Plus guindé, Bahjan était assis sur un fauteuil, mais ne fit pas plus mine de se lever à son entrée.

Les deux hommes fixèrent sa tenue déchirée sans la commenter, avant d'échanger un regard entendu.

— Le trône te plait, Yura ? demanda Adrias en allant se servir son propre remontant, une des liqueurs les plus fortes du royaume.

— Nous nous demandions justement à qui il reviendrait si la forêt avait décidé de vous avaler.

— Aimerais-tu t'assoir définitivement dessus ?

Étant son cousin germain le plus proche, Yura était le prochain héritier s'il venait à disparaitre.

— Avoir toutes les responsabilités et être à peine plus riche qu'un haut noble ? Certainement pas. Je vous laisse le plaisir des décisions, et me contenterais de jouer à la guéguerre dans votre ombre, mon valeureux prince.

Adrias grogna, levant les yeux au ciel face au ton plein de dérisions. Yura ne lui avait jamais montré la déférence que sa naissance lui octroyait et c'était une des raisons pour lesquels il l'avait nommé chef de ses armées. Il aimait devoir se battre pour obtenir le respect de ses hommes, encore plus de ceux pour lesquels il avait des égards.

Yura le défia un peu plus en restant assis sur son trône, mais finit par se relever et aller chercher un fauteuil qu'il traina bruyamment jusqu'à eux.

— Par toutes les fausses cornes ! s'énerva Bahjan. Levez donc cette chaise, avant que vous ne la cassiez et que vous gâchiez les milliers de cestaires qu'elle a coutés !

Adrias laissa ses deux plus proches conseillers s'insulter quelques minutes avant d'intervenir.

S'ils avaient tous en commun l'approche de la trentaine, il n'y avait pas plus opposé que ces deux hommes. L'un était aussi sobre de caractère que l'autre était exubérant. Si on n'entendait jamais parler de Bahjan, qui gérait le moindre cestaire du royaume, les frasques de Yura étaient presque devenues anecdotiques tellement elles étaient nombreuses. La moitié de la cour était passée dans son lit et seuls ses soldats étaient à l'abri de ses intentions dénouées de toutes subtilités. Même leurs tenues les opposaient. Yura se moquait sans cesse du costume officiel noir que Bahjan portait en toute occasion, tandis que le comptable reprochait au chef des armées les sommes ahurissantes qu'il déboursait pour son vestiaire.

La dispute prit fin quand des servantes envoyées par l'intendant entrèrent chargée de plateaux de nourriture. Yura eut l'air plus intéressé par les formes des femmes que par le repas qu'elles leur servirent et Bahjan le remit à sa place d'une remarque humiliante, suintante de sarcasme. Avant que leurs disputent reprennent, Adrias les lança sur un autre sujet que leur discorde.

— Des nouvelles du noble Sax ?

Bahjan et Yura se rembrunirent aussitôt.

— Votre refus d'épouser sa fille est toujours un sujet sensible.

Adrias soupira. Comme tous les nobles possédant une parcelle de terre, Sax lui avait proposé la main de son enfant et comme tout noble, son refus l'avait vexé. Depuis la mort de son père, Adrias les avait rencontrés les uns après les autres, partant du moins influant au plus prépondérant.

Il arrivait au bout de l'année de présentation et avait presque fini le tour officiel des domaines du royaume. Dans moins d'un cycle, il pourrait enfin rentrer à la forteresse du roi et retrouver une vraie couche faite de plume et non de paille. Après un an de campement, il rêvait de confort, de mur de pierre et de salle d'eau.

Pour garder toute objectivité, la coutume exigeait qu'il refuse l'invitation des nobles à dormir dans leurs résidences et campe avec une partie de son conseil à l'extérieur des fortifications. Mais bientôt, il reprendrait la route, mettant fin à un an de bivouac, de banquets, de proposition d'alliances, de négociations commerciales et politiques. Un an où, chaque jour, les jeunes femmes et jeunes hommes du royaume le courtisaient, espérant voir leurs faveurs acceptées et être choisis comme compagnon de règne.

— Sax attend avec impatience que la semaine de confiance finisse pour pouvoir discuter en personne avec vous, grogna Bahjan.

— Je ne peux pas dire partager cette hâte, soupira Adrias en buvant une grande gorgée de liqueur qui lui brûla la gorge.

Chaque présentation commençait de la même façon. Selon la tradition, la première semaine, Adrias laissait son conseil parlementer en son nom pour prouver la confiance qu'il leur portait et n'intervenait qu'à partir du huitième lever de soleil.

Bahjan et Yura continuèrent le résumé des négociations mais, contrairement à d'habitude, Adrias n'arrivait pas à se concentrer dessus. Son esprit n'arrêtait pas de dériver ailleurs, dans la forêt, avec l'être blanc. Il pensait lui, à la sensation de sa peau, à son envie de le retrouver pour à nouveau sceller leurs lèvres. Jamais personne ne l'avait attiré avec autant de force et s'il avait connu de nombreux plaisirs, aucun n'avait été aussi charnel.

— Adrias ! l'appela sèchement Yura, lui donnant en prime un coup de chaussure dans le tibia.

— On ne frappe pas un prince, intervint Bahjan en lançant à Yura la fin de son pain.

— Un prince écoute ses conseillers quand ils lui parlent des tensions politiques de son royaume !

Adiras ne s'excusa pas à voix haute, car un prince ne le faisait jamais, se contentant d'une main sur son cœur qui portait la même signification.

— Je sais que tu repousses le moment, mais il te faudra bientôt choisir ton ou ta compagne de règne. Tu es un bon souverain, Adrias…

— Je ne suis pas encore Roi.

— Couronne d'olivier ou d'or, tu gouvernes ce pays depuis bien avant la mort de ton père, le contredit Bahjan d'un geste de la main. Tu as rendu l'économie prospère. Les échanges commerciaux avec les autres nations n'ont jamais été aussi florissants et nos caisses remplies. Mais dis-toi bien que dans l'état des faits, si l'économie s'inversait et que nous devions augmenter les dimes imposées aux nobles, ils ne hocheraient pas bien sagement de la tête.

— Je n'aime pas le reconnaitre, mais le comptable a raison, surenchérie Yura en s'attirant un regard noir de Bahjan. Tant que tu n'auras pas choisi un compagnon de règne, les nobles se déchireront pour mettre leurs enfants à tes côtés sur le trône. Plus tu tarderas, plus les tensions politiques augmenteront.

Adrias savait tout cela, son conseil lui répétait chaque jour depuis la mort de son père, mais il n'arrivait pas à se décider. Aucun des hommes et aucune des femmes qu'il avait rencontrés ne lui avait donné envie de passer sa vie à leurs côtés. Le ou la compagne de règne avait tout autant de pouvoir que le roi, étant là pour contrebalancer les possibles dérives. Il ne pouvait pas choisir n'importe qui… Il ne le voulait pas. Il imaginait avec horreur être obligé de partager la couche d'une personne qu'il viendrait à détester.

— Je sais… Je finirais par choisir. Bientôt.

— J'espère pour toi que ton bientôt est pour avant le défilé des saisons. Les nobles ne sont pas connus pour leur patience, une autre année d'indécision n'est vraiment pas envisageable.

— J'ai compris, Yura. Je le comprends tous les jours, chaque fois que tu m'en fais la remarque.

De nouveau l'image de l'être blanc s'imposa à l'esprit d'Adrias et un profond soupir lui échappa alors qu'un mal de tête commençait à pointer. Quand il se massa distraitement les tempes, Bahjan et Yura échangèrent un regard inquiet. Bahjan secoua discrètement la tête et Yura changea de conversation, tout sauf subtilement.

— Et sinon, pour parler de choses bien plus importantes que les petites tensions qui animent notre beau et magnifique royaume, où en es-tu dans notre pari ?

— Tu parles de celui qui coûtera sans aucun doute la vie à notre futur roi et plongera le royaume dans le chaos d'une guerre de succession ? l'interrogea Bahjan acerbe.

— Exactement celui-là, cher ami. Mais considère que si Adrias n'est pas capable de survivre à la capture d'un étalon sauvage, alors sans aucun doute n'est-il pas fait pour monter sur le trône. Et dix mille cestaires valent bien que notre si grandiloquent seigneur prenne quelques risques.

— En tout autre temps, vous seriez pendu pour de telles paroles.

— En tout autre temps, je ne serais pas né.

— En tout autre temps, je vous aurais renvoyé tous les deux pour me causer des maux de tête répétés, conclut Adrias fatigué de leur dispute.

— Alors heureusement pour nous, que nous vivons à notre époque, lâcha tranquillement Yura en bâillant ostensiblement.

Bahjan se força à ravaler l'insulte qu'il avait au bord des lèvres, se contentant d'un regard plein de morgue au chef des armées qui l'ignora.

— Comptes-tu abandonner et me verser mes cestaires ?

— Pas dans l'immédiat.

— La détermination est une qualité, tant qu'elle ne se transforme pas en obstination mortelle, intervint Bahjan en servant du vin à Adrias.

— Tu essayes de me saouler, Bahjan ?

— Vous vous débrouillez très bien sans moi, mon prince. Il suffit que je vous laisse avec Yura et je dois faire appel à des faveurs pour vous éviter un scandale né d'un excès de boisson.

Un sourire satisfait naquit sur les lèvres du militaire, comme si l'accusation était en réalité un motif de fierté.

— Quoi qu'il en soit, votre pari stupide prendra fin de lui-même dès le début de semaine. Quand vous rejoindrez les négociations, votre temps libre ne le sera plus et vous arrêterez de mettre délibérément votre vie et votre royaume en jeu pour un orgueil mal placé.

Adrias fit tourner le vin dans sa coupe, fixant le liquide rougeâtre. C'était un excellent cru. Les terres du noble Sax comportaient certaines des meilleures vignes et sa production était une valeur sûre à la vente. Les étrangers achetaient à prix d'or les barils qui traversaient la frontière au compte-goutte, tout le monde s'accordant sur son goût unique décrit par certains comme céleste. Jusqu'à aujourd'hui, il aurait été d'accord, mais après avoir goûté à la saveur de l'être blanc, tout lui paraissait fade même le meilleur vin de son pays.

La tête en arrière, Adrias tapotait de l'index l'appui-coude de son trône. Fixant la toile de tente et le trou en son milieu par laquelle la fumée de l'âtre s'échappait, ses pensées s'égarèrent à nouveau. Tout le ramenait à l'être blanc, le vin, les volutes dans lesquelles se dessinait son visage à la symétrie parfaite, ses bras douloureux….

— Que savez-vous des êtres qui peuplent la forêt de la licorne ? demanda-t-il soudain, prenant par surprise ses deux conseillers.

— Que voulez-vous dire ?

— Les créatures vivant dans la forêt de la licorne ont-elles été recensées ?

Yura explosa de rire et Bahjan lui retira des mains son verre de vin avant qu'il ne tache le tapis couteux.

— Adrias, si on qualifie les êtres qui vivent dans la forêt de mystique, c'est que nous connaissons leur existence principalement par les légendes. Jamais personne n'en a rencontré un seul.

— En dehors de la toute puissante licorne, compléta Yura qui avait fini de rire.

— Évidemment et encore ! Pour elle, le nombre de personnes qui l'ont entre aperçue au cours de siècles se compte sur les doigts de la main. Si elle ne protégeait pas notre royaume, empêchant tout étranger de traverser la forêt et de nous assiéger, nous pourrions douter de son existence.

Son royaume, au centre de tout autre, avait la forme d'un rond presque parfait et ses frontières étaient délimitées par la forêt qui l'entourait. Seule quelques percées d'une dizaine de mètres vides d'arbres, leur permettaient d'échanger facilement avec les autres pays. Le château du roi était le point central du royaume et toutes les parcelles dirigées par ses nobles partaient de ce lieu.

Au cours des siècles, aucune puissance étrangère n'avait réussi à conquérir le royaume. Si les hommes pouvaient traverser aisément la forêt, quiconque ne respectait pas le statuquo et l'asile qu'elle représentait n'était pas sûr d'en ressortir. Personne ne défiait la licorne et ses règles sans en payer un prix sanglant. Même la chasse était soumise à restriction, elle était autorisée tant qu'elle n'avait pas lieu lors de la saison de reproduction et que chaque animal tué était mangé.

Si son peuple respectait la licorne sacrée pour la protection qu'elle leur apportait, il la bénissait encore plus pour la nourriture qu'elle leur offrait lors de disettes. Plus d'une fois au cours de l'histoire, après des saisons désastreuses qui avaient détruit les récolent, les famines avaient été évitées par les gibiers déposés à l'orée du bois lors des rudes hivers.

La licorne sacrée était le symbole de son royaume. Elle était partout. Sur les écussons, gravés au-dessus de chacune des portes de foyers, sur les tapisseries, dans les insultes et les bénédictions… Elle était symbole de paix et de prospérité. Elle existait depuis des millénaires et pourtant, on ne savait pratiquement rien d'elle ni de sa forêt et des êtres qui la peuplaient.

— Sait-on si elle a des serviteurs ? interrogea Adrias en cherchant à aborder la question d'un autre côté.

— Nous sommes tous ses serviteurs, lui répondit Bahjan d'un ton empreint de révérence.

— Oui, mais a-t-elle des serviteurs personnels ? insista-t-il, frustré. Qui vit avec elle dans la forêt ?

— Pourquoi toutes ces questions, mon prince ? S'est-il passé quelque chose aujourd'hui ?

Adrias garda le silence. Pour il ne savait quelle raison, il n'avait pas envie de lui parler de l'être blanc. Il voulait garder cette rencontre pour lui. Elle lui paraissait trop intime pour être partagée.

— Voulez-vous que je demande à un des archivistes ? reprit précautionneusement Bahjan face à son silence et à sa mine renfrognée. Ils doivent être bien plus au courant que nous. Peut-être existe-t-il des notes à ce sujet dans un des ouvrages de la grande librairie.

D'un hochement de tête, Adrias accepta.

— J'enverrais une missive au château du roi, dès le soleil levé.

— Merci, Bahjan.

— Je suis à votre service, mon prince.

Adrias laissa la conversation dériver sur d'autres sujets et, quand ses conseillers partirent enfin, après avoir vidé ses cruches de vin, son esprit était brumeux d'alcool et de l'être blanc.

Cette nuit et les autres qui suivirent, il rêva de lui. Il était là tout le temps, hantant ses pensées. Chacune de ses érections lui était dédiée et ses orgasmes n'étaient plus provoqués que par des fantasmes où il apparaissait. Il rêvait de ses mains, de sa bouche, de son souffle… Parfois, la simple réminiscence de son odeur pouvait rendre son sexe si sensible, qu'une simple caresse le libérait.

Plus d'une fois, il s'éclipsa pour retourner dans la forêt et chercher sa présence. Il passa ses dernières journées libres à parcourir l'étendue des bois, attendant désespérément le minuscule picotement sur sa nuque indiquant sa présence. Il ne vint jamais et son errance resta veine. Ni être, ni étalon, ni quoi que ce fut ne se montra, le laissant seul, lui et le manque qui creusait son estomac.

Le soir, il ne revenait de plus en plus tard, sous les regards inquiets de Bahjan et Yura. Et quand il dû rejoindre les négociations, rien ne s'arrangea, son attention happée par toutes les chevelures blondes qu'il croisait. Il ne pouvait s'empêcher de le chercher dans la foule des visages, son cœur pesant de plus en plus lourd à chaque déception. Ce n'était jamais lui et, plus les hommes et les femmes essayaient d'attirer ses faveurs, plus son humeur s'assombrissait. Ils paraissaient tous tellement fades en comparaison de l'être qu'il avait étreint pendant ces quelques secondes.

Quelques secondes qui l'habitaient, ancrées dans son corps telle une marque gravée au fer rouge. Plus aucun charme ne l'attirait. Il restait insensible aux courbes qu'on exposait à ses yeux, le poussant à refuser toutes propositions intimes.

Partant tôt le matin, Adrias prenait pour excuse sa chasse à l'étalon pour disparaitre dans la forêt, avant qu'il n'ait à s'assoir pendant des heures à la table de Sax. Ses conseillers s'inquiétaient de son comportement et même Yura lui avait intimité de mettre fin à leur pari stupide, lui promettant ne pas retenir contre lui les dix mille cestaires. Mais Adrias ne pouvait pas abandonner. Il voulait le revoir, juste une fois. Une unique fois parce que sans cette nouvelle rencontre, il était sûr de devenir fou. Il fallait que l'être blanc arrête d'envahir ses pensées. Alors, il continuait de venir et de marcher, suppliant la forêt de lui donner le prénom de la créature qu'elle abritait.

Ce matin-là n'échappait pas aux autres. Il avait laissé ses gardes à l'orée du bois, avec sa couronne et son épée, et s'était enfoncé dans le territoire de la licorne. Il restait peu de temps avant qu'il doive faire demi-tour pour rejoindre son conseil et l'ennuyeux noble Sax.

Le soleil qui commençait à percer le feuillage magnifiait la forêt. Il avait toujours trouvé la forêt apaisante, mais plus il y passait de temps, plus il appréciait son calme si différent des bruits de la cour et du camp. Ici, il pouvait presque croire qu'il était un simple humain, sans couronne ni responsabilités, marchant librement sans chemin tout tracé. Aucun choix à faire, aucune attitude et protocole à respecter. Pas de conseillers marchant dans ses pas pour lui soumettre les nouveaux problèmes du jour, lui donnant l'impression que chaque fois qu'il dénouait une situation, quatre autres nœuds politiques se créaient.

Adrias marchait, aveugle à la direction, mais, comme toujours, ses pas le menèrent au ravin et au vieil arbre. Et, comme toujours, il se pencha pour regarder sous les racines emmêlées. Adrias ne pouvait pas s'empêcher d'espérer, un espoir à la hauteur de la déception qu'il éprouvait quand il notait son absence.

Se redressant, il laissa ses doigts errer sur l'épaisse écorce. Le tronc était si large que même en tendant les bras, il faudrait plus de quatre hommes pour en faire le tour. Un tel arbre n'avait pas d'âge, peut-être était-il même plus vieux que son royaume. Il allait se retourner et rentrer quand un frisson souleva tous les poils de sa nuque, le figeant face à l'arbre. Son cœur battit plus vite et tout doucement luttant contre son envie de se retourner brusquement, il fit face à l'être blanc.

Il était là. Face à lui. La tête haute, son corps couvert pas son immense chevelure, ses yeux bleus le fixant avec intérêt. Ses souvenirs lui parurent fades face à cette présence irréelle. Adrias n'osait pas bouger de peur de l'effrayer. Une vingtaine de pas seulement les séparait.

Adrias ne l'avait pas entendu approcher et, sans les picotements sur sa nuque, il n'aurait jamais su qu'il était là. Il déglutit, sa gorge soudain sèche, les mots lui manquant. Face à lui, tous les discours qu'il avait préparés lors de ses dernières nuits blanches disparurent, effacés par ces yeux qui le dévisageaient et le désir qu'ils provoquaient. Ce ne fut uniquement quand l'être fit un pas en arrière qu'il trouva le courage de l'arrêter.

— Attends ! souffla-t-il en tendant une main. Attends, s'il te plait.

L'être hésita, penchant la tête sur le côté, réfléchissant à sa demande. Adrias profita de son hésitation pour continuer.

— Ne disparait pas encore une fois. Je promets de ne rien te faire, je promets de…

Il avança d'un pas et l'être en recula du même nombre.

— Je promets de ne plus avancer. Je promets tout ce qu'il faut pour te mettre à l'aise.

L'être n'avait pas l'air convaincu et, d'un geste négligent, rejeta en arrière sa chevelure, révélant sa nudité et son corps parfait. Contrairement à lui qui était bâti comme un soldat, l'être était fin et élancé, toutes ses courbes et ses formes formant une harmonie parfaite.

Le visage rouge, Adrias déglutit et s'assit brusquement pour cacher le réveil de son sexe. Il garda les yeux baissés en prenant de lentes et profondes inspirations pour tenter de se calmer. Depuis longtemps, il n'était plus un adolescent pressé par ses désirs, pourtant face à l'être, son corps perdait tous ses moyens.

Il ne bougea pas quand la créature avança d'un pas dans sa direction et, hésitant, s'assit à son tour, ses jambes repliés sous lui dans la pause exacte des sirènes. Ils restèrent un long moment dans le silence l'un en face de l'autre, se contentant de se dévisager.

L'être ne semblait pas éprouver le besoin de bouger, seuls ses cheveux ondulant sous l'action du vent. Le temps paraissait suspendu entre eux, les plongeant dans un instant mystique. Alors qu'Adrias n'avait pratiquement croisé aucun animal, ils défilèrent les uns après les autres, touchant l'être avant de disparaitre entre le feuillage. Une biche, un lapin et même un loup. Seuls les oiseaux restaient à proximité, leur pépiement devenant de plus en plus fort jusqu'à ce que l'être lève la tête et fronce les sourcils, provoquant un étrange silence.

— Damon.

— Quoi ? S'étrangla presque Adrias quand l'être parla d'une voix aussi légère que le vent, le prenant totalement par surprise.

Pas une fois, il n'avait pensé qu'il puisse connaître sa langue.

— Tu as demandé à la forêt comment je me nommais. La forêt ne peut pas te répondre, mais moi si. C'est Damon. Et tu es Adrias.

Adrias ne put rien faire d'autre que de hocher de la tête. L'être blanc, Damon, lui parlait et tout son être se tendait vers lui.

oOo

À suivre

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